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Tabac, les opérateurs s’enfument

Entreprises août 2019

Tabac, les opérateurs s’enfument

Les prix des tabacs devraient connaître une hausse sensible durant les mois à venir. Le resserrement du maillage réglementaire et fiscal poussera les opérateurs à mieux se conformer.

Une guerre silencieuse bat son plein entre les distributeurs de tabac. Une guerre où tous les coups sont permis, ou presque, et qui aboutira d’une manière inéluctable à une hausse des prix des cigarettes au Maroc. Celle-ci devait déjà être actée lors de la commission d’homologation des prix qui tient habituellement sa seconde session de l’année en juin. Mais qui ne s’est finalement pas tenue.

Des parts de marché en jeu

La mesure devra attendre donc une session exceptionnelle de la commission. Ce qui selon nos sources devrait se faire en septembre. «Il y a beaucoup de lobbying pour retarder au maximum la tenue de cette commission», confie une de nos sources. Et l’enjeu est de taille! Il s’agit tout simplement d’une redistribution des parts de marché entre les diverses parties prenantes. «La distribution du tabac est un marché de volume, où la concurrence se fait essentiellement sur les prix. Toute modification tarifaire se ressent sur les parts de marché», affirme un des opérateurs. Pour sa part, Ibrahimi Jalal, directeur général de Philip Morris Maroc (PMM), avait précisé lors d’une conférence de presse organisée à Casablanca début mai dernier que l’augmentation de 6% du prix des cigarettes a généré une décroissance de 30% des parts de marché de PMM. Pour lui, «les décisions de pricing sont très sensibles. Chaque opérateur a fait en sorte de protéger ses intérêts autant qu’il peut». C’est ainsi une nouvelle bataille de la guerre que se livrent les distributeurs de cigarettes (voir encadré) depuis la libéralisation du secteur démarrée en 2011 suite à la privatisation de la Régie des tabacs en 2003. Celle-ci concerne aujourd’hui l’alignement des distributeurs sur les augmentations de taxes décidées par la loi de finances 2019. En effet, seuls quelques produits ont connu une hausse de moins de 30% de la valeur globale de la taxe. La loi de finances avait ainsi imposé une nouvelle hausse de la Taxe Intérieure sur la Consommation (TIC). Celle-ci a touché aussi bien la taxe spécifique (concernant le produit tabac d’une manière générale) faisant passer le taux minimum de perception de 567 à 630 DH pour 1.000 cigarettes que la partie variable (ad valorem) du taux minimal de pression fiscale qui passe de 53,6 à 58% du prix de vente toutes taxes comprises. Pour les cigarettes premium, l’impact devrait se situer aux alentours de 7 dirhams par paquet. Pour les produits à bas coût l’impact sera de 2 dirhams. Or, il se trouve que pour les best sellers (Marquises, Marlboro et Winston), les opérateurs ont préféré absorber la hausse plutôt que de la répercuter sur le consommateur. Les prix ont donc augmenté pour les cigarettes premium de 1 à 2 dirhams à lieu des 7 prévus, en avril dernier alors que le changement de barème est entré en vigueur dès le 1er janvier. Et alors que le gouvernement commence déjà à préparer la prochaine loi de finances, la polémique sur la hausse ou pas des prix et les manœuvres pour la retarder sont toujours le lot des opérateurs du secteur.

Manque à gagner

Pour rappel, en 2018, la TIC sur les tabacs a rapporté 11 milliards de dirhams à l’Etat. Le recalcul de la taxation devait générer arithmétiquement 1,2 milliard de dirhams supplémentaires. Or il se trouve que l’Etat ne se retrouve pas dans ses calculs face à la résistance des opérateurs, notamment en maintenant les prix impactant de fait la partie de la taxe qui concerne la valeur (Ad valorem). Une non répercussion qui laisse planer le doute sur le respect de la législation sur les tabacs. La loi 46-02 stipule clairement que le prix de vente d’un produit de tabac ne doit pas être inférieur à la somme des droits de douane, des taxes, du coût de fabrication et des marges. Pour couper court aux tergiversations des opérateurs, le ministère des affaires générales avait invité en avril, avec un délai de rigueur fixé au 7 mai, les industriels et les distributeurs à présenter la structure détaillée des prix des produits commercialisés. Il s’agissait de préciser le prix de la matière première, les marges (fabricants, distributeurs et buralistes), coût de distribution, taxes… la sommation concernait aussi la structure des prix des marques homologuées et non encore commercialisées. «Nous avons observé des pratiques non conformes, suite à l’augmentation de la fiscalité et au refus de certains distributeurs d’augmenter leur prix. Logiquement quand la fiscalité augmente, on ne peut plus vendre au même prix sauf si les marges sont suffisamment importantes. Et au niveau de la loi on ne peut pas vendre à perte. Nous sommes en train de vérifier, avec les Affaires Générales, la structure des prix. Pour s’assurer que le prix de revient est inférieur au prix de vente publique nous avons déjà obligé certaines marques à augmenter leur prix d’un dirham ou deux, et maintenant ça va être fait de manière permanente et en profondeur», explique ainsi Nabil Lakhdar, Directeur Général de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII). De fait les opérateurs ont déposé une centaine de structures des prix sur les 140 marques disponibles. Et selon une source bien informée plusieurs incohérences ont d’ores et déjà été relevées. «Il est clair que les opérateurs vont tenter d’augmenter les prix avant que des sanctions tombent de la part de l’État après les redressements effectués par la Douane» (voir encadré). En effet, si l’Etat constate qu’il y a dumping, la DGI et la Douane seront obligées de redresser les opérateurs sur les taxes non perçues à cause d’un prix de vente trop bas et donc d’une compression des marges et de la partie de la taxe sur la valeur. Les opérateurs seront donc doublement sanctionnés d’une part par les variations dans leurs parts de marché et d’autre part par l’impact fiscal d’un redressement.

Jouer la montre

En attendant, «les distributeurs jouent la montre, et espèrent que les conditions réglementaires vont changer», affirme ainsi une source du secteur. De fait, le secteur suit de près l’évolution des négociations entre le Maroc et l’Union Européenne sur le régime d’imposition du secteur des tabacs. Aujourd’hui taxés à 25%, à cause des règles d’origine, la taxation des tabacs importés d’UE devrait baisser à 0% en cas d’accord sur la baisse de la règle d’origine de 70% comme c’est le cas aujourd’hui à 10% comme demandé par les négociateurs européens. Cette baisse pourra renforcer la compétitivité des prix des importateurs et compenser la répercussion de l’augmentation de la TIC sans toucher à leur prix de vente. Une configuration qui semble aujourd’hui bien lointaine selon Nabil Lakhdar. Pour lui, «il y a certes une demande des Européens de changer les conditions de fixation des règles d’origine concernant les tabacs et de baisser le taux du tabac originaire de l’UE par exemple de 70% à 10%. Au niveau du Maroc on trouve que c’est scandaleux, et jusqu’à présent nous n’avons pas encore accepté. Ils nous mettent la pression mais nous n’allons pas accepter sauf si ça rentre dans un cadre plus global où le Maroc peut obtenir des choses en contrepartie. Le manque à gagner pour les ressources de l’Etat est estimé à 250 millions de dirhams en plus de l’impact sur l’industrie locale». Ainsi, c’est une guerre à large échelle que se livrent les opérateurs du secteur où l’enjeu de survie est clairement avancé. Avec un rééquilibrage des parts de marché entre les 3 plus grands opérateurs, Société Marocaine des Tabacs (Marquise), Japan Tobacco International (Winston) et Philip Morris (Marlboro), et le resserrement de vis réglementaire et fiscal, c’est la rentabilité tirée des 13,5 milliards de cigarettes vendues annuellement au Maroc qui les inquiète.