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M’hammed Grine|Président délégué-Fondation CDG

Interview février 2014

M’hammed Grine|Président délégué-Fondation CDG

Un matheux qui a préféré l’économie parce qu’elle sert mieux son idéal politique. M’hammed Grine est un personnage complexe. Sa longue carrière au sein de la CDG lui a permis de développer la carrure d’un vrai commis de l’Etat. Avec touche militante, venue directement des années de plomb, il a tout pour être un leader. Ses avis développés ici dénotent une clairvoyance qui conforte dans cette idée.

On vous présente comme le futur secrétaire général du PPS. N’avez-vous pas cette ambition?
Si j’ai la conviction que les camarades jugent que je suis la personne idoine pour prendre en charge la direction du parti, je répondrai présent. Mais la priorité, aujourd’hui, est à la redéfinition d’une nouvelle architecture de gouvernance du parti; plus moderne et plus démocratique et surtout élaborée de façon participative et consensuelle. Une question qui sera, j’en suis persuadé, au cœur des débats de notre 9ème congrès, qui aura lieu fin mai prochain.

Comment a évolué le PPS entre le premier congrès et aujourd’hui?
Plutôt dans la bonne direction.

C’est-à-dire?
Il faut savoir que bien avant et dès 1966, le parti avait tranché pour ce qui est des grandes orientations et thèses et ce, à trois niveaux: Le premier concernait l’appellation «communiste» qui ne convenait pas dans un Maroc avec les spécificités culturelles et historiques qui sont les siennes. Nous nous sommes dits qu’il valait mieux nous focaliser sur la finalité d’avoir un parti militant pour une société de justice, de droit et de progrès, plutôt que de faire du fétichisme sur l’appellation. Le deuxième niveau se rapportait à la monarchie que nous avions considérée la garante de l’unité et de la stabilité du pays et qu’elle était susceptible d’évoluer vers une monarchie constitutionnelle et démocratique. Le troisième niveau avait trait à l’Islam que nous considérions comme un élément fondateur de l’identité marocaine, mais aussi un levier de progrès sociétal, de par son contenu libérateur.

Avec une référence nettement à gauche, votre alliance avec le PJD n’est-elle pas contre-nature?
Nous ne sommes pas en alliance, mais en coalition gouvernementale sur la base d’un programme gouvernemental commun. Point. Si l’on peut l’appeler une alliance, cela ne saurait être qu’une alliance tactique, des deux côtés d’ailleurs. Personne n’est dupe.

Une alliance à contre-cœur donc?
Non, pas du tout. En politique, toutes les relations se basent sur le consentement et l’on ne peut faire du chemin ensemble que si l’on est consentant. En politique, il n’y a jamais de «relation forcée».

Mais s’il y a un allié infaillible du PJD aujourd’hui, c’est bien le PPS !
Il faut d’abord rappeler que l’alliance entre les deux partis est intervenue au moment où ce qui est communément appelé «printemps arabe» était à son paroxysme. Composer un gouvernement comprenant à la fois des islamistes et des progressistes revenait à envoyer au monde extérieur un signal fort de stabilité et de singularité du Maroc. La préoccupation majeure était de servir les intérêts supérieurs du pays, abstraction faite de nos divergences idéologiques. A ce propos, il faut admettre que nos projets de société respectifs ne sont pas convergents, comme ne l’est pas, d’ailleurs, le projet de société des ultralibéraux par rapport au nôtre. Et il ne faut pas se leurrer. Certes, nous partageons, au sein de la majorité, la même feuille de route, à savoir la déclaration gouvernementale, mais nous ne contribuerons jamais à la réussite d’un projet de société en contradiction avec le nôtre.

C’est comme faire semblant de conduire un navire en équipe tout en essayant de le faire couler !
Disons que nous ramons à notre manière et nous faisons tout pour que le bateau arrive à bon port.

Pourquoi avoir rempilé dans Benkirane II dans ce cas?
Nous avons jugé que la question de la participation a été suffisamment discutée avant de composer le premier gouvernement et qu’il n’était pas nécessaire d’en rediscuter.

Vous faites partie d’un gouvernement qui risque de devenir très impopulaire avec les augmentations répétées de prix. Vous ne craignez pas d’en subir le contrecoup au niveau de votre base électorale?
Il faut dire que même en étant membre de la coalition gouvernementale, nous ne contentons pas d’avaliser, bouche cousue, toutes les mesures proposées; et souvent nous nous retrouvons dans une posture de critique constructive. Vous faites certainement allusion à la décompensation au sujet de laquelle notre position était de dire qu’elle ne devait pas s’effectuer de façon isolée; et qu’elle devait intervenir dans un cadre plus large de réformes économiques globales et avec des mesures d’accompagnement visant la relance de l’économie. A notre sens, on ne doit pas agir par petits bouts.

Mais cela prend beaucoup de temps à mettre en place ce type de démarche globale…
Détrompez-vous, ce sont souvent les mesures parcellaires qui font perdre le plus de temps et compliquent davantage les situations. Aujourd’hui, mettre en place une démarche globale, cela peut aller très vite si on mobilise les ressources et l’expertise nécessaires. Vous définissez vos besoins, vous fournissez l’information, on croise les différents éléments et on met à votre disposition les différentes moutures d’une stratégie de relance. Après, la décision est politique, et elle doit le rester, car c’est le politique qui donne du sens aux conclusions et autres recommandations des experts.

Pourquoi donc avoir préféré le chemin le plus risqué?
D’aucuns au sein de la majorité avancent qu’ils sont capables de prendre des décisions courageuses que d’autres n’ont pas osé prendre. Ils considèrent que si cela n’avait pas été fait de par le passé c’est simplement parce qu’on ne voulait pas le faire. Une manière de voir que je ne partage pas, car elle ne situe pas les choses dans leur contexte politique et social et fait fi des fragiles équilibres socio-économiques, notamment en période de transition où les menaces de turbulence et d’instabilité sont fortement présentes.
Par ailleurs, et je vais peut-être vous surprendre en disant que le Maroc ne connaît pas de véritable crise économique généralisée aujourd’hui, contrairement à ce qu’on ne cesse de marteler. C’est plutôt de difficultés de finances publiques qu’il s’agit, de crises sectorielles (enseignement, justice, administration,…) ; et surtout d’une incapacité à tirer profit des opportunités qui se présentent à nous. Le Maroc n’est pas la Grèce. On est même mieux loti que certains pays voisins, y compris européens. Et il n’y a qu’à voir à quel taux on s’endette. Les bailleurs de fonds ne nous font pas de cadeaux. C’est sur le potentiel du pays qu’ils s’appuient. Le discours de la crise, la crise, la crise,… est l’apanage de sphères nihilistes qui refusent de reconnaître tout ce qui se fait de positif dans le pays; mais aussi de ceux qui veulent faire passer des mesures antipopulaires au nom de la crise au lieu de faire l’effort d’élaborer des politiques courageuses certes, mais surtout efficaces et efficientes.

Sur le plan économique, on sent que le gouvernement ne fait que gérer le quotidien bien loin des discours moralisateurs de campagne. Pourquoi?
Vous savez, c’est facile d’être dans l’opposition; il suffit de dire «non» à tout ce qui est proposé et cela façonne l’acteur politique à tel point qu’une fois aux commandes, il a du mal à se départir de l’opposant qui sommeille en lui. De plus, quand on n’a été que dans l’opposition des années durant, l’on croit qu’il suffit de vouloir pour pouvoir. Or, face à la complexité des problèmes et la gravité des questions à traiter, le bon vouloir ne suffit pas et on en arrive à être presque tétanisé. D’où la tentation pour les solutions de facilité qui conduit à une gestion au jour le jour, et on sombre alors dans un «court-termisme» fatal.

Vous avez plus d’expérience que le PJD, vous auriez pu lui rendre service à ce niveau…
On n’est pas le seul parti à être dans cette situation. Il y a aussi l’Istiqlal et le Mouvement Populaire qui sont même plus expérimentés que nous. Mais en fait, ce qui s’est passé c’est que nous n’avons pas pu mettre en place les mécanismes de fonctionnement d’une véritable majorité qui s’appuie sur les partis politiques qui la composent. On a considéré que la question était réglée une fois qu’on avait arrêté un programme commun et que le gouvernement allait travailler sur cette base. Il aurait fallu s’appuyer sur les partis de la majorité, créer des instances ad hoc, mobiliser leurs experts, anciens ministres, et d’autres ressources ayant l’expérience de la gestion de la chose publique. L’objectif étant de dégager des idées pour pouvoir aborder et réussir les réformes.

Comptez-vous toujours marcher vers l’Algérie comme cela a été rapporté par les médias?
C’est une initiative qui a été grossièrement caricaturée par la presse. Mais en fait, il s’agissait d’une idée très simple: organiser une rencontre entre des économistes, des experts, des chercheurs de tous bords, Marocains et Algériens essentiellement. Il était question de se retrouver dans une capitale européenne pour échanger sur deux aspects: Faire le bilan de l’impact négatif de la fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie et démontrer l’impact positif, sur les plans économique, politique et social, de la réouverture des frontières et ce, aussi bien pour le Maroc et l’Algérie que pour les pays du voisinage, l’Europe notamment. A la fin de ces journées d’étude, on devait sortir avec les éléments d’un plaidoyer, se répartir en délégations pour plaider dans les capitales concernées la cause de la réouverture des frontières entre le Maroc et l’Algérie. Tout cela devait être couronné par un sit-in symbolique des deux côtés des frontières, avec des banderoles portant le même message: «20 ans c’est assez». De bouche à oreille, c’est devenu une marche !

C’est annulé aujourd’hui?
C’est mis en veilleuse le temps que les choses se calment, sachant que l’été prochain sera la date anniversaire des 20 ans de fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie. Peut-être que nous allons commencer par la fin: organiser le sit-in à la date anniversaire, puis la rencontre thématique après.

Quel est votre commentaire sur l’amnistie accordée aux détenteurs d’avoirs et de biens à l’étranger?
C’est une mesure qui a été adoptée par plusieurs pays avec des résultats plutôt satisfaisants, notamment en Espagne, Turquie,… Au Maroc, avec la polémique qui est en train de monter autour de cette question, je pense que cela risque de ne rien donner.

Etes-vous d’accord sur le principe de passer l’éponge sur des crimes financiers?
Moi, j’ai renoncé à ce que des gens qui m’ont torturé soient punis. J’ai été touché dans ma chair, humilié, et j’ai accepté que ces gens-là ne soient pas punis. J’ai eu le dirham symbolique et il me suffit. Nous avons fait la réconciliation avec notre passé de violation des Droits de l’Homme. J’ai envie qu’on fasse aujourd’hui deux autres grandes réconciliations manquantes: sur les crimes économiques mais aussi sur la falsification des élections. Qu’on fasse la vérité sur tout, qu’on mette en place des dispositifs de réparation et qu’on se réconcilie dans la paix.

Vous avez accepté le dirham symbolique; avez-vous renoncé aux excuses de l’Etat?
Il les faut, bien sûr, ces excuses. Pour moi, il ne s’agit forcément pas d’excuses verbales de la part d’un responsable donné. Telles que je les imagine, ces excuses pourraient être sous forme d’une stèle dans un endroit symbolique avec les excuses de l’Etat pour les violations aux Droits de l’Homme commises pendant les années de plomb, gravées dans le marbre. Et je précise que ce ne sont pas seulement les emprisonnements arbitraires et la torture, il y a aussi, et surtout, les disparus. Il s’agit de la préservation active de leur mémoire.

Quelle est la figure historique qui a marqué votre vie?
Personne, a priori. Je n’ai pas de modèle. Quand j’étais adolescent, j’ai commencé par mettre la photo de Abdennasser au-dessus du lit, après je l’ai enlevée et mis celle de Mao que j’ai remplacée par celle de Marx pour finalement tout enlever! J’allais vous dire mon père, mais c’est tellement évident. C’est en fait mon père qui a réconcilié le marxiste que j’étais dans ma jeunesse avec l’Islam. Il m’a influencé surtout par sa conduite exemplaire et son comportement au quotidien.

Sa qualité première?
L’honnêteté intellectuelle, se suffire de ce qu’on a, ne faire de mal à personne, ne dire de mal de personne et surtout aimer son prochain. Seul un grand monsieur est capable d’inculquer à ses enfants ces valeurs-là. Trois jours avant sa mort à plus de 88 ans, il travaillait encore. Et je n’ai qu’un souhait, vivre comme lui et aussi mourir comme lui… paisiblement en 20 minutes !