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BIM, cheval de troie de l’industrie turque

Entreprises janvier 2018

BIM, cheval de troie de l’industrie turque

Ayant accumulé plusieurs centaines de millions de dirhams de pertes, les magasins BiM continuent leur course effrénée à la taille. Entre modèle hybride de distribution et porte-drapeau des produits turcs, quels sont les projets de BiM au Maroc?

A plus de 2 milliards de dirhams de chiffre d’affaires en 2016, BiM Stores au Maroc dégage plus de 116 millions de dirhams de… pertes! La chaîne de distribution turque n’a en fait jamais remonté de bénéfices depuis son installation en mai 2008 et l’ouverture de son premier magasin en 2009. Avec un rythme de création moyen de 50 à 60 magasins par an, les Turques sont en phase de devenir le plus grand réseau de distribution national en termes d’unités et de capillarité. Visant 389 magasins, à fin 2017, BiM doit en atteindre près de 450 à fin 2018. Un rythme de croissance important, à l’image du groupe, aussi bien en Turquie où il détient près de 6.000 magasins qu’en Egypte où il s’est installé en 2012 et où il a déjà près de 265 magasins, à fin 2017.

Pertes cumulées
Pourtant, une croissance aussi forte sans générer de bénéfices suscite de nombreuses questions dans le secteur. «Si, en phase de lancement, il est normal que la rentabilité ne soit pas au rendez-vous, comment expliquer que plus de huit ans plus tard l’entreprise ne dégage toujours pas de bénéfices tout en continuant à doubler de taille tous les trois ans?», s’interroge un expert du secteur de distribution ayant voulu rester anonyme. La compagnie qui a débuté en 1995 en Turquie, avec une vingtaine de points de vente sous l’enseigne «les Magasins Unis» (BiM en turc), semble suivre la même stratégie là où elle atterrit. En effet, en vingt ans, elle a multiplié sa taille par 260!
Une croissance d’autant plus étonnante que les magasins ne sont pas franchisés. Ils sont gérés et développés en propre démultipliant la capacité d’investissement nécessaire. C’est d’ailleurs en partie ce qui explique l’absence de bénéfice de BiM au Maroc puisque les taux de marges exercés par le discounter ne permettent pas de couvrir ses charges alors même que son chiffre d’affaires ne cesse de croitre. En effet, le taux de croissance moyen de son CA est de l’ordre de 20%, ces dernières années, tout comme son taux de marge commerciale n’a cessé de croitre pour atteindre les 17% en 2016, d’après les chiffres fournis par Inforisk. Néanmoins, ceci n’a pas empêché l’accumulation de pertes obligeant l’entreprise à recapitaliser pour ne pas être en porte à faux avec la législation. En effet, en 2017, BiM Stores a réalisé une double opération. D’une part, une augmentation du capital social de 140 millions de dirhams permettant d’absorber une partie des pertes et d’autre part, le règlement par anticipation de la plupart de ses dettes de financement les ramenant de 416 millions à 76 millions de dirhams. En achetant une partie de ses magasins et en louant une autre, les Turques ont-ils frisé la faillite dans leur course à la taille? Pas si sûr. Ça serait le cœur même de leur modèle de développement. «La course à la taille est en partie due à  leur stratégie logistique», affirme Hamza Rochdi, spécialiste en distribution. Selon lui, pour que BiM puisse optimiser ses coûts, notamment logistique, il doit ouvrir plusieurs magasins les uns à côté des autres, d’une part, pour assurer des volumes nécessaires et, d’autres part, pour baisser les coûts d’acheminement. «C’est ce qu’on appelle un modèle logistique en grappe, qui permet de minimiser le coût pour desservir les magasins par camions et qui permet aussi d’écraser les prix et d’augmenter la marge brute malgré la faible taille des magasins. En ouvrant un magasin, BiM attaque tout le quartier, et il doit démultiplier ses points de vente à l’intérieur du même quartier pour optimiser leurs coûts», analyse Rochdi. En somme, au lieu d’ouvrir un hyper marché, il le saucissonne en plusieurs petits magasins les uns à côté des autres.

BiM devrait clôturer 2017 avec un cumulé de pertes de 700 millions de dirhams

Modèle hybride
Car, pour bien des spécialistes de la distribution, contrairement à ce qui est avancé le plus souvent, BiM n’est pas un hard discounter. «Le modèle de BiM est une innovation dans le domaine de la distribution», analyse Hajar Karmouni, enseignante en modèles de distribution à l’Université Paris-Est. Et d’ajouter: «Le modèle de BiM au Maroc n’est pas vraiment du hard discount. Il se situe entre un supermarché et un convenience store. C’est un magasin de commodités où l’on peut retrouver tout ce dont on a besoin au quotidien mais avec une gamme étroite, c’est-à-dire peu de choix dans les produits et avec des horaires d’ouverture larges». Un modèle de «moul hanout» du coin standardisé et industriellement organisé.
Alors que la plupart des distributeurs se sont orientés au départ vers les modèles d’hyper-marché et supermarché, BiM a, lui, attaqué le segment le moins couru, à savoir les petits magasins de proximité à peine plus grands que les supérettes. «C’est une innovation dans la mesure où dans tous les modèles de distribution, plus la taille est importante, plus la marge est petite, ce qui permet, grâce aux produits d’appel, de vendre de nombreux autres produits et donc de rentabiliser les magasins. Avec BiM, c’est un tout autre modèle. Les magasins sont de petites tailles, ce qui laisse supposer qu’ils seront plus chers que l’hyper, mais c’est le contraire qui se passe», décrypte notre enseignante. Une étude a d’ailleurs confirmé qu’en 2014, pour un panier de 18 références, l’enseigne turque est la moins chère du marché: de 8% par rapport à Acima, de 5% par rapport à Carrefour Market (Label’Vie) et de 2,5% par rapport à Marjane. «BiM a compris que les Marocains sont friands de bonnes affaires. Les promotions du vendredi ont ancré l’acte de consommer chez BiM dans la tête de la consommatrice moyenne», analyse Rochdi. Ainsi, avec les promotions du vendredi mais aussi les produits que les ménagères trouvent chez l’épicier du coin et des marques turques de bonne qualité, BiM a fidélisé sa clientèle et augmenté la fréquence et le temps de passage en magasin.
Ne disposant pas de marque distributeur proprement dit, mais d’un ensemble de partenaires industriels marocains et turques, BiM a surtout permis d’introduire et d’habituer les Marocains à consommer des produits venant d’Anatolie. Disposant d’un accord de libre-échange avec la Turquie, le Maroc est depuis quelques années un marché privilégié pour les marques turques. Et selon plusieurs sources, l’installation de BiM et de ses marques y a grandement contribué. «Alors que les produits chinois ont mis près de vingt ans avant de s’imposer massivement, les produits venant de Turquie ont mis seulement 5 ou 6 ans», affirme Rochdi. Pour lui, la vitrine commerciale qu’offrent les BiM partout au Maroc est un grand avantage et pas seulement pour les produits de consommation courante.

Le grand bazar turc
Il suffit juste de faire un petit tour à Derb Omar, le centre logistique de toute la distribution traditionnelle marocaine représentant plus de 85% du marché, pour le constater. «Alors qu’il y a 5 ans, je vendais 80% de produits chinois et 20% de produits marocains, aujourd’hui c’est quasiment du 40% chinois, 50% turc et moins de 10% marocain», affirme Hicham, grossiste à Derb Omar. Pour lui, la porte d’entrée pour les produits turcs était BiM. «J’ai commencé par acheter en semi-gros certains articles que ramenait BiM le vendredi. Je ne vous révélerai pas comment je procédais mais c’est monnaie courante, pas seulement chez BiM mais dans toutes la grande distribution… Bref, de fil en aiguille, j’ai pu me lier avec des intermédiaires marocains, puis turcs jusqu’à me fournir directement en Turquie dans les mêmes usines qui fabriquent pour BiM», témoigne notre source sous couvert de l’anonymat. Il affirme même que les fournisseurs de BiM ont plusieurs autres clients au Maroc autre que le retailer turc et que ceux-ci profitent du corridor logistique mis en place par la chaîne de magasins. «Quand vous me dites que BiM ne réalise pas de bénéfices, je ne vous crois pas. En réalité, le même produit acheté chez mon fournisseur, coûte dix fois plus en magasin BiM… Et je ne suis pas une exception, en fait, tout Derb Omar adopte le même circuit surtout pour les produits agroalimentaires, de nettoyage et d’hygiène, le cosmétique et les produits textiles, notamment les tapis. C’est devenu un grand bazar turc», affirme sans sourciller celui qui livre en grande partie les patelins perdus de l’Atlas à partir de sa base logistique casablancaise.
De là a affirmer que BiM est devenu la porte d’entrée des industriels turcs au Maroc, il n’y a qu’un pas à faire. Ce qui est sûr, c’est que BiM dégage annuellement 300 millions de dirhams de marge brute et sûrement pas sur des produits marocains vendus moins chers qu’en grande surface. De plus, cette marge est davantage rongée par les charges du personnel et les autres charges externes. A ce rythme, et à partir des tendances des trois dernières années, BiM devrait clôturer 2017 avec un cumulé de pertes équivalant à 700 millions de dirhams. Soit plus du trois quart de son capital, l’obligeant à une recapitalisation. La deuxième en deux ans. Mais jusqu’à quand ?