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les métallistes plombés

Economie septembre 2021

les métallistes plombés

Considéré comme fleuron national, le secteur de la construction métallique souffre en silence depuis plusieurs années. Seule porte de sortie, une consolidation des acteurs et l’effectivité de la préférence nationale.

«Il y a eu un manque de bienveillance vis-à-vis du secteur». C’est ainsi qu’Eric Cecconello, PDG de Delattre Levivier Maroc (DLM), a résumé l’état de délabrement avancé que vit la construction métallique depuis au moins 8 ans. «Le secteur a quasiment construit toutes les usines du pays, malgré cela peu d’intérêt a été porté à sa dégradation», note Cecconello. DLM est, en effet, le dernier d’une longue série de fleurons nationaux qui souffrent de difficultés économiques et financières et qui se sont traduites par des procédures judiciaires. Son statut est passé de la sauvegarde judiciaire au redressement judiciaire fin avril dernier. Ainsi, après Buzzichelli qui a simplement été mise en liquidation en 2018 après l’échec de son redressement, et Stroc toujours en sauvegarde judiciaire depuis 2017, c’est DLM qui n’est pas arrivée à rester sous la protection de la sauvegarde instaurée en 2019 pour passer au statut de redressement après le constat du défaut de paiement. Et il n’y a pas que ces entreprises à la visibilité importante, que ce soit du fait qu’elles soient cotées en Bourse ou bien qu’elles aient fait la Une des médias avec des chantiers importants. C’est la plus grande majorité des entreprises qui est en difficulté. Et ça risque de rapidement empirer.
Dégradation accélérée
Il faut dire que les problèmes du secteur remontent à plusieurs années et ne semblent qu’empirer. Certains acteurs craignent même une mortalité plus importante liée aux conséquences de la pandémie et la mise à l’arrêt des principaux chantiers qui étaient en cours par les grands donneurs d’ordre. D’autres projets ont tout simplement été reportés sine die. En effet, un des principaux enjeux de rentabilité des entreprises est le temps de chantier. Plus un chantier s’éternise, plus les marges du constructeur s’érodent. Aujourd’hui certains grands chantiers, notamment de l’OCP, un des principaux donneurs d’ordre du secteur, sont toujours à l’arrêt et tardent à redémarrer depuis plus de 15 mois. «Imaginez que vous avez du matériel et de l’outillage sur un chantier depuis tout ce temps, que vous ne pouvez pas être payé parce que le chantier est toujours en cours et que vous payez en plus des frais de gardiennage sans avoir aucune visibilité. Imaginez que vous voulez finir un chantier alors que vous êtes sûr que vous avez perdu de l’argent dessus mais que vous n’avez pas le droit…», se lamente un haut responsable d’une entreprise marocaine -ayant près de 40 ans d’existence- qui a souhaité garder l’anonymat. A cela s’ajoute une situation conjoncturelle liée notamment au renchérissement du principal intrant du secteur: l’acier. Ce dernier s’est apprécié de 50% en 6 mois. «Nous sommes dans un stress permanent. Et sur plusieurs points, notamment cette question d’intrants qui ne cessent de se renchérir alors que nous avons signé des contrats il y a plus de deux ans sur la base de prix complètement différents», affirme notre source. Dans certains marchés, les coûts de la matière première peuvent atteindre entre 50 et 60%, ce qui rend la marge aussi volatile que celle de ces intrants. Ce qui est en jeu c’est que cette dernière crise liée à la Covid finisse par achever le secteur. «Aujourd’hui, les seules entreprises qui s’en sortent sont celles adossées à des groupes multi-métiers comme la SCIF ou AIC par exemple», précise notre haut responsable. «Mais les problèmes du secteur remontent à bien avant la Covid», insiste Cecconello. Et d’ajouter: «Le secteur a perdu plus de 10.000 emplois qualifiés, selon les chiffres du HCP d’il y a deux ans».
Non préparé
Pour lui, une des principales raisons est en lien avec la montée en gamme et en complexité des chantiers qui ont été confiés au secteur, ce qui a impliqué le recours à des fournisseurs internationaux capables de les livrer clés en main. «Il y a eu un changement de dimension dans les projets, ce qui a inéluctablement mené à une internationalisation des contrats et un durcissement de leurs règles», précise Cecconello. Cette analyse est partagée par plusieurs autres opérateurs contactés par EE. La logique des multinationales est en effet très simple: maximiser la montée de dividende en devises, donc elles cherchent à comprimer au maximum les coûts locaux, notamment en payant le minimum aux prestataires, cela bien qu’une grande partie de l’exécution soit sous-traitée localement. Pour s’aligner, les entreprises locales sont obligées de comprimer elles-mêmes leurs marges car concurrencées par les fournisseurs internationaux d’entreprises comme Daewoo, Samsung, Tekfen, Sepco, etc. Au vu de la complexité des projets, les désalignements calendaires sont fréquents, et comme expliqué par un opérateur plus haut, tout décalage avec les délais initiaux des projets se solde par une perte de marge. «Toutes les entreprises ont essuyé des pertes et cela dès 2013. Vous vous souvenez du premier profit warning de Stroc, c’était dû à cela. Les autres entreprises, bien qu’elles aient fait bonne figure pour ne pas inquiéter les banques, n’en ont pas moins été impactées», témoigne un ancien dirigeant de Stroc.
En l’absence d’obligation de préférence nationale dans les grands chantiers structurants dans l’industrie lourde, la chimie, le ciment, les mines ou dans l’énergie, c’est tout le secteur qui a été mis à la merci des mastodontes mondiaux. «Quand nous soumissionnons sur des marchés, c’est sur une base hypothétique, avec l’exacerbation de la concurrence, on adoptait des hypothèses de plus en plus optimistes pour nous aligner sur les prix, ce qui augmentait forcément les risques exogènes, et qui se traduit forcément par des pertes. Aujourd’hui, le risque de perte sur les grands chantiers est significatif», confie notre source. A cela s’ajoutent les changements de conditions contractuelles de l’OCP et l’adoption des mêmes standards de normes HSE [Hygiène-Sécurité-Environnement, NDLR] aussi bien pour les constructeurs marocains qu’étrangers, sans que cela soit précisé dans les appels d’offres», affirme un haut cadre du secteur. Bien que ce rehaussement des normes puisse paraître comme une manière de mise à niveau du secteur avec les mêmes standards internationaux, c’était surtout une source de coûts supplémentaires. «Alors que nous avions soumissionné sans ces normes, à la contractualisation, on était obligés d’accepter des contrats déséquilibrés à la fin. Vous savez, quelles que soient leurs tailles, toutes les entreprises marocaines sont de petites entreprises face à l’OCP». Au bout du compte, ce sont des surcoûts importants qui ont été constatés pour les entreprises et un trophée d’excellence HSE pour l’OCP en 2018.
Et ce n’est pas le processus d’internationalisation qui va sauver les boîtes marocaines. Plusieurs vont revenir avec de grosses ardoises de leurs aventures africaines. Un des cas les plus emblématiques est celui de Buzzichelli qui a laissé des plumes au Cameroun sur son premier marché clés en main à l’international. Globalement, ce sont des problématiques de «maturité des entreprises nationales» qui sont soulevées par rapport à l’internationalisation. «On ne peut pas être faible chez soi et performer à l’international», affirme un cadre dirigeant du secteur.
Perspectives peu réjouissantes
A toutes ces difficultés s’ajoutent les conditions de financement bancaire et de cautions exigées. «A un certain moment, nous faisions un chiffre d’affaires de près d’un milliard de dirhams qui correspondait exactement aux montants cautionnés», affirme Cecconello. Une situation encore une fois induite par les obligations contractuelles et qui va être compliquée par l’intervention de la banque centrale qui restreindra les conditions de cautionnement, et plus généralement l’appui bancaire au secteur, ce qui a approfondi son marasme. Bien que le secteur ait pu bénéficier de la manne financière des mesures anti-Covid, il n’en demeure pas moins que la situation risque rapidement de dégénérer. «Il faut revoir les conditions de paiement dans le secteur. Il faut payer au prorata des travaux accomplis», estime Cecconello. Pour lui, la plupart des opérateurs paient 20% d’avance, 70% à la livraison et gardent 20% en général sous forme de caution jusqu’à 24 mois après l’entrée en service de l’équipement. Ce qui complique les finances des entreprises marocaines et ne leur permet pas de soumissionner à de nouveaux marchés. Pour lui, «il faut que les clients donnent moins d’avances et paient au fur et mesure de la livraison des unités du projet».
Aujourd’hui, la plupart des entreprises sont en effet en difficultés de trésorerie et sous-capitalisées. «Il faut passer une étape en termes de taille critique. Pour accéder à des marchés importants générateurs de valeur, les boîtes marocaines sont exclues de fait», affirme Cecconello. Pour lui, pour s’en sortir par le haut, il faut «envisager des regroupements de champions nationaux, notamment à travers des rapprochements capitalistiques. Il faut suivre la dynamique d’entreprises comme la Somagec qui porte les couleurs nationales et est en mesure de concurrencer les grosses entreprises mondiales du secteur qui prennent des marchés ici». Par ailleurs, tous les acteurs interviewés sont d’accord sur la nécessité de renforcer le haut du bilan des entreprises. Le Fonds Mohammed VI pour le développement, récemment lancé, suscite beaucoup d’attente dans ce sens. Ayant largement profité de la private equity que ce soit de fonds nationaux ou internationaux, le secteur a besoin d’une nouvelle forme d’accompagnement, notamment capitalistique, à même de le faire grandir. Mais en l’absence d’une réelle prise en considération de la préférence nationale de tous les donneurs d’ordre, les entreprises seront condamnées à rapetisser voire à disparaître. «A ce rythme nous allons finir par nous transformer en simples forgerons», ironise une de nos sources. Et d’ajouter: «Jusqu’à présent le top management des groupes marocains est essentiellement constitué d’ingénieurs qui mettent aussi la main à la pâte dans les projets. Il faut peut-être mettre des financiers et des managers au guidon. C’est ce que tente aujourd’hui Stroc avec le retrait de la direction générale de son fondateur Nabil Ziatt. Reste à voir les résultats. Contactés par nos soins, officiellement et officieusement, les responsables de la Fédération des Industries Métallurgiques, Mécaniques et Electromécaniques (FIMME) dont dépend le secteur n’ont pas donné de suite à nos sollicitations.