Le grand test de la réforme des EEP
En juillet 2020, Sa Majesté traçait dans son discours du Trône la feuille de route de la réforme de l’administration publique. Il appelait au lancement «d’une réforme profonde du secteur public pour corriger les dysfonctionnements structurels des entreprises publiques, garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives et rehausser leur efficience économique et sociale».
Quelques semaines plus tard, le ministre de l’économie et des finances expliquait aux parlementaires à quoi ressemblera cette restructuration. C’est un énorme chantier que Mohamed Benchaaboun dévoilait et qui depuis a fait couler beaucoup d’encre. Un Etat dans l’Etat qui gèrera toutes les participations stratégiques de l’Etat avec des prérogatives d’exécution, rien à voir avec ce qu’était la DEPP, qui n’était rien plus qu’un bureau d’ordre.
Face à la très sévère crise économique que traverse le Maroc, l’Etat n’a plus le choix que de prendre ce taureau par les cornes. En 2020 seulement, l’Etat a injecté près de 36 milliards de dirhams dans ses EEP, sans parler de leur endettement qui frôle les 300 milliards de dirhams, soit 25% de la dette de l’Etat. A se demander à quoi servent ces 268 entreprises et leurs 492 filiales si elles ne font que peser dans le budget de l’Etat. C’est visiblement la même conclusion qui a nourri le discours du Trône de 2020 qui est à l’origine de la grande lessive à laquelle nous assistons.
En mai dernier, le gouvernement a dévoilé l’acte I de cette réforme, en annonçant la fusion des 3 chaînes de télévision publiques; le pôle SNRT avec 2M et Medi1TV. En juillet il annonce la création d’un holding financier qui regrouperait les participations de l’Etat dans plusieurs banques, notamment le Crédit Agricole du Maroc, le CIH Bank, CDG Capital et éventuellement le FEC. Le même mois on apprend le rachat de 35% de Marsa Maroc par TangerMed SA. J’imagine que les annonces de restructuration de ce pôle vont continuer à nous surprendre dans les mois à venir.
Mais le ministre Benchaaboun – ou son successeur -aussi écouté et soutenu soit-il (…), pourra-t-il aller jusqu’au bout de cette réforme qui sera vraisemblablement très douloureuse? Pour créer une cohérence optimale entre les missions des différents EEP et rehausser leur efficience, cela nécessitera du courage politique et un esprit entreprenant.
Tout d’abord rappelons que cette réforme mènera vers la dissolution ou la liquidation des EEP à caractère non commercial et dont l’activité n’est plus d’actualité. Elle procèdera aussi à la création de pôles homogènes qui présentent une taille critique et qui devront rationaliser leur gestion et se mettre en phase avec leur époque. Pour atteindre ces deux objectifs, des plans sociaux massifs sont inévitables.
Cette méga-réforme qui se déploie sous la pression de la crise sanitaire s’apparente à un jeu à haut risque.
Je me demande si le prochain gouvernement aura le courage d’aller de l’avant en visant la fermeture de dizaines de sociétés, et le licenciement de milliers voire de dizaines de milliers de fonctionnaires.
Il y a aussi un sujet idéologique. En cette époque où l’Etat est très attendu sur des sujets de protection des citoyens, peut-il assumer des décisions dignes d’un capitalisme anglo-saxon ?
Et enfin, même si toutes ces conditions étaient remplies, comment transformer la culture de fonctionnariat des 130.000 employés des établissements publics en une culture axée sur la performance? Sur ce même registre, où sont ces hauts potentiels qui accepteront cette mission impossible, sachant que l’Etat a perdu de sa capacité d’attraction?
La réforme du pôle public est une des solutions pour amenuiser le déficit de l’Etat et améliorer la performance de ses entreprises. Pour réussir elle doit être accompagnée par un changement d’état d’esprit top down.