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Uber vs. Taxis La survie du plus fort

Débat février 2017

Uber vs. Taxis La survie du plus fort

C’est une véritable guerre des tranchées qui se déroule entre Uber et les petits taxis. Une guerre se jouant à la fois sur le front du symbole et sur celui du terrain. L’économie collaborative aura-t-elle raison d’une économie ancrée dans le réel? EE donne la parole aux principaux protagonistes.

Uber et les taxis peuvent-ils coexister?


Meryem Belkziz :
Au début de notre activité au Maroc, nous faisions appel au transport touristique de haute qualité. Petit à petit, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait également des petits taxis qui étaient intéressés de collaborer avec Uber. Ainsi, depuis juillet 2016, nous avons intégré 250 taxis dans notre plateforme. Ces derniers y trouvent leur compte. Ils peuvent opérer à la fois sur Uber et continuer à faire le maraudage. Aujourd’hui, notre vision est claire; tous les opérateurs ont leur place dans le marché. Nous ne sommes pas en concurrence directe ave les taxis, car nous ne sommes pas des transporteurs. Nous sommes une plateforme de mise en relation. Nous apportons la technologie, les personnes disposant d’un moyen de transport peuvent utiliser notre outil. Toutefois, nous avons de plus en plus de difficulté à recruter des taxis. Nous essayons de trouver un arrangement avec ces derniers, au niveau du respect de quelques règles de service et de comportement avec les clients. En effet, le système d’Uber permet de noter la qualité du service du transporteur. Si ce dernier est très mal noté, il peut facilement être exclu de la plateforme.


Ahmed Taky : La cohabitation est très importante pour le secteur des taxis avec Uber. Ceci est un fait! J’ai même dit à mes confrères de la profession que la présence d’Uber au Maroc était un mal nécessaire. Uber veut investir dans notre ville, tout en présentant aux clients un service de haute qualité. Donc, si collaboration il y a, elle devra se faire dans une logique de partenariat gagnant-gagnant. Plusieurs syndicats ont bien accueilli l’idée du partenariat, sauf qu’ils demandent à ce qu’il soit sous forme d’accord signé entre les syndicats et Uber, respectant les conditions de l’exercice de l’activité. Il est vrai que le côté technologique que Mme Belakziz a évoqué nous pose problème, puisqu’il est en relation directe avec les clients. Je m’explique, quand on transporte des clients dans un véhicule non autorisé, ce dernier est automatiquement confisqué. Si Uber fait appel à des véhicules privés, il n’y aura que des confiscations, ce qui ne jouera pas en faveur de notre partenariat. C’est-à-dire que notre seule condition à ce partenariat est qu’Uber ne fasse plus appel aux véhicules privés et ne collabore qu’avec les taxis. Nous sommes même prêts à développer des solutions avec Uber pour sa clientèle de luxe.

Acceptez-vous l’activité d’Uber telle qu’elle est organisée aujourd’hui?
AT : Lors de nos dernières réunions au niveau de la wilaya du Grand Casablanca, les syndicats de transport ont été clairs. Impossible de cohabiter avec Uber dans les conditions dans lesquelles elle exerce actuellement. C’est-à-dire, avec l’usage des véhicules particuliers.  Maintenant, si l’entreprise collabore exclusivement avec les taxis, cela pourrait bien changer la donne. Les 250 taxis qui travaillent actuellement avec Uber démontrent, en effet, qu’il y a déjà une sorte d’accord préliminaire pour développer un vrai partenariat avec l’entreprise.
MB : Notre business model reste toujours le même. Notre but est de fournir le transport le plus rapide possible à nos clients. Si demain ces derniers peuvent avoir un transporteur en moins de deux minutes et qui leur assure un service impeccable en termes de comportement et de propreté du véhicule, qu’il soit un taxi ou un particulier, cela ne nous pose aucun problème. Les clients ne sont pas dérangés par le fait que leur transporteur soit un taxi ou un particulier, si le taxi bien sûr adopte le bon comportement, qu’il ne prenne pas d’autres personnes en route et qu’il ne change pas d’itinéraire… Nous sommes donc très ouverts à ce type de partenariat, qui nous permet de disposer d’un grand parc de taxis qui dessert UberX et Uber Luxe. Le problème c’est que les taxis ne veulent pas collaborer avec nous! Car, à chaque fois que nous les approchons, la procédure prend énormément de temps et on ne peut pas attendre, puisque nous avons une très forte demande à laquelle nous devons répondre sur le champ.

«Si Uber fait appel à des véhicules privés, il n’y aura que des confiscations», Taky

Les débatteurs
Meriem Belkziz : Issue d’une grande école de commerce française, Meriem Belkziz est un pur produit des grands cabinets de conseil internationaux. Elle effectue un passage remarqué chez McKinsey où elle assurera des missions dans plusieurs pays, avant de se faire repérer par Uber qui, après une expérience aboutie en Egypte, souhaite élargir son implantation à un pays du Maghreb. Relevant le défi, elle est nommée DG de la filiale marocaine qu’elle gère depuis trois ans.
Ahmed Taky : Personnage incontournable dans le milieu syndical, et notamment à l’UGTM, Ahmed Taky est de tous les combats. Sa personnalité consensuelle lui permet de dénouer des dialogues sociaux inextricables. Réformateur, il ne rejette pas en bloc les arrêts émis par la Wilaya concernant la mise à niveau des taxis rouges, mais prône une approche graduelle. Face au casse-tête que pose Uber, Taky continue à croire qu’une solution gagnant-gagnant est possible.

Pourquoi les taxis ne veulent-ils pas collaborer avec Uber?
AT : Cette réticence est tout à fait normale et compréhensible. Quand il y a une nouveauté dans un secteur, on retrouve ce genre de réticence. Elle ne se dissipe qu’avec la pratique. Le chauffeur de taxi est tenu de rendre, à la fin de sa journée, une recette au propriétaire de l’agrément, ceci sans oublier les charges de maintenance du véhicule, du gasoil et autres. Donc, en réalisant quelques courses avec Uber dans la journée, il ne peut aucunement garantir le paiement de ces exigences quotidiennes. Pour combattre ce type de réticence, il faut engager des discussions au sein des syndicats pour encourager l’ouverture du secteur de transport des taxis à Uber. Et cela figure parmi les points sur lesquels nous sommes en train d’œuvrer en ce moment dans la région du Grand Casablanca. Parmi les nouvelles règles de notre secteur, le chauffeur du taxi doit porter un uniforme et avoir un véhicule neuf et propre. Le comportement du chauffeur doit aussi être impeccable. Il faut que notre secteur se développe et qu’il aille de l’avant. Déjà avec l’aide actuelle de l’Etat, nous avons pu marquer des points en termes de renouvellement de la flotte. En tant que syndicats, nous avons aussi un rôle d’orientation des taximen pour mieux les intégrer et leur faciliter la possibilité de collaborer avec Uber.    

Les derniers évènements n’ont-ils pas été à l’origine de l’accélération de cette réforme?
AT : Par rapport à l’agression, il faut savoir que certains chauffeurs de taxis ne sont affiliés à aucun syndicat, dont quelques uns, qui sont à l’origine de l’agression. En tant que syndicats, nous sommes strictement contre ce type d’agression. Nous sommes une société de droit, si quelqu’un enfreint la loi, il y a des tribunaux pour régler ce type de problème. Par rapport à la réforme, il y a trois syndicats casablancais seulement qui la rejettent. Ceci dit, nous avons préparé des amendements qui ont été bien accueillis par le wali, notamment sur les contraventions.
MB : Si je comprends bien, vous allez améliorer vos services et votre gestion quotidienne des taxis, notamment les systèmes de pointage… Mais comment allez-vous contrôler et vérifier le comportement des chauffeurs de taxis, leur éthique, leur rigueur et honnêteté? Ce sont des actes difficiles à évaluer à distance. Chez Uber ce type de contrôle est possible, car nous avons une application transparente via laquelle le client note directement son transporteur sur tous les aspects précités. Ceci facilite donc à notre management de connaître les éléments à écarter de notre communauté.

La technologie proposée par Uber est donc plus facile à appliquer?
AT : Nous sommes un pays en voie de développement, l’intégration de ce type de technologie nous vient d’ailleurs, de l’Europe notamment. C’est toujours une bonne chose d’adhérer à ce type de technologie, mais pour qu’on s’y habitue, nous en tant que transporteurs agréés, il nous faut plus de support financier de l’Etat.
MB : Je ne suis pas d’accord avec vous dans le sens où notre technologie marche très bien dans d’autres pays beaucoup moins développés que le Maroc, en Egypte, au Kenya, au Nigeria et au Ghana. Il faut savoir aussi que la clientèle marocaine est demandeuse de ce type de technologie.
AT : Je ne dis pas qu’il est encore tôt pour le Maroc d’adhérer à cette technologie. Je dis que nous ne donnons pas trop d’importance à la technologie; c’est encore embryonnaire.

Mme Bellakziz, vous avez parlé d’une demande croissante de ce type de technologie, pouvez-vous nous donner des détails chiffrés?
MB : Sur les trois derniers mois, il y a eu plus de 15.000 utilisateurs uniques de la plateforme Uber et au moins 3.000 personnes inscrites dans notre plateforme. Cela veux dire qu’il y a des clients qui utilisent Uber 10 fois par jour et d’autres une fois tout les trois mois. C’est assez disparate. Nous ne donnons pas de chiffres supplémentaires, car nous ne sommes pas une entreprise cotée. C’est le même cas dans tous les autres pays dans lesquels nous sommes implantés et on progresse très bien.   

Quelle est votre lecture de l’interdiction par la wilaya sur l’Activité d’Uber?
MB : La wilaya a publié un communiqué de presse. L’interdiction n’a pas été officialisée à ma connaissance.

Vous opérez malgré ce flou juridique? N’est-ce pas risqué?
MB : Effectivement, il y a un vide juridique, c’est ce qu’on n’arrête pas de rappeler depuis notre implantation au Maroc. Nous souhaitons dialoguer avec les autorités pour arriver à une définition claire juridiquement. Le fait de continuer à opérer dans ce vide juridique s’avère être la seule manière de faire et la seule manière d’être écouté. Nous n’exploitons pas un flou juridique; nous souhaitons qu’il y ait une règlementation claire. Et nous faisons tout pour protéger les personnes qui travaillent avec nous. Nous condamnons la violence. D’ailleurs, nous n’en sommes pas responsables. Nous sommes pour la mise en place d’une licence qui permet aux transporteurs d’exercer à travers un cahier de charges. Nous sommes toujours prêts pour le dialogue et nous attendons la définition d’une loi très claire pour le secteur du transport et des VTC. Il faut légiférer! Mais interdire de facto l’activité d’Uber, cela ne marchera pas. Car ce qu’on propose pour le Maroc, c’est des créations d’emplois, de la valeur ajoutée, l’intégration des jeunes… En France, ce sont 70.000 jeunes qui travaillent avec Uber!
AT : La loi sur le transport  est claire. Tout véhicule utilisé pour le transport doit absolument disposer d’un permis, surtout dans le cas du transport public. Uber utilise des véhicules particuliers qui n’ont pas de permis de transport. Donc, c’est illégal. La wilaya a appliqué le côté juridique. Tout véhicule opérant pour le compte d’Uber doit être arrêté. Toutefois, il y a un double discours puisqu’on pouvait donner à Uber un statut d’entreprise de transport ce qui lui aurait conféré un statut légal. En ce qui concerne l’employabilité des jeunes, il faut savoir que nous aussi nous essayons de combattre le chômage. Mais, il faut le faire dans les règles de l’art, avec la création d’entreprises qui œuvrent dans le cadre de la loi du travail. Uber fait du transport et ce secteur est soumis à des règles qui exigent permis de transport, ce que Uber n’a pas.

MB : Mais ces règles dont vous parlez, M. Taky, datent et ne suivent plus cette nouvelle économie dans laquelle nous sommes ancrés. N’y a-t-il pas un moyen qu’on pense ensemble à une issue qui servirait l’économie nationale et le développement de notre pays? De nouvelles lois qui permettent d’exercer dans les meilleures conditions?
AT : Ma première intervention dans ce débat allait dans ce sens-là.

Si demain les autorités disent qu’Uber est légal, seriez-vous d’accord, M. Taky?
AT : Nous n’avons pas de problèmes à l’accepter. Si la loi lui permet d’exercer, on ne peut l’arrêter! En fait, c‘est le problème financier des taxis qui est à l’origine de ces affrontements avec Uber. Je m’explique: le chauffeur de taxi est tenu de verser au moins 150 dirhams par jour au propriétaire de l’agrément. Il doit aussi payer une fortune pour louer un agrément. Si on avait la possibilité de nous procurer des agréments à prix bas, ces problèmes disparaitraient.
MB : Ce que vous venez d’évoquer est en effet la vraie source de tous les problèmes du secteur. C’est l’agrément, le locataire de l’agrément, les bakchichs… et c’est en fin de compte le chauffeur qui paye le prix cher. Nous voulons que ce dernier soit maître de son destin. Le changement de loi doit être en faveur du chauffeur en premier lieu et non pas au système de rente. Il faut que vous sachiez que les chauffeurs de taxis qui travaillent avec nous, ne nous versent pas de commissions. Car nous savons  qu’ils sont déjà malmenés de l’autre côté. Depuis décembre dernier, nous ne prenons plus notre commission de 25% pour les encourager aussi à collaborer avec nous. Nous leur offrons même les Smartphones et l’application.
AT : Il y a de cela trois ans, l’UGTM a mandaté des experts pour étudier la réforme de notre secteur. On ne peut plus exercer avec une loi qui date de 1963! A cette époque, il n’y avait pas plus de 100 taxis dans la ville. Aujourd’hui, le Grand Casablanca compte quelque 16.000 taxis! Nous avons ainsi préparé un dossier que nous avons déposé auprès du ministère de l’Intérieur. Le contenu de ce dernier donnait une proposition de suppression des agréments qui seront remplacés par des cahiers de charges. Ce dernier comporte les conditions d’obtention et celles d’exercice. Si notre proposition a été prise en compte, il n’y aurait pas eu de problème aujourd’hui.

Uber pourrait-elle se lasser un jour du marché marocain, si le statu quo est maintenu?
MB : Evidemment, Il est arrivé à Uber de quitter certains pays. Quand on voit la popularité que nous avons dans des pays par rapport à d’autres. Forcément, il y a des choix à faire. Je n’ai pas d’ultimatum mais il est vrai que nous considérons que le marché marocain est complexe.

La polémique sur la cohabitation Uber-taxis vient dans un moment où la demande de transport à Casablanca est supérieure à l’offre? Qu’en pensez-vous?
MB : Ce n’est pas du tout contradictoire, surtout dans les pays où Uber est présente depuis plusieurs années, comme la France, et les Etats-Unis. Dans des villes comme Paris et San Fransisco, Uber s’est développée de façon exponentielle. Mais le nombre de taxis n’a pas baissé, bien au contraire, il a continué à augmenter. Donc, la demande est extrêmement forte, le marché étant nouveau, car Uber ne vient pas piquer la part des marchés des taxis. Nous créons une nouvelle demande. Et Uber permet même d’ajuster le prix des courses, ceci quand il n’y a pas assez d’offre par rapport à la demande. Et, par conséquent, aux heures où il y a moins de demande, le prix est plus bas. La philosophie Uber, en fin de compte, c’est de permettre la flexibilité du travail.

AT : La demande est plus forte dans les heures de pointe. C’est un phénomène très connu. Techniquement, on ne peut pas étoffer la flotte des taxis juste parce qu’il y a un besoin dans les heures de pointe. Si on le fait, que ferait ce surplus de taxis dans les périodes de la journée ou il n’y a pas de rush?    

Un dernier mot?
MB : Nous sommes implantés au Maroc pour créer de la valeur ajoutée à travers notre technologie, que ce soit en travaillant avec les sociétés de transport ou avec des taxis. Il faut savoir qu’il y a une très forte demande. A la fois pour le transport économique que pour celui du luxe. Et donc, il y a un pan de l’économie qui n’est pas exploité et c’est vraiment dommage. La législation doit évoluer pour prendre en compte cette nouvelle donne.
AT : Notre secteur revêt une grande importance, surtout dans la ville de Casablanca. Selon la loi, nous avons le droit de conclure des partenariats avec des entreprises qui nous assurent une rentabilité tout en nous permettant d’employer plus de chauffeurs. Nous accueillons à bras ouvert tout opérateur voulant encourager ce secteur à se développer et surtout à améliorer la situation actuelle du chauffeur.