L’empire Zniber, un héritage qui tangue
C’est une des plus belles histoires de l’agrobusiness marocain qui inquiète le marché. Entre ambitions démesurées, gestion au jour le jour, et endettement galopant, de sombres perspectives se dessinent pour Diana Holding.
C’est une des plus grandes entreprises familiale marocaines qui est aujourd’hui dans l’expectative. Le groupe de la famille Zniber, Diana Holding, vit depuis fin avril sous le couperet de la décision d’amende de 16 millions d’euros de l’Autorité française des marchés financiers (AMF) et plus généralement de la dépréciation de son investissement coté à Paris Marie Brizard Wine & Spirits, anciennement dénommé Belvédère. Au-delà, ce sont la stratégie et les perspectives du groupe agroalimentaire qui intriguent sur le marché, notamment depuis le décès du fondateur du groupe Brahim Zniber en 2016 à l’âge de 96 ans et la prise en main du groupe par sa femme Rita Maria, née Marie-Françoise Duchesne. Globalement la question de la succession a été réglée du vivant du patriarche en distribuant les parts dans Diana Holding entre sa femme (27,3% du capital), son fils Leyth (10%) et quasiment à part égales entre les autres enfants issus du premier et second mariage (entre 3%, 5%, 7%). Par contre, la question de la transmission de la gestion et la stratégie du groupe restent problématiques, surtout depuis l’expiration du plan de développement «5 sur 5» échu en 2020.
Objectifs non atteints
Les objectifs assignés à cette stratégie étaient de réaliser 5 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, à travers 5 pôles, durant 5 ans sur 5 axes stratégiques, et à investir plus de 2 milliards de dirhams. Si l’objectif d’investissement a été globalement atteint, celui du chiffre d’affaires et de la rentabilité n’a pas suivi. En effet, seuls 4 milliards de dirhams de chiffre d’affaires ont été réalisés à la fin 2019 contre 2,4 milliards en 2015. Ce décalage entre objectifs et réalisations est aussi visible pour le résultat net qui tablait sur 158,6 millions de dirhams en 2019 contre une réalisation de 129,3, soit un décalage de plus de 18,4%. Si on peut évoquer la Covid pour justifier cette contreperformance, avec un chiffre d’affaires consolidé de 3,35 milliards de dirhams en 2020, il n’en demeure pas moins que les perspectives de résultats de plusieurs affaires ne sont pas toutes réjouissantes.
Constitué de 16 filiales structurées autour de 5 pôles, le Groupe Zniber s’est lancé dans l’agriculture à l’aube de l’indépendance, notamment via la société Les domaines Brahim Zniber (renommés en 2018 Domaines Zniber) qui ont rassemblé au fil de 60 ans d’acquisitions et de développement les activités de l’amont agricole du groupe. Ces domaines regroupent aujourd’hui 2.600 hectares dédiés à l’arboriculture et aux fruits rouges sur les 8.300 ha exploités par le groupe. Après l’agriculture, le fondateur s’est attaqué à la viticulture et vinification à travers Les Celliers de Meknès fondés en 1976, mais dont l’activité a débuté en 1964 (notamment à travers Somavin). Se spécialisant dans la production et distribution de vins et boissons alcoolisées, le fondateur a adopté la même démarche progressive dans cette activité à travers le rachat de caves et de domaines viticoles ou même la plantation de nouveaux terrains, notamment récupérés à la fin de la colonisation. Cette stratégie de grignotage a permis au groupe d’occuper la position de leader du marché avec près de 60% du chiffre d’affaires au niveau national en vente de vins et spiritueux. Cette activité est en développement permanent avec plusieurs investissements aussi bien dans l’outil de production que dans les ressources humaines. En tout, ce sont 4 domaines qui constituent le cœur de l’entreprise en plus du Domaine Viticole du Sais récemment acquis et les Domaines Oulad Thaleb (Thalvin) de Benslimane qui sont tombés dans l’escarcelle du groupe en 2001, après le rachat d’Ebertec de chez Guy Bacconet, pionnier du vignoble marocain, et son associé Abdelouahab Laraqui. Les Celliers ont aussi développé leur présence dans l’Oriental couvrant, ainsi, la majorité des grandes régions viticoles du pays.
Baisse de rentabilité
Ebertec est le principal client des Celliers et constitue la filiale développement commercial et négoce du groupe. Elle commercialise son produit ainsi que ceux de Thalvin, deuxième producteur national, dans le circuit de la grande distribution, de la restauration et du commerce de proximité. Elle importe aussi du raisin, des alcools ou des intrants en plus de la matière première locale. Elle constitue une des principales filiales du groupe en termes de chiffre d’affaires réalisant même plus que le double du CA des Celliers de Meknès avec plus de 1.400 millions de dirhams en 2019. L’activité distribution et logistique échoie à une autre structure, M.R. Renouvo, qui est aussi tombée dans l’escarcelle du groupe avec l’acquisition d’Ebertec en 2001. Ces trois filiales constituent le pôle vins et spiritueux du groupe et sa principale source de revenu avec près de 2,5 milliards de dirhams de chiffre d’affaires et près de 83 millions de dirhams de résultat net. Sans compter les fees de gestion payées à la maison mère ou les remontées en titres de participations qui ont atteint en 2019 pour l’ensemble du groupe plus d’un milliard de dirhams en 2019. Ces activités ont connu une baisse notable depuis 2012, notamment à cause de la coïncidence de Ramadan avec la saison estivale. L’érosion du CA s’est accentuée à la faveur de la restructuration du marché, l’apparition de nouveaux acteurs mais aussi le désengagement de Marjane et Acima de l’alcool en 2016 qui a essentiellement profité à son concurrent direct disposant de sa propre filière d’importation et de distribution. Pour faire face, dès 2016, Les Celliers vont baisser leurs prix de vente pour prendre en charge une partie de la TIC qui n’a cessé d’augmenter depuis 2013 et qui représente près de 30% des charges d’exploitation. Cette même année Les Celliers vont réaliser leur deuxième année consécutive avec un résultat net négatif malgré un CA de 571 millions de dirhams, en hausse par rapport à 2015. Une première dans leur histoire. Plus tard, les mesures de correction ont semblé un temps fonctionner avec une amélioration des agrégats, jusqu’en 2018 où le CA est reparti à la baisse tout en améliorant la rentabilité de l’entreprise avec un RN de 33 millions de dirhams et un CA de 623 millions en 2019. Il est à signaler que la rentabilité des Celliers de Meknès s’est fortement dégradée depuis 2012.
En pilotage automatique
L’autre pôle d’importance est celui dit industriel, il comporte Atlas Bottling Compagnie (ABC), un des 3 embouteilleurs de Coca-Cola au Maroc, notamment dans la région du nord et de l’Oriental, en plus d’Atlantic Packing, une entreprise d’emballage, et ABCdis, le distributeur du groupe. Ces activités bien qu’elles soient bien intégrées en amont et en aval, souffrent de la conjoncture de baisse globale de consommation des sodas au niveau national (voir EE de janvier 2019, en QR code) et cela bien que le groupe ait aussi investi dans l’embouteillage d’eau de table pour se diversifier encore plus. En 2017, le groupe a réalisé plusieurs investissements comme l’ouverture d’une nouvelle ligne de production d’eau à Oujda et une nouvelle usine de Coca-cola à Tanger nec plus ultra pour un montant global de près de 500 millions de dirhams. L’inauguration de cette unité de production, la plus moderne d’Afrique, a même mobilisé l’ambassadeur des Etats Unis David Fischer dans lors d’une cérémonie grandiose. Toutefois, malgré tous ces efforts, les résultats tardent à se matérialiser du fait de la réalité morose d’un secteur sur-capacitaire. Ainsi le chiffre d’affaires d’ABC n’a pas dépassé les 758 millions de dirhams en 2019 contre 773 millions en 2018. Le niveau de chiffre d’affaires d’ABC en 2019 équivaut ainsi à celui qui était réalisé en 2010-2011. Constituant un des principaux contributeurs des résultats de Diana Holding en termes de titres de participations, les difficultés d’ABC plombé par ses investissements n’augurent rien de bon pour le Groupe Zniber.
Dans l’agroalimentaire toujours, le groupe est diversifié dans les métiers de bouche, notamment dans la volaille et la sardine, dans un pôle dit «protéine». A travers Société Nouvelle de Volaille (SNV), SES Warren (production de poussins) et Atlantic Sardines AnchoviesTantan (Asat), ce pôle se veut être un levier de croissance et de diversification important. Toutefois, bien que doté de moyens importants, SNV, quatrième producteur national d’aliments composés pour bétail et de protéines avicoles, a eu du mal à s’imposer et surtout à être rentable. Dotés de deux usines complètement automatisées, l’entreprise acquise en 1977 n’a cessé d’afficher des résultats nets déficitaires (10 exercices déficitaires sur 15 entre 2005 et 2019) alors même que ses chiffres d’affaires sont importants et frôlent souvent les 600 millions de dirhams. Le CA de l’entreprise a subi une forte baisse depuis 2012 avant de reprendre le chemin de la croissance en 2016. Avec 586 millions de CA en 2019, SNV réalise à peine l’équivalent de son CA de 2008. L’entreprise est très fortement endettée sur le long terme. Asat, elle, est l’une des dernières acquisitions de Diana Holding quasi exclusivement dédiée à l’export de sardine et maquereaux de luxe en boîte, notamment aux USA. Elle a été fondée en 2002 par Groupe Jabri à Agadir, duquel elle a été rachetée en 2016 par Diana Holding. Cette acquisition est venue après plusieurs tentatives de diversification dans le secteur de la pêche et de la conserve de poisson, notamment à l’international, comme une tentative d’achat d’une pêcherie et de conditionnement de thon au Sénégal dès 2010. Réalisant près de 178 millions de dirhams à l’export en 2019, l’entreprise a subi la cyclicité de l’activité de la pêche bien qu’elle maintienne un niveau de rentabilité intéressant, et ce malgré une hausse de ses frais financiers en 2019 de 43%. Le groupe s’est aussi diversifié dans les services ou le tourisme, mais ces activités restent assez marginales, à côté des pôles agroalimentaires. Ce sont donc les filiales agroalimentaires et agricoles, notamment les Domaines Zniber (productions fruitières, conditionnement et logistique) qui assurent les principaux résultats du groupe. Ces mêmes filiales ont connu un très fort endettement depuis 5-6 ans, notamment pour financer les cycles de production et les niveaux élevés d’investissements. Ils connaissent une quasi-stagnation de leurs chiffres laissant entrevoir qu’elles sont presque en pilotage automatique.
Des échéances vitales
Les frais financiers ont ainsi continué à croître durant cette période aussi bien pour les filiales que pour la holding. Celle-ci frôle d’ailleurs le milliard de dirhams en termes d’endettement bancaire en 2019 (981 millions) contre 712 millions en 2015. Et ce n’est pas que vis-à-vis des banques que Diana Holding a des dettes, c’est aussi vis-à-vis de ses fournisseurs. Les dettes fournisseurs de la holding sont passées de 7,5 millions de dirhams en 2015 à plus de 39,4 millions en 2019. Cette augmentation des dettes auprès des fournisseurs est relevée même pour les principales filiales qui ont connu un allongement conséquent de leurs délais de paiement de leurs fournisseurs.
Face à cette situation, de nombreux observateurs restent dans l’expectative et se demandent comment le groupe peut faire face à ses engagements. D’autant plus que le processus de structuration lancée, selon un ancien cadre de la Holding, «pour attirer l’attention des bailleurs de fonds», est arrivé à échéance. Une stratégie qui bien que payante pour la récolte de fonds l’a été beaucoup moins pour la restructuration. Ainsi coup sur coup, Diana Holding a pu nouer des partenariats intéressants et lever de nombreux financements.
Ainsi, c’est en grande pompe qu’a été signé l’accord de prêt et d’accompagnement avec la BEI, le premier pour la banque dans une entreprise marocaine à 100% privée. Il a permis ainsi d’engranger 35 millions d’euros en 2017, qu’il va falloir rembourser. L’autre partenariat est celui avec Fipar, la filiale de la CDG qui a pris un ticket de 22,6% dans les Domaines Zniber en 2018 pour un peu plus de 400 millions de dirhams. Valorisant l’entreprise et ses 2.600 ha de terrains agricoles à près de 1,8 milliard de dirhams. Un investissement qui selon nos sources est arrivé à maturité en 2021. Contacté par EE, Khalid Ziane, DG de Fipar, a décliné tout commentaire. «Je ne peux ni confirmer ni infirmer que nous allons sortir de cet investissement en 2021», a-t-il déclaré. Et d’ajouter: «Nous avons un pacte d’actionnaire qui nous interdit de communiquer sur nos investissements». Le site de la filiale de la CDG est tout aussi pauvre en information, mais selon une source proche de Fipar, l’échéance de sortie était bien le 30 juin 2021. Et ce n’est pas la seule échéance qui pend au nez de Diana Holding, la pire est celle vis-à-vis de Bank of Africa, qui a financé l’équipée française du groupe dirigé par Rita Zniber. Il s’agit de 450 millions de dirhams qui ont servi à l’achat des actions Marie Brizard Wine & Spirits en 2014. Des actions qui ne valent même pas aujourd’hui le 1/7 de leur prix d’acquisition et sur lesquelles le groupe devra payer une amende pour délit d’initié fixé à 16 millions d’euros par le régulateur des marchés français. Selon une information recoupée par EE, plusieurs biens familiaux seraient ainsi mis en vente pour couvrir les nombreuses échéances qui s’accumulent.
Gouvernance familiale
«Ils voulaient réaliser quelque chose qui ne s’était jamais vu au Maroc. Ils ont essayé d’acheter des domaines viticoles en France ou des pêcheries en Afrique avant de tomber sur Marie Blizzard», confie sous le sceau de l’anonymat un ancien cadre du groupe. Et d’ajouter: «Si l’ambition est louable, les moyens, notamment en termes de management, n’ont pas suivi». C’est une sentence qui ressort des nombreux échanges que nous avons eus pour comprendre l’évolution du groupe. Depuis le retrait du fondateur officieusement en 2010 et officiellement en 2014, c’est bien le virage de la modernisation de la gestion de Diana Holding qui a été raté. «Le groupe était doté de plusieurs directeurs généraux, âgés mais très compétents. Pour la plupart, c’était les compagnons de route de Brahim Zniber, issus pour certains du domaine de consulting», relate un ancien de Diana Holding. Depuis, tous ont été mis à la touche, et l’approche de business a été complètement modifiée. D’un groupe qui cherchait à autonomiser les fonctions de management par rapport à celles d’actionnaires, notamment avec une gouvernance bicéphale avec conseil de surveillance et directoire, on est revenu au poste de PDG avec conseil d’administration. Une gestion monopolisée par la nouvelle présidente qui a vite fait le vide autour d’elle, tout en essayant d’impliquer ses enfants avant qu’eux-mêmes ne finissent par se retirer. Plusieurs cadres de Diana holding vont être remercié comme Thami Khettam, le directeur financier ou Rodolphe Muller, le directeur contrôle et consolidation. La valse des RH va continuer avec plusieurs profils qui vont effectuer des passages rapides, comme Brahim Laroui qui a fait un passage éclair avant de partir entre autre pour les Brasseries du Maroc, Marouane Abdelaati (actuel DG du CRI de Souss-Massa), ou Adel El Fakir DG de l’ONMT… «Même si elle ne venait pas du business, elle cherchait à imposer sa vision du groupe et n’écoutait personne, contrairement au fondateur qui était extrêmement bien entouré et bienveillant», témoigne notre ancien cadre. Plusieurs hauts profils vont ainsi se retirer de la gestion que ce soit au sein du groupe ou dans les filiales avec un taux de turnover impressionnant. Résultat des courses: «On est devant un groupe multinational piloté à vue et dominé par des exécutants. Ça se ressent sur le résultat d’exploitation qui est très faible, ce qui plombe la rentabilité du groupe et fait que les filiales sont en train de vivoter», fait remarquer un ancien banquier d’affaires en lien avec une filiale du groupe. Et d’ajouter: «Il faut un management professionnel pour garantir un capital à long terme et une pérennité de l’entreprise». Le même son de cloche est apporté par un banquier de la place: «le groupe va très mal, il est en train de faire rouler sa dette et joue entre les échéances longues et courtes, mais ça ne peut pas durer. Il va finir par se disloquer». Le mot est lâché, et plusieurs parient sur un démantèlement du groupe plus que soixantenaire. Contactée par nos soins, la PDG du groupe Rita Zniber n’a pas souhaité répondre directement à nos questions affirmant lors de notre dernier échange par e-mail: «Je pense qu’il est préférable dans le cadre de l’intérêt que vous marquez à communiquer sur nous de reporter cette communication à la rentrée, début octobre», sic ! Une fin de non-recevoir, à peine masquée, après avoir émis sa disposition à organiser une rencontre virtuelle.