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Des professionnels peu emballés !

Dossier juillet 2021

Des professionnels peu emballés !

Les mécanismes de calcul de l’IS et de l’IR ont un grand côté arbitraire et se heurtent à la pratique du cash. C’est ce qui pousse les professionnels à contester la pertinence des mesures fiscales en vigueur.

En 2020, les recettes fiscales agricoles collectées représentent à peine quelque 10% de l’objectif évalué préalablement. Eu égard aux circonstances ayant accompagné la genèse de la fiscalité d’agriculture, et le manque palpable de volonté politique, ce projet s’annonce ainsi très mal. Mais il ne s’agit pas des seules raisons de l’échec, l’arrivée à maturité d’une bonne partie des projets agricoles, lancés de manière concomitante avec le Plan Maroc Vert, n’étant pas encore d’actualité. De plus, d’un côté, l’évolution de l’agriculture au Maroc, vivrière depuis le lendemain de l’indépendance, n’a pas été accompagnée d’un assainissement capable de rendre ce secteur une source sûre de recettes fiscales. D’un autre côté, les exploitants non constitués en sociétés, assujettis à l’IR, sont imposés selon un régime forfaitaire qui différencie entre les terres irriguées et non irriguées et permet d’estimer la productivité de chaque hectare (ou pied pour les parcelles non irriguées). Déterminer le montant à payer dépend donc des estimations des commissions communales et non d’un système comptable bien ciselé. Pour les sociétés agricoles soumises à l’IS, le système de comptabilité se heurte au recours à l’espèce et au manque de traçabilité. Le Plan comptable agricole, lui, a été validé en décembre 2015, censé accompagner les nouvelles dispositions apportées par la Loi de Finances 2014. Mais il semble ne pas avoir apporté un grand changement.
Un marché agricole particulier

Les producteurs, eux-mêmes, ne semblent pas emballés par cette fiscalité, telle qu’elle a été introduite et implémentée, «car n’ayant pas pris en compte les spécificités du secteur». Le seuil imposable de 5 millions de dirhams, qui érode de manière exagérée la base imposable, est jugé, paradoxalement, excessif par l’Association marocaine des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL). Le motif avancé par Khalid Saidi, son président, est le manque de rentabilité, essentiellement en ce qui concerne la filière des fruits et légumes. Celle-ci est, dit-il, connue pour être soumise aux aléas climatiques et entraîner de grandes charges. Selon l’APEFEL, elles peuvent s’élever à entre 50.000 et 70.000 dirhams par hectare pour une culture comme les tomates. Cela reste des estimations, en attendant une étude commandée par l’APEFEL. Quoi qu’il en soit, comparé au seuil exonéré annuellement de l’IR du salaire, il n’y a pas photo.
Bien qu’elle soit légalement hors champ de la TVA, le président de l’APEFEL avance que l’agriculture n’a jamais été exonérée dans les faits. Il insiste sur l’impossibilité pour les agriculteurs exportateurs de récupérer les sommes déductibles de TVA, car plusieurs dépenses sont réglées en cash. L’exemple qui revient le plus souvent est le fumier, dont le coût avoisine 20.000 dirhams l’hectare annuellement pour la tomate. «Les transactions de ce genre se font sans facture bien évidemment et le Plan comptable agricole actuel ne permet pas de les comptabiliser. Même chose pour les ouvriers et leur transport», se lamente Khalid Saidi. Comment les producteurs gèrent-ils ces contingences? On ne le sait pas. Par contre, on avance le chiffre de 30% de dépenses non-facturables dans la filière des légumes et fruits.
Les moyens de production, comme les tubes en PVC utilisés à d’autres fins que l’agriculture, sont assujettis à cette taxe. Néanmoins, cela ne concerne pas le CA réalisé, précise Aziz Messaoudi, enseignant-chercheur en finances publiques. Pour ce qui est des doléances de l’APEFEL, la liste s’allonge. «L’entrée dans les marchés de gros est également payante. De surcroît, l’accès à certains marchés de gros nécessite une taxe parafiscale de 7%, répercutée directement sur le consommateur. Ce pourcentage, les producteurs auraient pu le récupérer directement si la vente se faisait au consommateur sans intermédiaire. Les agrégateurs pourront le faire grâce à une nouvelle loi», poursuit Khalid Saidi. Cela est de bon augure pour les producteurs de la filière, mais, faut-il le préciser, l’industrie de transformation agroalimentaire n’est pas exonérée. Cela englobe plusieurs activités qui vont des conserves jusqu’au marché des volailles utilisant des moyens industriels dans leurs procédés de production.
L’export change tout

C’est décidément la casquette d’exportateur qui change la donne de l’assujettissement à la TVA. Le marché de l’export, lui, demeure le cheval de bataille des investisseurs de la filière des fruits et légumes. D’une manière ou d’une autre, l’export permet, selon Khalid Saidi, de subventionner le marché local. Comment? Les bénéfices engendrés par l’exportation permettent aux producteurs d’écouler la marchandise sur le marché local au prix de revient. Mais cette filière connaît sur son territoire une concurrence de la part des entreprises européennes, notamment espagnoles, qualifiées de rude par l’APEFEL. Le marché européen couvrant toute l’année, les exportateurs nationaux, de la tomate en l’occurrence, un des plus importants produits nationaux, se sentent lésés à cause de la saisonnalité locale. D’un autre côté, ils font face à une panoplie de barrières à l’entrée du marché espagnol, et européen de manière générale. Cette concurrence rentre dans le cadre de ce que le président de l’APEFEL appelle «spécificité de l’agriculture non tenue en compte par le dispositif fiscal agricole en vigueur».
Enfin, l’agriculture est un des rares secteurs où on évoque le niveau intellectuel et l’analphabétisme comme caractéristiques saillantes. Moins de 3% des exploitations de plus de 20 ha sont administrées par des personnes ayant un niveau supérieur d’instruction. Parallèlement, 81% des exploitants agricoles sont analphabètes. Cela a-t-il un lien avec la culture du cash prédominante dans le secteur? Nous n’avons aucun moyen objectif de faire le lien entre les deux. Cela dit, le manque de traçabilité mène à la fraude, qui se manifeste généralement sous forme de fausse déclaration. Concernant l’aversion à la comptabilité et à la traçabilité, elle ne trouve pas son origine uniquement dans le niveau inférieur d’instruction. Il est vrai que moins on est instruit, plus on rechigne à fournir ou demander des factures, mais cela relève essentiellement d’une culture locale prédominante.