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Paris sportifs, entre monopole et artifices digitaux

Dossier août 2021

Paris sportifs, entre monopole et artifices digitaux

La MDJS dispose d’un monopole sur le pari sportif, alors que la Sorec est le gestionnaire exclusif des courses hippiques lui conférant une exclusivité corollaire de la gestion du pari mutuel. Parallèlement, les bookmakers en ligne attirent de plus en plus de joueurs marocains, grâce à la diversité de leur offre et un taux de retour au joueur plus avantageux. Le cadre légal, interdisant le jeu en dehors de ces deux opérateurs, semble ainsi dépassé par l’évolution digitale du pari.

Le secteur des paris sportifs est particulier au Maroc. Alors que le cadre légal ne comprend aucun texte de loi qui interdit aux citoyens marocains de jouer, seule la Marocaine des jeux et des sports dispose d’une autorisation spécifique qui lui confère l’exclusivité sur l’exploitation des paris sportifs sur le territoire national. Cette autorisation prend la forme d’un décret paraphé par le chef du gouvernement ainsi que les ministres des Finances et de l’Intérieur. C’est dire à quel point l’Etat souhaite contrôler ce secteur. Il en résulte une situation de monopole qui ne se limite pas à ce cadre simpliste. En effet, les parieurs marocains sont interdits de faire des paris via des bookmakers internationaux. Mais en pratique, il est de notoriété publique que les parieurs, surtout ceux disposant d’identifiants en Europe, tentent leur chance en dehors des paris disponibles au Maroc. Ils sont aussi limités par la couverture géographique des sites de paris internationaux, qui ont dans la plupart des cas une couverture continentale seulement. Par exemple, on ne peut pas parier à travers des bookmakers situés sur le sol américain. Au Maroc et ailleurs, les joueurs privilégient les sites connus et réputés localement et à l’échelle mondiale, respectant la notion dont se targue d’ailleurs la MDJS: le jeu responsable. Ce concept est un leitmotiv qui revient souvent dans les campagnes de communication de tous les acteurs des paris sportifs. En tout cas, parier à l’étranger pour un citoyen marocain n’est pas légal, ce qui n’empêche pas les produits de la MDJS, Totofoot et Cote & Sport essentiellement, de subir la concurrence en ligne des bookmakers situés hors du Maroc. Entre les lois et les règles d’un côté et la réalité de la pratique des paris sportifs d’un autre, il existe parfois une zone d’ombre dont les joueurs ne rechignent pas à piétiner. Pour peaufiner toutes ces informations recueillies sur le terrain, nous avons sollicité Younes El Mechrafi, directeur général de la MDJS, qui n’a pas donné suite à notre demande.
Une situation de monopole profitable

La dernière décennie a connu une montée notoire du chiffre d’affaires de la MDJS. Selon les données disponibles, le CA a plus que doublé en moins de dix ans. Il est passé d’environ 800 MDH en 2010 pour franchir la barre de 2 milliards de dirhams en 2017. De 2017 jusqu’à aujourd’hui, la performance de la MDJS a suivi visiblement la même tendance, si ce n’est la longue parenthèse de la pandémie qui est venue la perturber. En 2017 aussi, la contribution au Fonds national du développement du sport (FNDS) a atteint 345 millions de dirhams, ce qui représente une augmentation de plus de 300% par rapport à 2010. Cette obligation de contribution au FNDS, un compte spécial du Trésor, rentre dans le cadre des mesures prises par le Royaume, à la fois pour réguler le secteur des paris sportifs et pour fournir des fonds aux compétitions sportives. L’ordonnateur de ce fonds n’est d’ailleurs que le ministre de la Jeunesse et des Sports, également président du conseil d’administration de la MJDS.
Ainsi, l’activité de la société a triplé au cours de cette période, avec une croissance annuelle moyenne d’environ 18%. C’est plus ou moins l’objectif annoncé avant 2010, traduisant une évolution du lien entre les compétitions sportives au Maroc et l’attrait du pari, renforcé par le boom digital. Autre chiffre publié par la MDJS quelques années auparavant, les lots gagnants versés aux joueurs ont dépassé 1,3 milliard de dirhams. Nous ne disposons malheureusement pas de chiffres antérieurs à cette statistique, mais vu la croissance du chiffre d’affaires, la distribution des lots gagnants a sans aucun doute augmenté au cours de la dernière décennie, en toute logique. Depuis 2021, la donne a changé.
Cette situation de monopole crée une autre situation parallèle dans le domaine du sponsoring. La MDJS est présente dans tous les sports, aux côtés des grands sponsors comme Group OCP, quelques opérateurs économiques ou les collectivités territoriales. Le ciblage étant large, toutes les activités sportives sont concernées, y compris des sports non populaires comme la course féminine, les sports de glisse aquatique, le badminton ou même des sports collectifs moins réputés que le football, comme le basket-ball. Ce ciblage atteint même les compétitions organisées dans les quartiers et les Olympiades, que ce soit dans le monde rural ou dans les quartiers périphériques des villes. A ce propos, il est connu que les points de vente de la MDJS, au nombre de plus d’environ 1.300, sont plus difficiles à installer dans les petites villes et les villages. Malgré cela, la MDJS arrive à y réaliser une partie de son chiffre d’affaires. Mais, en toute logique, c’est dans les grandes villes que la plus grande partie des bénéfices est réalisée. A Casablanca, la MDJS dispose d’environ 200 points de vente qui lui garantissent une distribution géographique très efficace. Certains de ces points sont devenus au fil du temps des repères incontournables du pari dans la capitale économique.
Le pari se transforme

La MDJS a pris également le virage africain depuis quelques années, avec la signature de plusieurs accords en Afrique subsaharienne, notamment avec le Sénégal, puis le Burkina Faso, le Mali et le Bénin. Si ces accords ne concernent pas les paris, ils touchent la certification et les systèmes de qualité. L’accord signé avec la loterie nationale sénégalaise en est un exemple. On ne sait pas si ces accords évolueront vers les paris ou non, mais cela est invraisemblable.
Ce qui a évolué sont les offres qui ont transformé le rapport au pari, surtout avec le lancement du «pari en direct pendant le match». Cette offre via le canal mobile s’est effectuée à un moment où le comportement du consommateur s’est complètement transformé, avec une majorité de clients optant pour le canal mobile.
Mais la plus grande évolution est l’e-sport, un créneau dans lequel la MDJS a investi massivement au cours des dernières années. En mars 2019, elle a organisé un premier tournoi. La formule d’accompagnement adoptée est bien évidemment le sponsoring que la nouvelle direction E-Sport Brand supervise au profit d’e-sportifs nationaux, notamment lors de participations aux tournois mondiaux. L’étape suivante fut la tenue de compétitions nationales inscrites dans les programmes des championnats internationaux d’e-sport. Septembre 2019, la MJDS a mis en place la Fifa MDJS E-Sport qui a organisé le Casablanca World Fighters en partenariat avec l’éditeur japonais de jeux video SNK. Environ 200 joueurs originaires d’une douzaine de pays y ont pris part.
Pour la MDJS, ce virage de l’e-sport a été l’occasion de renouer avec le canal de télévision. En effet, l’opérateur a lancé 3ich l’game, une émission télévisée diffusée sur la deuxième chaîne nationale, consacrée à l’e-sport et ciblant à la fois les experts et les joueurs. En termes d’audience, cette émission a drainé un million de vues par épisode, transmis sur télévision et en ligne, et plus de 2 millions de vues sur YouTube, selon les chiffres publiés par la MDJS. Une couverture tout aussi tentaculaire, à l’image de la mainmise sur le pari sportif au Maroc.