Il n’est de richesse que d’hommes*
Le Maroc a longtemps survendu son capital géographique et ses atouts politiques qui ont favorisé son ouverture au commerce international. La définition des infrastructures dans lesquelles le pays a investi durant les deux dernières décennies est extensive. Ports, aéroports, autoroutes… y figurent en bonne place. Mais au-delà des routes et des ponts, de l’énergie renouvelable, le Maroc rechigne encore à investir dans sa population, véritable facteur clé de tout développement. Les investissements dans la santé, la protection sociale, l’éducation et l’emploi, qui sont les fondements du capital humain, n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritent, ni l’ingénierie efficiente ou la méthodologie appliquée aux politiques sectorielles. Comme tout capital, le capital humain peut pourtant augmenter, sous l’effet de meilleurs services d’éducation et de santé. De nombreux rapports font le lien, chiffres à l’appui, entre investissements dans la santé et l’éducation et croissance du PIB.
Il n’est cependant pas exagéré de dire que la protection sociale a réalisé quelques satisfecits. Le Maroc vient de franchir une nouvelle étape en matière de cohésion sociale avec la généralisation de la protection sociale, actée en avril dernier par le Roi Mohammed VI. L’exécution de ce grand chantier se fera par étape avec, dès 2022, l’élargissement de l’Assurance maladie obligatoire à 22 millions nouveaux bénéficiaires, puis la généralisation des allocations familiales et, dès 2025 l’élargissement de l’assiette des adhérents aux régimes de retraite. Une gageüre qui mérite tout de même d’être soutenue vu que la Banque mondiale et l’OMS affirment que la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) permet à elle seule la réalisation des 17 Objectifs du Développement Durable de l’ONU.
Par contre, le Maroc souffre (encore) depuis plusieurs années déjà du statut de dernier de la classe en matière d’éducation, avec d’importantes lacunes au chapitre des compétences. L’insuccès de la réforme de l’éducation depuis l’adoption de la charte de l’éducation en 2000 a fait l’objet de beaucoup de rapports alarmants. La transformation digitale, qui a donné naissance à de nouveaux outils et de nouveaux métiers, est venue compliquer la donne. Comment dès lors se préparer aux nouveaux métiers qui seront créés dans les prochaines décennies alors que l’enseignement marocain est incapable de suivre les tendances actuelles? Dans un monde en transition, l’éducation est pourtant devenue essentielle dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Comme l’indique l’OCDE, la qualité de l’enseignement peut être «une variable prédictive très probante de la prospérité économique des Nations». C’est dire l’urgence aujourd’hui d’une «renaissance éducative», inclusive et pas excluante. L’importance accordée à l’éducation est aussi justifiée par la nécessité de répondre aux fortes attentes des citoyens marocains consultés dans le cadre du Nouveau modèle de développement et qui ont placé l’éducation et la santé de qualité parmi leurs grandes priorités. «L’Education n’est pas une priorité, c’est La priorité», disait à juste titre Mehdi Ben Barka. Si le Maroc ne part pas de ce postulat (classique), il ne parviendra jamais à tirer le plus grand dividende économique de cette richesse immatérielle.
*Jean Bodin