Mbarka Bouaida
Présider une région associe le besoin d’une vision politique et la rigueur de son exécution qui relève du profil entrepreneurial. Deux attributs que Bouaida assume complètement.
Qu’est-ce que l’on ressent quand on se retrouve 1ère femme présidente d’une région ?
Une certaine satisfaction pour avoir réglé un problème de la région qui souffrait d’un vrai blocage, mais en même temps une très forte responsabilité car la tâche n’est pas facile. Ce n’est pas une élection simple et ce n’est pas une région simple. C’est une région des plus délicates politiquement, des plus pauvres socialement et économiquement, et donc le défi est beaucoup plus grand qu’ailleurs.
Vous étiez la candidate par défaut ?
Non pas du tout, loin de là. Mais j’étais la seule candidate qui pouvait faire le «consensus».
Comment se gère une région avec toutes les rivalités tribales et ethniques qu’elle connaît ?
Avec beaucoup de doigté. De par son statut de porte du Sahara, Guelmim-Oued Noun, étant une région du sud et la première région du sud, est caractérisée par une mixité tribale extraordinaire entre les tribus amazighes et sahraouies qui ont toujours cohabité ensemble. D’un point de vue culturel, c’est une richesse extrêmement forte. D’un point de vue politique, c’est aussi une richesse mais c’est de la rivalité. Nous avons une région, politiquement parlant, extrêmement dynamique par une très forte présence de tous les partis politiques avec des rivalités historiques, qu’elles soient au niveau de la province de Guelmim, Tan-Tan, de Sidi Ifni ou Assa Zag. Et donc forcément, la gestion de ces sensibilités politiques et ethniques demande et exige beaucoup plus de doigté. Je considère que je fais de mon mieux.
Qu’est-ce qui est le plus dur ?
La mentalité et la culture de l’élite politique doivent changer. Un conseil régional a un aspect stratégique. On ne gère pas une région comme on gèrerait une commune rurale ou une mairie. A ce niveau, il y a une confusion dans la tête des élus qui ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre. Pour moi, pour le prochain mandat, il faut que les partis choisissent des listes avec des profils ayant une vision stratégique et la capacité de comprendre la portée stratégique et la nécessité d’avoir un certain équilibre territorial mais stratégique. Il faut choisir, former et encourager une élite politique dans les régions qui va porter ce projet très stratégique de la régionalisation avancée. Le plus dur, c’est de pouvoir partager la même vision stratégique avec les autres élus. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Est-ce que vous faites valoir votre savoir-faire diplomatique dans les temps difficiles?
Certainement. C’est important. Les gens du sud ont beaucoup de fierté, tellement de fierté qu’on peut parfois passer à côté de choses importantes à cause de cette gestion de sensibilités humaines. Il faut savoir prendre les pincettes diplomatiques pour gérer cette fierté et la mentalité des gens, notamment quand on est une femme. Car même si la société sahraouie est matriarcale, la femme y est placée au cœur mais pas toujours au sommet.
Avez-vous été l’objet de discrimination ?
Oui, bien sûr. C’est récurrent, surtout dans des postes éclectiques comme le mien. Il y a un sentiment de discrimination multicritère et à plusieurs niveaux parce qu’on est une femme. Parfois, dans les négociations, certains hommes ne comprennent pas pourquoi on veut imposer notre point de vue, ou pourquoi on a un point de vue tout court. J’ai affaire à des rivaux politiques qui ont des attitudes de petitesse envers ma personne parce qu’ils n’acceptent pas que je sois à ce poste. Récemment, des gens qui protestaient en face de la région contre «la présidente de la région» scandaient: «En tant que femme, rentre chez toi et prépare la cuisine, si jamais tu sais cuisiner». Après, comment lutter contre ces mentalités et les faire changer, je crois que d’abord c’est une question de temps. Dans le cas de la région et dans mon cas, j’ai préféré ne pas perdre mon temps à écouter ces critiques sexistes et travailler. Le travail finit toujours par payer.
Vous avez qualifié la région de «pauvre». Quels sont ses revenus?
Quand je dis que c’est une des régions les plus pauvres, c’est d’abord par rapport au budget de la région, le plus bas, comparé aux autres régions. L’investissement public reste également modeste comparé à d’autres régions. En termes de contribution au PIB national, Guelmim-Oued Noun n’est que faiblement contributeur net. Nous avons quand même une bonne infrastructure de base et qui se complète petit à petit. La région compte deux ports et deux aéroports, dont l’un est considéré comme international. Le projet de voie express qui s’achève dans les mois à venir permettra de désenclaver la région. Nous avons également des services de santé relativement corrects ainsi qu’une amélioration de l’offre du secteur de l’éducation et la formation. Pour le budget de la région, comme vous le savez, il y a la loi organique sur les régions (Ndlr, loi 111.14) qui a été votée en 2015 et qui prévoit d’allouer 5% de l’IS et de l’IR aux budgets des conseils régionaux en plus des 20% du produit de la Taxe sur les Contrats d’Assurance. Il y avait un engagement de l’Etat pour atteindre 10 millions de dirhams en 2021. La région a pris sa quote-part de cet argent. La région est associée au programme de développement intégré qui a été signé en 2016 devant Sa Majesté. Ce programme mobilise 77 milliards de dirhams dont 11 milliards pour la région avec une contribution conséquente du conseil régional et de la région en général. Les projets lancés en 2016 commencent à se réaliser et à se terminer même. Nous sommes à une moyenne de 450 millions de dirhams de budget annuel, ce qui n’était pas le cas il y a des années. Donc en fait, c’est un budget conséquent pour la région et pour le conseil régional et qui devrait donner lieu à de grands investissements.
Quid du domaine des compétences ?
Pour parler des domaines de compétences, la loi organique en prévoit 3 types. Les compétences propres, les compétences partagées et celles transférées ou à transférer. Effectivement, à l’exercice de la régionalisation, nous nous sommes rendu compte que ces compétences n’étaient pas bien définies. Par exemple, on parle d’attractivité économique comme compétence propre, mais l’attractivité économique suppose beaucoup de choses. Pour définir cette attractivité, sommes-nous responsables de la politique industrielle au niveau régional et jusqu’à quel niveau il nous appartient de faire cette politique économique de la région? Les 3 à 4 premières années, chemin faisant, la région a commencé à expérimenter ce qu’elle peut faire et ne pas faire. Dans la plupart des cas, on s’est retrouvés face à des compétences partagées. Pour ne citer que cet exemple, la formation professionnelle a été spécifiée compétence propre à la région. Dans ce cas, que ferait l’OFPPT? En fait, c’est un débat intellectuellement très intéressant et très constructif. En décembre 2019, il y a eu les premières Assises de la régionalisation avancée. C’était un bel exercice où nous avons signé un engagement, nous en tant que présidents des régions avec le gouvernement, pour définir quelles sont les compétences propres d’ici la fin du mandat. Tout cela parce qu’on considère que ce mandat est un mandat constitutif qui a permis d’asseoir les jalons et les bases de cette régionalisation avancée et qu’on ne peut pas finir le mandat et passer la main au prochain conseil sans avoir bien identifié et bien défini les compétences propres. Donc depuis décembre 2019, nous avons organisé beaucoup d’ateliers pour plancher sur les compétences propres. On vient de décliner ce travail qui a été présenté le mois dernier lors d’un grand comité de pilotage présidé par le ministère de l’Intérieur avec l’engagement des différents départements. Donc il y a un travail qui a été fait et qui va être présenté dans les conseils régionaux qui doivent s’approprier ces compétences et qui fera l’objet de mise en place lors du prochain mandat. Maintenant, cela ne veut pas dire qu’on n’exerce pas. On exerce et ce faisant, les compétences se précisent.
Quelles sont les conventions signées avec les ministères ?
Plusieurs. On vient d’ailleurs de signer une convention avec le ministère du Tourisme et d’autres organismes pour lancer nous-mêmes une station thermale. Après, pour le plan d’aménagement maritime pour le développement de grandes stations touristiques, c’est quelque chose qu’on ne saurait pas réaliser seuls. On pourra néanmoins être contributeur ou partenaire. Il faut comprendre que le processus régional est basé sur deux référentiels. Le 1er c’est le PDR, le Plan de développement régional qui doit asseoir la vision stratégique de la région et le SRAT, le Schéma régional d’aménagement territorial qui, lui aussi, aide à compléter la vision économique de la région. En fait, ces deux référentiels nous donnent une vision très claire sur les besoins réels, les objectifs que devrait tracer la région dans les années à venir et aussi les grands secteurs à développer et comment le faire. Il s’agit d’un vrai diagnostic et des propositions concrètes d’aller de l’avant. Nous avons pu, en octobre 2019, faire voter le PDR avec le SRAT, un plan aux alentours de 9 milliards de dirhams qui a été par la suite visé par l’Intérieur. Et depuis, nous avons signé pas mal de conventions. Nous avons, toujours pour l’exemple, de grands projets dans les volets de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Il s’agit de la faculté pluridisciplinaire à Assa Zag, l’Ecole nationale de commerce et de gestion à Guelmim, la faculté des sciences, d’économie et de gestion à Guelmim et de l’Ecole nationale des sciences appliquées à Sidi Ifni. En fait, nous avons installé un véritable pôle universitaire qui va changer le visage de la région dans les années à venir. Tout est dans le pipe pour démarrer les travaux. Parmi les autres conventions, la zone d’activité économique et logistique.
Quel est le taux de réalisation des plans de développement ?
La région a trois grands projets. Il y a le plan de développement intégré, qui concerne les provinces du Sud. C’est un gros volet des fameux 11 milliards de dirhams. Celui-là a démarré fin 2016 début 2017. Le taux de réalisation varie en fonction des axes. Pour la voie express, concernant le tronçon qui nous concerne, nous sommes à 45-50% du fait que la région est montagneuse, à la différence de Dakhla ou Laayoune. Pour tout ce qui est artisanat, la construction des complexes d’artisanat est pratiquement finie. L’hôpital régional, quant à lui, est à quelque 55%. Pour ce qui est ceinture verte, nous accusons du retard à cause des problèmes de foncier. Ensuite, nous avons le volet PRDTS. Sur nos 40%, nous étions en retard mais ces deux dernières années, nous avons mis les bouchées doubles pour rattraper le retard. Je dirais qu’on est bien avancés depuis. Sur le PDR, voté en 2019 et visé en 2020, normalement il donne lieu à un contrat programme de 6 milliards de dirhams que je viens de faire signer par tous les départements ministériels. Il me reste à le faire voter dans la prochaine session, début juillet, mais pour moi les signatures sont actées et ça devrait passer. Donc, disons qu’on est à 50% de taux de réalisation dans l’ensemble.
Votre expérience aux Affaires étrangères vous a-t-elle aidée en matière de coopération internationale décentralisée ?
En effet, c’est une compétence propre qui est intéressante. Nous avons un très bel organisme qui s’appelle l’Association des régions du Maroc (ARM) où il y a beaucoup d’échanges. Cette association sert déjà d’interlocuteur avec l’Intérieur et les départements ministériels sur les grands projets structurants qui concernent toutes les régions, mais c’est aussi une plateforme d’échanges. L’ARM a signé avec son homologue français l’ARF (Ndlr, Association des régions de France) avec laquelle il y a aussi une certaine coopération décentralisée avec les régions. Quand il y a des sujets qui nous tiennent à cœur on le fait. Nous, en tant que région, nous n’avons pas encore signé de contrats mais c’est en cours. Il y a une expression d’intérêt dans plusieurs régions, en Mauritanie, en France, en Espagne, aux îles Canaries, en Russie. J’ai fait venir quelques ambassadeurs, nous sommes en train de voir ce qu’on peut faire, il y a des écrits en cours, mais c’est quelque chose qui prend du temps. Je reçois une délégation de la région d’Occitanie dans les jours à venir avec l’idée de concrétiser une coopération. Et puis aussi je suis arrivée en juillet 2019 et j’ai eu un an et demi de Covid.
Guelmim-Oued Noun en construction, comment la voyez-vous dans le futur proche?
Je vois Guelmim-Oued Noun comme une région qui a beaucoup de potentiel et qui peut être extrêmement attractive dans les années à venir. Il faut désenclaver la région qui se trouve entre deux régions très fortes qui sont Agadir et Laayoune. Quand je dis qu’il faut la désenclaver, elle est en train de se désenclaver parce que la voie express va nous permettre d’aller très vite et de gagner en temps. Et qui dit gain en temps dit gain économique énorme pour les entreprises et pour le transport des marchandises. Aussi en créant une dynamique aérienne, cela permettra de faire venir les gens. N’oublions pas que Guelmim dispose de deux très beaux sites touristiques qui ont déjà été identifiés comme sites stratégiques pour le tourisme marocain dans le plan Azur, en l’occurrence le site «Plage blanche» et le site «Chbika» et qui n’ont jamais démarré depuis 2010.
Pourquoi ça n’a pas démarré ?
Le site touristique Chbika avait été pris par le groupe égyptien Orascom qui avait bien démarré, mais avec le printemps arabe en 2011, ils avaient malheureusement disparu. Après ils sont revenus à la charge, mais difficilement. Nous sommes en train de voir avec le ministère du Tourisme comment reprendre la station, toujours peut-être avec le même opérateur, mais à taille humaine. Il faut rappeler que Orascom voulait reconstituer une sorte de deuxième «Charam El-Cheikh», mais les résultats sont à discuter.
Pour la station balnéaire «Plage blanche», ce projet n’a jamais démarré car il y avait un problème de foncier. Il s’agissait de «Arradi Joumou3» (Ndlr, propriétés collectives). L’assainissement de ce foncier par la SMIT a pris quasi 10 ans. Aujourd’hui, avec le ministère du Tourisme, nous sommes en train de voir comment relancer la station pour chercher de grands opérateurs dans le tourisme. Encore une fois, cela a été freiné par la Covid-19.
Pourquoi le secteur aérien n’est-il pas pris au sérieux ?
La région considère l’aérien comme un secteur prioritaire, d’ailleurs elle subventionne la ligne Casa-Guelmim-Tan-Tan avec Royal Air Maroc.
A combien s’élève la subvention allouée ?
Alors c’est une enveloppe globale de 20 millions de dirhams pour 5 vols hebdomadaires, du lundi au vendredi, opérés en ATR. En mars 2020, la RAM nous a saisis pour nous annoncer la suspension des fréquences à destination de Guelmim-Oued Noun en raison de la Covid. Ensuite, les vols devaient reprendre et ils reprennent tout doucement.
En attendant, la RAM réclame son dû. C’est quoi le problème ?
Le problème avec la RAM c’est que dans le contrat initial dans lequel la région est l’un des plus gros contributeurs, il y a beaucoup d’autres parties prenantes. Il y a l’Agence du sud, le conseil régional, les conseils provinciaux, etc. il suffit qu’un seul des partenaires ne paie pas pour que la facture attende. En ce qui nous concerne, nous avons payé notre part qui est chez l’Agence du sud qui joue, disons, la banque dans ce schéma-là. Le problème aussi avec la RAM, c’est que la compagnie n’arrive pas à avoir un bon taux de remplissage. Nous avons essayé de trouver des solutions pour les prix car malgré la subvention, les tarifs restent relativement chers. Mais pas seulement. De par la proximité avec Agadir, les gens préfèrent se rendre à Agadir pour ensuite prendre les vols vers Rabat ou d’autres destinations. D’autres choisissent la voie terrestre en prenant tout simplement l’autocar. Le prix proposé n’incitait pas à prendre l’avion, les appareils ATR ne plaisent pas aux gens pour des considérations de confort acoustique et vibratoire, les horaires non plus. Nous avons essayé d’agir sur ces trois points, malheureusement la RAM n’était pas contente d’avoir la présence d’Air Arabia dans la région, ce qui a créé une certaine rivalité. La signature avec Air Arabia s’inscrit dans le cadre de la vision de renforcement de la destination de la région. Nous avons signé pour deux vols hebdomadaires qui se faisaient vendredi et lundi et qui sont maintenant passés à vendredi et dimanche. Les premiers feed-back sont positifs, les gens sont contents des tarifs, du confort des appareils Airbus et du timing. Maintenant, nous voulons garder notre partenariat avec Royal Air Maroc, la compagnie nationale. Nous avons également signé avec Binter Canarias, une compagnie aérienne régionale espagnole, pour une desserte Guelmim-Las Palmas.
A quelle hauteur sont-elles subventionnées ?
Nous avons conclu le partenariat avec Air Arabia en octobre 2020 pour un démarrage en décembre 2020. La subvention s’élève à 8 millions de dirhams.
Pour Binter, comme la majorité de la communauté marocaine qui vit dans les îles Canaries est originaire de notre région, nous avons toujours pensé qu’il fallait à la région une ligne directe Las Palmas-Guelmim et à des prix compétitifs. Nous avons signé avec cette compagnie en mars 2020 pour commencer le 25 du même mois, mais avec la Covid et le début du confinement, elle n’a pas encore démarré. 5 millions de dirhams sont réservés à la desserte Las Palmas-Guelmim. Pour la reprise des vols avec la RAM, nous avons sollicité le ministère de tutelle pour avancer dans les négociations.
Votre profil entrepreneurial vous a-t-il aidée à mieux comprendre les desideratas des PME ?
En effet, cela permet de comprendre les entrepreneurs. Vous savez, quand on est dans un conseil de la région, c’est aussi de la gestion politique de la chose publique. C’est important d’avoir le sens de la gestion. Je vous ai tout à l’heure parlé de la compétence de la région, avec comme première compétence l’attractivité économique. Il faut effectivement avoir en tête de manière très présente et continuellement la nécessité de rendre la région très attractive économiquement.
Faut-il mélanger business et politique ?
Je suis contre l’idée qu’un homme ou une femme d’affaires ne doit pas faire de la politique. Elle concerne tous les citoyens et la vie politique en général. Maintenant oui, il ne faut pas qu’il y ait de conflits d’intérêts. Il faut les éviter en mettant les verrous et les verrous sont clairs: on ne peut pas exercer au sein d’une société dans un secteur donné et être impliqué politiquement dans le même secteur. La loi est claire et exige la démission des conseils d’administration. Pour ma part, aujourd’hui je ne suis plus dans les affaires. Je ne fais que de la politique car je reste convaincue aussi qu’il faut savoir séparer les choses pour éviter les situations conflictuelles. Par contre, il ne faut pas rentrer dans le populisme. C’est assez dangereux dans le sens où on est en train de créer de la haine au sein de la société.
Vous parlez de la pression médiatique autour de cette question ?
La pression médiatique autour du sujet est utile comme verrou. C’est bien de savoir et faire savoir qu’il y a des limites à ne pas dépasser. Mais cette presse doit aussi trouver l’équilibre entre le fait de divulguer des informations d’intérêt public et les dérives populistes ou autres délations. C’est dangereux. C’est aussi dommage parce qu’il y a des personnes dans les affaires qui peuvent faire de belles choses.
Quel secteur permet le plus d’identifier des niches de spécialisation ?
Le secteur halieutique, qui est le plus grand pôle économique de la région, présente de réelles opportunités de transformation des produits de la mer. Notamment dans le port de Tan-Tan qui a retrouvé une certaine dynamique ces 3 dernières années et qui connaîtra un essor significatif avec la zone d’activité économique où la région a installé un véritable pôle de transformation et de valorisation des produits de la pêche. L’offre aquacole de la région est considérable, notamment pour Sidi Ifni qui dispose d’un potentiel de plus de 1.300 ha pour l’installation de projets d’aquaculture. Le plan d’aménagement aquacole pour le port de Sidi Ifni est terminé et celui de Tan-Tan est en cours de finalisation. L’agriculture, où plusieurs projets sont déjà identifiés pour une meilleure exploitation agricole, ainsi que l’élevage pastoral, qui enregistre une ascension croissante au fil des années, sont également des secteurs prometteurs et d’avenir.
Quid de la problématique de l’eau ?
Cette problématique est sérieuse et il faudra la résoudre. Vous savez que dans la politique nationale de développement d’usines de dessalement de l’eau de mer, figure déjà une station de dessalement entre Tiznit et Sidi Ifni où la ressource en eau est rare. Il y a aussi l’extension de la déminéralisation de Tan-Tan. Mais nous, en tant que région, nous avons initié deux projets de stations de dessalement pour lesquels nous venons de signer un contrat programme et qui sera présenté au conseil. Il s’agit d’une station à la plage blanche et une autre à Tan-Tan, à l’image de celle qui est Agadir: une station de dessalement intégrée avec l’éolien et à périmètre irrigué. La réponse à ces deux impératifs du désenclavement et de la problématique de l’eau donnera à la région toutes ses chances de bien se développer.
Et en matière d’énergies renouvelables ?
C’est aussi un secteur qui commence à prendre. Nous avons trois gros projets dans le pipe. Ce sont des projets qui concernent la production de l’hydrogène et de l’ammoniac.
Avez-vous des signatures dans ce sens et avec quels partenaires ?
Nous avons un grand projet de production de l’hydrogène de 20 millions de dirhams qui va être mis en place grâce à un partenariat avec l’américain CWP Global, un développeur d’énergies renouvelables, très actif en Europe et en Australie. Nous travaillons avec ce groupe depuis pratiquement deux ans, depuis que j’ai été élue. C’est un projet long-termiste qui est très prometteur, surtout quand on sait que certains pays ont déjà annoncé l’utilisation de l’hydrogène pour 2030. Ce qui est intéressant, ce sont les acheteurs, comme la Grande-Bretagne ou le Japon qui ont annoncé qu’ils passent à l’hydrogène à l’horizon 2030.
Si la région a autant de potentiel, pourquoi a-t-il tardé à être révélé, surtout qu’elle n’est pas totalement en zone de conflit ?
Justement c’est important de poser cette question. Même si elle risque de rester sans réponses claires. Mais il n’est pas interdit de penser que pendant longtemps, la région est restée à la traîne. Il faut reconnaître qu’elle n’a pas eu les investissements qui ont été faits à Dakhla ou à Laayoune. Alors, est-ce que c’est un problème de classe politique qui n’a pas suffisamment su défendre son territoire? C’est possible. Je pense même que c’est fort probable parce que la région est victime de conflits politiques internes qui entravent son avancement. Ou alors est-ce l’Etat marocain qui n’a pas beaucoup investi à Guelmim-Oued Noun parce qu’il faut le dire, les investissements ont beaucoup aidé au développement de certaines régions. Est-ce qu’il n’y a pas eu d’intérêt? Il est vrai que nous ne sommes pas en zone conflictuelle, à part «Al Mahbas» qui est aux mains des Forces armées royales, mais la région est assez bien intégrée, avec néanmoins beaucoup de contestataires. Les habitants justement ne sont pas contents de leur situation dans la région parce qu’ils considèrent qu’ils ont été marginalisés, notamment en matière d’investissements publics. Malgré tout, j’aimerais confirmer que la région a un grand potentiel économique à activer et aussi une histoire passionnante. Vous savez que la dernière présence judaïque dans le sud du Maroc, c’est chez nous ?
La réhabilitation de la culture juive fait-elle partie de votre programme ?
En effet, nous sommes en train de signer une convention de réhabilitation de l’ancienne médina et du patrimoine judaïque. Egalement une grande partie de la culture Hassanie se trouve chez nous, elle côtoie la culture amazighe mais tout le monde est sahraoui.
Vous savez, le patrimoine mixte de la région témoigne de la présence humaine et du passage des civilisations, sans oublier les caravanes commerciales qui passaient par la région et qui ont alimenté cette mixité. Il y a donc un patrimoine culturel énorme, c’est comme une belle maison mais qui a vieilli. Il faut redorer le blason, il faut valoriser l’image et le capital matériel et le capital culturel de la région. Il faut revaloriser aussi à travers de la coopération internationale. J’ai des amis qui viennent de Tombouctou qui disent que Tombouctou et Guelmim ont le même climat et qu’ils se retrouvent un peu chez eux. Avant, c’était un peu ça, on avait des familles de Guelmim qu’on retrouvait en Mauritanie, au Mali et vice-versa. C’est le vivre-ensemble interculturel des tribus.
Votre holding familiale est dans les hydrocarbures. J’aimerais revenir avec vous sur le rapport sur les surprofits des distributeurs hydrocarbures (dans sa 1ère version) et la polémique sur les 17 milliards de DH, un chiffre retenu par les Marocains…
Alors, ce n’est pas le sujet sur lequel je veux me prononcer, cela fait longtemps que je ne suis plus dans le secteur des hydrocarbures. Mais je vais vous donner mon avis. Je trouve que c’est un secteur qui a été jusqu’à maintenant bien structuré et bien transparent dans sa gestion, et c’est difficile qu’il y ait des dépassements dans des secteurs aussi transparents. Les opérateurs pour leur plupart sont cotés en Bourse. Malheureusement, je pense que c’est une question qui a été extrêmement politisée. D’ailleurs, on a vu l’évolution de la situation et comment le sujet a été récupéré politiquement. La contradiction autour de l’affaire est terrible. Lahcen Daoudi, l’ancien ministre délégué aux Affaires générales et à la Gouvernance, avait bien fini par dire que ces chiffres n’existaient pas. Comment 17 milliards de DH peuvent-ils être récupérés par les opérateurs au détriment des consommateurs et en l’absence de l’Etat? Où est cet Etat? Il y a un problème. Le fait est que ces chiffres sont sortis pour attaquer une région et, à travers cette région, attaquer tout un secteur. Sauf que cette instrumentalisation à tout-va pour attaquer des secteurs structurels crée une méfiance dangereuse vis-à-vis des citoyens et fait fuir les investisseurs, les prochains investisseurs et les investisseurs actuels. L’image du secteur se dégrade petit à petit à cause de ces débats hautement populistes. Il ne faut pas oublier que le développement économique d’un pays passe d’abord par l’installation de la confiance.
Je pense que le débat n’est pas là, mais dans la sécurité énergétique du pays et comment l’assurer. On l’a vu avec l’épisode la Samir quand les opérateurs ont bien pu assurer cette sécurité énergétique, qui se fait à travers plus d’investissements qui sont très lourds. C’est l’utilisation des produits d’hydrocarbures de plus en plus propres, c’est la création d’emploi et c’est la diversité et le développement envers des énergies renouvelables parce que c’est l’avenir. Et c’est là-dessus que le débat devra se concentrer.
Est-il vrai que Petrom, la filiale de votre groupe Holsatek, s’implante en Espagne, comme le souligne un média ibérique ?
En fait non, la presse avait dû mal comprendre. C’est une société de transport international pour avoir une carte d’essence avec le partenaire. Il fallait créer une filiale en Espagne porteuse de la carte tout simplement.
La politique d’investissement est claire, elle suit le développement du marché. La courbe des hydrocarbures est corrélée au PIB du pays. On ne peut pas se développer au-delà du marché. Sauf si le marché est à un moment donné saturé ou limité. Pour la création de stations de services, le groupe a une politique d’ouverture d’une dizaine de stations par an, en propre ou en participation.
Quid de la configuration politique au sein du RNI ? N’y a-t-il pas de lutte de pouvoir?
Comme dans tous les partis politiques. Mais je dirais la contrainte, les luttes sont moins prononcées au sein du RNI parce qu’on est quand même un parti qui a toujours été relativement discipliné dans le sens où on accepte la voie de l’institution, on accepte les choix du bureau politique et du président. Quand bien même les gens ne sont pas très contents, ils finissent par les accepter. Je pense que la nouvelle équipe, notamment Aziz Akhannouch, a enclenché «une mini révolution», comme quelqu’un a déjà dit, dans le sens où il a bouleversé les pratiques anciennes du parti en créant de nouvelles structures et des organismes parallèles. Il a aussi ouvert le parti à de nouvelles compétences…
Qualifiées de parachutées…
Que le parti soit ouvert à des compétences je trouve que c’est nécessaire. Qu’il fasse le bilan et évalue ses propres militants, c’est nécessaire. Que les choses ne restent pas figées, c’est aussi nécessaire. L’ancienneté de l’appartenance n’est pas suffisante pour justifier d’un poste, au détriment de la qualité de son rendu. Par contre si du sang neuf peut assurer la fonction, si la personne a les qualificatifs et la compétence pour…
Vous avez eu des dissidents aussi, notamment votre cousin Abderrahim Bouaida qui a transhumé vers l’Istiqlal…
Oui, nous en avons eu. Ils sont partis ailleurs et je trouve cela dommage. D’ailleurs ce mercato politique, qui ne concerne pas que le RNI mais tous les partis politiques, ne donne pas une bonne image de la politique auprès des citoyens.
Y aura-il un «Bouaida contre Bouaida» pour les prochaines élections ?
(Rires) je ne sais pas. Ethiquement parlant, il vaut mieux éviter ces cas de figure, notamment même vis-à-vis de l’opinion publique. Il avait sa place au sein du RNI, il était président de la région avant moi. J’ai réglé le problème avec lui et avec d’autres dans le propre intérêt de la région qui est restée bloquée pendant longtemps. C’est dire que les conventions ne passaient pas, les projets aussi.
Comment jugez-vous l’intervention de l’Intérieur pour (bloquer ?) débloquer la situation ?
Le blocage était là depuis 2017 parce que mon cousin avait perdu sa majorité, du coup le budget n’a pas été visé.
Mais le budget avait été bloqué avant…
Oui en effet, même avant de perdre sa majorité, le budget a été rejeté parce qu’il avait des lacunes. Quand il est revenu pour le présenter, il avait perdu sa majorité. Au bout d’un an et demi de blocage, l’Etat, l’Intérieur a jugé bon d’intervenir. C’est une décision qui demandait soit une dissolution du conseil pour aller à des élections anticipées, soit la démission du président, et c’est ce qui est d’usage quand un président perd la majorité. Mais lui, pour plusieurs raisons que je comprends, il n’a pas démissionné. L’Intérieur a opté pour une suspension du conseil, il a créé une commission spéciale présidée par le Wali qui avait géré le conseil, en attendant il a appelé les membres à négocier pour trouver une solution. Juste pour vous dire que c’est quelque chose qui arrive aussi ailleurs, j’ai été en Nouvelle-Zélande où j’ai vu la même situation. La solution qu’on a trouvée finalement c’est que le président démissionne. J’ai négocié moi-même avec lui sa démission et il était d’accord et comme j’étais au cœur de ces négociations et de la résolution du problème de blocage, le choix de la majorité avait opté pour que je sois moi la présidente, inclus mon cousin. Après, c’est vrai il a changé d’avis et il est parti.
Dans le Maroc du nouveau modèle de développement, elle se voit où Mbarka Bouaida ?
Honnêtement, pour le moment, je suis très passionnée, intellectuellement parlant, par le succès de la régionalisation avancée. C’est un chantier auquel je crois beaucoup et je pense que tout politicien devrait aspirer d’abord au développement régional et territorial.