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Terre vs mer le verdict!

Economie février 2020

Terre vs mer le verdict!

Avec la suspension de la ligne maritime Tanger-Dakhla, l’activité de cabotage montre ses limites. L’argument écologique est loin de provoquer le déclic chez les prestataires logistiques. Habitués au bitume, ils ne sont pas près de prendre le large.

A Marseille, depuis la salle d’opérations du 12e étage de la Tour CMA-CGM, un nombre incalculable de témoins transmettent, en temps réel, les manœuvres des centaines de navires du 4e armateur mondial -classement 2018- sillonnant le globe. Il y a quelques jours, le voyant rouge du «CMA CGM Agadir», troisième navire du groupe battant pavillon marocain, a cessé de paraître sur les écrans au large du littoral national. L’entrée en service du porte-conteneurs, d’une capacité de 1.120 EVP, diffusée sans tambour ni trompette courant septembre dernier, et grâce auquel le groupe franco-libanais est devenu le premier transporteur maritime à faire escale à Dakhla, avait pourtant fait sensation. L’annonce contraste avec l’inauguration en 2018 du navire-jumeau CMA CGM Tanger pour lequel RodolpheSaadé, le jeune PDG du groupe, himself, a fait le déplacement. En effet, la création de nouveaux corridors entre les ports de Tanger Med, Agadir, et Casa d’une part et Dakhla de l’autre, favoriserait le développement intégré du pays, tout en renforçant l’ancrage géographique d’un port stratégique pour le sud du royaume. Certains observateurs y ont même vu un atout diplomatique en faveur du soft-power marocain. Dans les faits, la desserte conforte l’offre de cabotage maritime. «Le renforcement de cette destination permettra de servir les exportations des produits de la mer et de faciliter les importations directes sur la région. Les clients du Groupe bénéficieront ainsi d’un service rapide et compétitif vers le reste du Maroc et, à travers les ports de Tanger Med et d’Algésiras, sous oublier l’accès au réseau mondial de 420 ports», fait valoir l’armateur dans un communiqué de presse. Des itinéraires alternatifs en plus qui viennent donc agrémenter les schémas logistiques régionaux. Les commissionnaires de transport, les prestataires logistiques ne peuvent que s’en réjouir. Mais, l’euphorie aura été de courte durée.

Wait and see
Depuis fin janvier, le nom du caboteur «CMA CGM Agadir» ne figure plus dans le planning de la flotte (téléchargeable du site officiel). Le troisième navire immatriculé au Maroc ne l’est plus a priori. Par effet de ricochet, la ligne maritime Tanger-Dakhla tombe à l’eau. «L’offre Tanger-Dakla n’est plus valable. Nous avons dû l’abandonner, tellement le volume était faible», affirme une opératrice de la compagnie. Faute de demande, un navire ancré longtemps à son port d’attache -à Agadir en l’occurrence- pèse sur la structure de coût de son armateur. Le navire en question «aurait été transféré vers une autre ligne plus rentable», avance une source anonyme au fait du dossier. Le seuil de rentabilité de la liaison non atteint serait la principale cause. Au fait, pour qu’elle soit rentable, une ligne de cabotage doit compter à bord entre 400 et 500 conteneurs. Si l’abandon de cette connexion renseigne, avant tout, sur la faible demande, orienter progressivement le fret vers les voies maritimes n’est pas totalement dénué de sens. Le basculement vers le maritime, en particulier sur l’axe Tanger-Dakhla et Tanger-Agadir, s’impose pour deux raisons. La première implication coule de source. Peu polluant, le transport maritime présente une meilleure alternative du point de vue écologique. D’après un rapport réalisé par l’OCDE sur «les incidences sur l’environnement du transport de marchandises», le coefficient d’émission du dioxyde de carbone (CO2) oscille dans une fourchette entre 127 et 451 grammes/tonne par km pour un camion contre 30 à 40 pour un trajet effectué en mer. Du côté des transporteurs, la prise de conscience des menaces environnementales est loin de provoquer le déclic. Seul l’argument économique est audible. D’où le second argument, pécuniaire, «le transport routier est très compétitif sur le short-see. Mais tout dépend aussi des volumes. Une traversée en maritime peut s’avérer beaucoup moins chère si les volumes transportés sont importants», explique Ikram El Idrissi, gérante de la société A Right Tans.

Le JIT barre la route
Habitués au bitume, les routiers ne sont pas près de prendre le large. Et pour cause, pressés par des contraintes de temps, la plupart des prestataires prennent pour norme la livraison en mode «Just in Time». Dans la branche logistique où tout est calculé à la minute, les temps d’attente sont intolérables. La livraison en temps et en heure permet d’épargner le stockage, et éviter parfois de lourdes sanctions prévues dans les clauses de contrat en cas de non-respect des délais. La stratégie des entreprises en flux tendus permet à celles-ci de réaliser ainsi d’énormes économies. L’attrait pour la route s’explique également par une gestion des conteneurs au niveau des zones portuaires, jugée parfois inefficace et peu flexible en raison des besoins de manutention et ruptures de charge. 

Néanmoins, les prises de positions dans ce débat sont à nuancer. Le transport de marchandises via des poids lourds affecte négativement le réseau routier national. D’abord, en étant une source constante d’embouteillages à Casablanca, en participant, aux bouchons dans les zones jouxtant Casa-Port et/ou à Ain Sebaâ par exemple. Le coût de ces congestions est estimé à des dizaines de millions de dirhams par an. Établir des liaisons régulières entre les différents ports du royaume est une manière d’améliorer l’efficacité du transport de fret en offrant des alternatives viables aux routes terrestres encombrées. Ces voies maritimes permettront de contourner les goulots d’étranglement, en amont de la A1, mais aussi plus au Sud sur la zone montagneuse du Souss, souvent difficile à manœuvrer par les routiers. D’ailleurs, sur l’application ADM Trafic, une dizaine d’incidents de poids lourds sont signalés chaque jour sur le réseau et particulièrement sur l’axe Casa-Agadir. Ceci dit, d’après les données de Tanger Med, près de «200.000 EVP sont réalisés en cabotage de Tanger vers/de Casa et Agadir sur un volume de 5 millions d’EVP traités en 2019, soit 4% du trafic global». Le service n’est pas compétitif certes, mais il équivaut au flux brassé par route en Import/Export (200.000 EVP).

Une issue vers l’Afrique?
Au-delà du transport de marchandises interurbains, notamment vers Dakhla, l’objectif est d’encourager les sociétés maritimes à aller vers l’Afrique subsaharienne, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal, en profitant des partenariats Sud-Sud. La ligne aurait pu certes permettre de conforter l’offre de transport vers les destinations subsahariennes, voire concevoir le prolongement des «autoroutes de la mer», concept lancé il y a plus de 10 ans par l’Union Européenne en Méditerranée. «Nous exportons pour nos clients vers le Sénégal ou la Côte d’Ivoire à partir de Casablanca. Pour l’instant, un port comme Dakhla n’est pas outillé pour servir de base logistique solide», précise Rachid Drissi, Roads Sales Executive auprès de Bolloré Logistics. «La ligne de Dakhla est amenée à se développer, ce n’est qu’une question de temps», affirme-t-on auprès de TMSA. Il est évident que le développement du cabotage permettra de désenclaver le Sud et de gagner en compétitivité économique. Et l’enjeu ne dépend pas d’un seul acteur, privé qui plus est. En attendant, c’est la volonté politique clairement affichée de favoriser un moyen plutôt que l’autre, avec les moyens nécessaires pour le rendre attractif, qui permettra le développement de la voie maritime.

Les vocations régionales du littoral
Si le transport maritime des marchandises a été entièrement libéralisé en 2007 par l’ouverture des lignes régulières de fret, l’activité de cabotage demeure pour rappel réservée à des sociétés de droit marocain, d’où l’appellation «pavillon marocain». En ce sens, la stratégie portuaire à l’horizon 2030 se fixe comme priorité le développement intégré des ports qui seront regroupés en six pôles portuaires: Oriental (port Nador West), Nord-Ouest (ports de Tanger et TangerMed), Kénitra-Casablanca (ports de Casablanca, Mohammedia et Kénitra), Abda-Doukkala (ports de Jorf Lasfar et Safi), Souss-Tensift (port d’Agadir) et Sud (port de Tan-Tan, port de Laâyoune et port de Dakhla). La diversification territoriale de l’offre portuaire est à même de soutenir les vocations régionales du littoral. Dans son ensemble, le coût d’investissement global de la feuille de route nationale s’élève à près de 74 milliards de dirhams.