21 familles à suivre
Des noms souvent inconnus, des fortunes discrètes, mais de plus en plus visibles et ayant connu un fort développement ces dix dernières années dans des régions éloignées du centre économique du Royaume. C’est le pari qu’essaye de relever cette enquête. Florilège.
Du Sahara à l’Oriental, du Souss au Tafilalt, du Nord au centre, Economie Entreprises a essayé de retracer des histoires de réussites dans le business de figures locales qui ont parfois des envergures nationales. De la famille Sbayou à Houar, de Mojahid à Belhassan, de Belmekki à El Mokhlis… nous racontons les histoires de 21 groupes et d’autant de familles qui génèrent de la valeur et créent de la richesse dans 10 régions du Maroc. Au-delà, nous essayons d’analyser les caractéristiques profondes de ces réussites, leurs atouts mais aussi leurs faiblesses. Voici les principaux points communs et autres faits stylisés.
Des régions peu propices
«Vivons cachés, vivons heureux», semble être la devise des groupes marocains moyens et des fortunes dans les régions du royaume. Tout comme les grands groupes et leurs principaux actionnaires, les affaires des visages montants ou plus anciens du capitalisme national au niveau régional sont difficiles à retracer, y compris à travers les comptes publics déposés auprès du tribunal. C’est une des principales caractéristiques que nous avons pu relever durant cette enquête. «Veuillez nous excuser et évitez de nous exposer», est une réclamation que nous avons eue à plusieurs reprises durant notre compilation, alors même que la plupart des portraits ont une connotation assez positive, voire promeuvent une réussite dans les affaires assez difficile à réaliser dans les conditions du Maroc.
L’autre constat est en lien avec une surreprésentation de certaines régions, plutôt propices aux affaires ou avec un sens entrepreneurial plus développé que d’autres. Alors même que nous avons essayé d’équilibrer le nombre de profils selon 10 régions, en évitant les «vieilles» fortunes, notamment celle de l’axe Casa-Rabat, comme apriori méthodologique. Les régions du Souss, de Marrakech ou de Fès-Meknès ressortent ainsi du lot. D’autres régions ne sont quasiment pas représentées. Par contre, on retrouve des diasporas importantes qui ont pu accumuler des fortunes importantes, notamment en plaçant des sièges sociaux et en mettant en place des industries dans l’axe Casa-Rabat, voire dans d’autres régions plus propices au business dans le territoire national. La règle de la proximité que ce soit du «Maroc utile» ou des centres de pouvoir économico-politique s’est maintenue ces 20 dernières années. Cette situation n’est démentie que pour des groupes dont les fondateurs ou leurs héritiers ont un capital politique assez fort en étant des membres actifs de partis politiques, des élus locaux ou au niveau d’une des deux Chambres. Le business rime ainsi (trop) souvent avec la politique.
Business politique
Au niveau sectoriel, cette plongée dans les régions révèle une très grande concentration des activités dans des secteurs particuliers comme le BTP et matériaux de construction, le transport et la logistique, la diversification systématique dans l’immobilier. D’autres secteurs comme l’agrobusiness et l’alimentation sont d’autres faiseurs de fortunes au Maroc. L’adage populaire qui dit que pour réussir au Maroc, il faut faire dans la pierre et la nourriture ne se dément pas. Et même l’autre secteur phare des années 80-90 qui est le textile semble être quasiment passé à la trappe, sauf pour quelques anciens groupes qui tentent des reconversions dans le prêt-à-porter ou le textile technique et industriel. Le fait que les fortunes soient connectées au BTP, aux matériaux de construction et à l’immobilier, semble aussi être lié au capital politique. Que ce soit pour l’accès privilégié à l’information, pour l’obtention d’agréments pour des carrières, pierre angulaire des marges dans ces secteurs, ou tout simplement la facilitation des procédures administratives, la proximité de la politique peut être un facteur déterminant dans le développement des affaires.
Holdings à gogo
La dynamique de diversification et d’intégration des chaînes de valeur que nous avons pu constater, se double, du moins à partir de 2014, par une tendance forte de rassemblements et de structurations des diverses affaires ou pôles d’activité sous forme de holdings de participations. Cette tendance a été observée surtout pour les entreprises constituées dans les années 80 et 90. Elle peut aussi bien être en lien avec la neutralisation fiscale de ces opérations proposée par la Loi de Finances entre 2014 et 2015 qu’avec une volonté de modernisation de la gestion et une meilleure visibilité. D’ailleurs, la plupart des sites web des entreprises qui ont été créés à cette époque respectent plus ou moins la même architecture. Des sites par ailleurs très faibles en capital informationnel. Les entreprises qui ont adopté cette structuration sont aussi dotées de services de Recherche et Développement (R&D) ou bien ont racheté des boîtes de consulting ou d’ingénierie qu’ils ont absorbées ou inclues dans leur périmètre. Nous avons observé ceci aussi bien au sein des entreprises dans le BTP, les matériaux de construction que celles se spécialisant dans l’agroalimentaire. Une volonté manifeste donc de se moderniser, parfois de se visibiliser vis-à-vis de tiers. Ou encore la perception d’opportunités dans des optimisations de process.
Dominante familiale
Cette modernisation industrielle ne s’accompagne pas forcément de modernisation managériale. Puisqu’on ne relève, que dans de rares cas, une des personnes externes à la famille ou bien au cercle proche intégrer des postes de top management. Même dans les cas où le fondateur ou la deuxième génération qui a développé l’entreprise arrive à l’âge de la retraite, ce sont en général les enfants qui occupent des postes clés allant de DG à DGA. Le père gardant systématiquement le poste de PDG. Le maintien du caractère familial de la structure de gouvernance, bien qu’elle se rajeunisse, maintient en quelque sorte le lien et assure la transmission mais aussi la continuité dans les modes de management, bien que les héritiers et plus rarement les héritières soient assez jeunes. Cette réticence à l’ouverture vers l’extérieur va aussi à l’égard des outils de financements. Les activités qui se développent étant majoritairement cash-rich, le niveau d’endettement sur le long terme des groupes recensés est en général faible à part pour certains groupes où le fondateur de l’entreprise est encore aux commandes ou bien pour les entreprises qui ont adopté une stratégie de croissance exogène et qui ont racheté des unités de production ou encore en ont créé de nouvelles ces dernières années. On peut relever cela à l’absence de nantissement du fonds de commerce ou à l’apport d’autre garantie qui est dans la plupart du temps absent. Le recours au capital-investissement ou bien à des investisseurs externes à la famille ou internationaux est aussi très marginal, voire inexistant pour la plus grosse majorité des entreprises présentées.
Avec le déplacement croissant des activités en dehors des zones de création des entreprises, en général vers l’axe Casa-Rabat, on relève dans certains cas, notamment dans les entreprises avec une dominance d’activité dans le BTP, ou la distribution et dans une moindre mesure l’agroalimentaire, un début d’internationalisation vers les marchés africains. Bien qu’encore timide, cette tendance a pu être observée pour certains groupes avec la restructuration des activités à la moitié des années 2010. Autre fait marquant, la création de joint-ventures ou des partenariats avec des entreprises turques, que ce soit pour distribuer des produits fabriqués en Turquie, ou pour la production directement en Turquie à destination du marché marocain, ou encore pour des marchés d’exportation, notamment en Afrique subsaharienne. La notion des Accords de libre-échange et la réflexion en termes de marchés mondiaux comme des opportunités offertes sont ainsi complètement intégrées dans les stratégies de croissance de nombreux groupes moyens que nous avons pu observer alors même que très rares sont ceux qui réalisent des chiffres d’affaires à l’export plus importants que ceux réalisés sur le marché local.