Véhicules électriques un virage timide !
Aujourd’hui, l’industrie automobile mondiale prend le virage de l’électrique, quitte à déstabiliser les mécaniques de développement qu’elle a mis des décennies à construire. Entre Green deal et décarbonation, plusieurs lobbies à l’international mettent la pression pour sonner la fin des véhicules thermiques. Au Maroc la volonté y est, sauf que les actions avancent encore au ralenti.
Selon une étude de l’Association des constructeurs automobiles européens (ACEA) réalisée en 2020, sur le marché européen, près d’une voiture particulière sur six immatriculées dans l’Union Européenne est électrique, soit 16,5%. Toujours selon l’association, sur l’ensemble de l’année, plus de 1,36 million de véhicules neufs électriques (ECV) se sont vendus en Europe enregistrant une augmentation de 143,8% comparativement à 2019. Et de façon respective, les trois grands marchés où le véhicule électrique prospère sont ceux de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre. Il faut dire que dans ces pays, pour encourager le développement de la mobilité durable, les initiatives ne manquent pas. Plusieurs milliers d’euros sont alloués pour financer cette transition vers la motorisation alternative. En Allemagne par exemple, le gouvernement fédéral a mobilisé près de 1,9 milliard d’euros pour le financement de 1.000 nouvelles stations électriques d’ici 2023. Ce sont la vitalité et la richesse de l’écosystème des bornes de recharge des véhicules électriques qui positionnent ces pays à l’avant-garde. «Cette avancée de certains pays d’Europe dans le domaine est impulsée par une volonté politique ambitieuse, régulièrement revisitée à mesure que le véhicule électrique gagne en maturité. Et ces pays se donnent les moyens nécessaires pour traduire leurs politiques en actions», nous confie Adil Bennani, président de l’Aivam (Association des Importateurs de Véhicules au Maroc). Et de poursuivre: «En Europe, on considère que la pollution en provenance du secteur du transport terrestre est très importante et que la réduire passe par deux prérequis. D’abord le législatif qui permet de donner de la visibilité aux opérateurs quant à la mise en œuvre de l’échéance d’application des dispositifs normatifs. Et de l’autre côté, la mise en place d’un dispositif incitatif pour le consommateur lambda». Au Maroc, le marché reste balbutiant, même si le sujet de la mobilité verte est une priorité. «La mobilité verte est un sujet qui part d’une volonté de polluer moins. Mais les objectifs en termes de dépollution, qui doivent se décliner en politiques sectorielles, ne sont pas cascadés sur l’ensemble des secteurs. Aujourd’hui, personne ne sait de manière très concrète, aussi bien en matière de transport privé des particuliers que de transports publics, quels sont les objectifs à atteindre pour pouvoir planifier comment les atteindre», explique Bennani qui préconise: «Il faut imaginer un système d’incentive plus volontariste qui est financé par des taxes ou des contributions des gens qui polluent». Une doléance qui sera prise en charge dans l’imminente réforme du régime fiscal. Car le projet de loi-cadre sur la fiscalité, qui a entamé son sprint législatif, prévoit «l’instauration d’une taxe carbone visant à mobiliser les moyens nécessaires pour le financement des politiques publiques en matière de protection de l’environnement».
Pour autant, le Maroc est doté d’une stratégie nationale de développement durable. En 2016, le pays avait abrité la Cop 22, la grand-messe de l’environnement, et avait à l’occasion pris des résolutions dans ce sens. «Sachant que nous avons abrité la Cop 22 et pendant laquelle nous avons pris des engagements d’envergure internationale, une feuille de route suffisamment claire s’impose où le rôle de chacun est défini. Je sais qu’il y a des initiatives ici et là, mais elles restent limitées. D’ailleurs, il suffit de se poser la question sur les encouragements et incitations qu’un acquéreur potentiel de véhicule électrique a à sa disposition pour pourvoir rouler plus propre, l’on se rendrait compte que cette volonté de polluer moins reste quelque chose de théorique, pour ne pas dire anecdotique. Au passage, je rappelle qu’à ce jour, l’indice de pollution d’air dans les villes n’est pas une donnée publique», fait remarquer le président de l’Aivam. Aujourd’hui bien que conscient des enjeux que représente la transition vers les motorisations alternatives, le secteur n’arrive pas encore à trouver le fil d’Ariane pouvant conduire ce projet de grand acabit. Certains blocages freinent l’émulation de l’écosystème électrique marocain.
Un long chemin reste à faire…
«A ce jour, le marché total des motorisations alternatives représente moins de 2% et dans lequel nous avons un seul opérateur qui représente 70% du marché, en l’occurrence Toyota», constate Bennani. Aujourd’hui, à la différence de certains pays, le secteur fait face à certaines barrières qui ralentissent l’évolution du véhicule électrique. Déjà que les consommateurs par préférence pour le moteur thermique montrent de la résistance aux véhicules électriques. Les coûts d’acquisition de ces derniers évalués à 20 ou 30% de plus ne facilitent pas la tâche. «Tant qu’on aura du diesel à côté de l’électrique, il sera moins préféré parce que les gens ont peur du changement. Et d’ailleurs, cela s’est vu chez Toyota. Il a fallu qu’il arrête totalement la production de la motorisation thermique pour que l’électrique prenne son envol», soutient Bennani. De son côté, Adil Gaoui, président de l’Association marocaine pour l’hydrogène et développement durable, appelle à plus d’incitations de la part de l’Etat, ce qui, bien entendu, va encourager les acteurs à importer plus de véhicules électriques. Pour rappel, les mesures législatives mises en place comme les droits de douane limités pour l’importation de véhicules propres ne provenant pas de zones déjà avantagées par des accords de libre-échange, l’exonération de la vignette, ou celles ayant trait à la taxe de luxe, sont appréciées, mais restent insuffisantes pour impulser une réelle dynamique dans ce segment. Pour Adil Gaoui, si «les pouvoirs public souhaitent avoir une qualité de l’air meilleure, ils pourraient imaginer un système d’incentive plus volontariste qui est financé par des taxes ou des contributions des gens qui polluent», confirmant à son tour que «le secteur manque également d’une véritable feuille de route». L’autre inconvénient se situe au niveau de l’infrastructure de recharge, jugée embryonnaire. «L’abordabilité reste un problème majeur. Nous n’avons pas de réseau et nous n’avons pas encore commencé à l’équiper. Je crains qu’arrive un moment où l’offre ne puisse plus être intégrée par manque d’infrastructure. Et même si cela représente un investissement élevé, en l’occurrence près de 250.000 dirhams, il faut accepter le coût financier. C’est quelque chose qui va se démocratiser, qu’on le veuille ou non. Ce serait dommage de louper ce virage technologique», prévient Bennani. Même son de cloche du côté de l’Association de Tesla Club Morocco. L’un de ses membres en la personne de Zouhir Sofiani, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences Techniques (FST) de Mohammedia, nous a confirmé que le manque de bornes de recharge est un véritable handicap. «Il n’y a pas une vraie couverture si ce n’est sur les principaux axes routiers», déplore Zouhir. «Je suis obligé de rouler 35 km pour avoir accès à la borne la plus proche». Notre interlocuteur nous a cependant précisé que cela ne l’a pas empêché de battre du bitume. Il a roulé quelque 85.000 km… gratuitement. Un des avantages des véhicules électriques qui n’ont pas vocation à durer éternellement… Autant en profiter.
Quelques balisages
L’évolution vers la mobilité électrique s’opère «à la vitesse nécessaire», avait répondu le chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani, aux opérateurs qui jugent que les choses n’avancent pas aussi rapidement qu’espéré. Pour l’exécutif, le Maroc prend la question de la mobilité durable très à cœur, avec un organisme spécialement dédié à ce volet. L’Iresen (Institut de Recherche en Énergie Solaire et Énergies Nouvelles) est aux commandes de plusieurs initiatives en faveur de l’électromobilité. Dans ce sens, une nouvelle ligne de production de 300 bornes de recharge mensuellement pour véhicules électriques a été inaugurée le 12 juillet dernier à Benguérir. L’Iresen, en partenariat avec l’Université Mohammed VI Polytechnique, a développé par le biais de sa plateforme de recherche Green Energy Park, des bornes de recharge intelligentes, pour véhicules électriques, 100% marocains. Baptisée «iSmart», cette borne made in Morocco offre plusieurs avantages : une recharge rapide, une connectivité 4G, une plateforme de contrôle et de suivi pour analyser et planifier la recharge, un projecteur intégré permettant la projection d’information et de publicité et un capteur CO2 afin de mesurer la qualité de l’air. Cette unité ambitionne, à travers son extension, d’achever une production annuelle de 5.000 bornes à partir de fin 2022. Ce projet tombe à pic pour renforcer le réseau de recharge, qualifié de talon d’Achille de l’électrification du parc automobile marocain.