Le mythe de la transmission
Le taux directeur est l’un des principaux outils de la politique monétaire. Celui-ci a largement été utilisé pour sauvegarder la rentabilité des banques plutôt que la stimulation du crédit.
Y a-t-il transmission des politiques monétaires? C’est la question qui se pose quand on observe l’évolution des taux d’intérêt en relation avec les taux directeurs de la banque centrale. Les deux derniers rapports de politique monétaire présentés à l’occasion des réunions trimestrielles de Bank Al-Maghrib relèvent une augmentation continue du taux débiteur global, alors que la demande de crédit devrait décélérer pour s’établir à 3,5% et que le taux de croissance du PIB attendu est de 5,3%.
Les taux débiteurs moyens sont ainsi passés de 4,34% en moyenne au 3ème trimestre 2020 à 4,45% au premier trimestre 2021, après une hausse à 4,42% en moyenne au dernier trimestre de 2020. Ce sont essentiellement les taux des crédits aux particuliers qui ont sensiblement augmenté au dernier trimestre passant de 4,98 à 5,19% avec un maintien du taux des crédits immobiliers et un glissement à la hausse des crédits à la consommation qui ont crû de 10 points de base sur le trimestre.
Baisse non appliquée
Les crédits aux entreprises sont eux restés quasiment stables d’un trimestre à l’autre, mais ont quand même augmenté par rapport au 3ème trimestre 2020 en 6 mois de 4,16% à 4,23%. Cette hausse est essentiellement drivée par les crédits de trésorerie qui ont crû de 10 points en 6 mois et les crédits à l’équipement qui ont évolué positivement de 11 points en 3 mois. Selon le rapport de BAM, concernant cette catégorie ce sont essentiellement les crédits orientés vers les TPME qui ont connu la plus grande évolution positive estimée à +40 points sur le trimestre alors que les prêts pour les grandes entreprises ont décru de 24 points sur la même période.
Si on remonte le fil, depuis la baisse du taux directeur de 75 points de base entre mars et juin 2020, l’effort du régulateur n’a pas eu l’effet escompté sur les conditions de financement. Sur 12 mois, la baisse du taux global des taux était de 44 PdB, soit une transmission des mesures de la banque centrale de moins de 60%. Sur les 9 derniers mois la baisse du taux était à peine de 10 PdB, c’est-à-dire une répercussion d’à peine 20% de la baisse concédée par BAM après la seconde baisse du taux directeur de 50 PdB de juin 2020. Dans le détail, sur l’année, la baisse pour les crédits particuliers a été de 32 PdB, alors que celle pour les entreprises n’était que de près de 53 points de base en 12 mois cela alors même que l’Etat a mobilisé plusieurs dispositifs de relance garantis par lui ainsi que des lignes de refinancements bancaires et le programme Intilaka à taux fixe de 2%.
La remontée des taux moyens de ces deux derniers trimestres va donc à contresens d’une application du taux directeur. Mieux encore, elle a permis d’améliorer la marge d’intermédiation théorique du secteur (différence entre le taux moyen global et le coût du refinancement) de près de 16 PdB entre le premier trimestre 2020 et le 1er trimestre 2021 la faisant passer de 289 PdB à 295 PdB. Ceci alors que le coût de la ressource bancaire calculé par BAM pour le secteur est le plus faible depuis 10 ans. Celui-ci était de 1,84% en 2012 contre 1,23% en juin 2020 selon les derniers chiffres fournis par la direction de la supervision bancaire publiés en février 2021.
Pour le wali de la banque centrale interpellé en marge de la conférence de presse tenue en virtuel le 22 juin sur la transmission des politiques de la banque, «la transmission de la politique monétaire est un point que nous suivons de très près. Mais il ne faut pas oublier une chose. Il y a eu des moratoires qui ont porté sur 118 milliards de dirhams. Après juin, 67% ont été régularisés. Le reste est traité au cas par cas [dans le cadre des incidents de payement, NDLR]». Pour le gouverneur, les conditions applicables à ces créances ont changé, ce qui de fait induit un durcissement des conditions de financements», Ainsi, le principal argument avancé par le régulateur concernant la hausse des marges d’intermédiation est l’exigence du maintien de la rentabilité bancaire. «300 points de base, ce n’est pas énorme. Il faut regarder les résultats 2020 du système bancaire. Il a perdu la moitié de sa rentabilité en 2020. Que ce soit sur le plan social ou consolidé. Il a perdu la moitié du rendement de ses actifs». Un point important soulevé par la dernière note de recherche de CDG Capital (les chiffres de la banque centrale ne seront disponibles qu’à la fin juillet), qui montre que le ROE des banques cotées, c’est-à-dire le rendement de leurs capitaux propres, est passé de 10,4% à 5,1% entre 2019 et 2020. Une baisse effectivement de plus de 50%.
Circulez, y a rien à voir !
Toutefois, ce que ne dit pas le gouverneur c’est que cette rentabilité a été oblitérée non pas par les conditions générales du marché bancaire qui a certes contribué à amortir la crise en contrepartie des incentives importantes octroyées notamment par la banque centrale et la CCG, mais ce résultat a été affecté par les contributions concédées par les banques au fonds Covid. Toutes les banques ont ainsi versé entre quelques dizaines de millions de dirhams à plus d’un milliard en contribution au fonds de solidarité. Des «dons» ont été comptabilisés comme charges non courantes au niveau des comptes sociaux des banques et qui par ailleurs ont été défiscalisés. Des contributions qui n’ont pas empêché le secteur de distribuer des dividendes, alors même que la banque centrale le leur avait expressément interdit. Et comme le souligne la note de CDG Capital publiée fin mai 2021, «afin d’analyser l’évolution de la rentabilité des banques hors effet coût du risque [amorti par les coûts de refinancement et les mesures d’accompagnement, NDLR] et les contributions au fonds Covid, nous proposons d’analyser le ratio RBE/total actif. Ce dernier a affiché un léger repli de 0,1% pour s’établir à 1,87% à fin 2020». C’est-à-dire que finalement si on isole les éléments exceptionnels qui ont touché tous les secteurs, les banques ont réalisé des résultats d’une année moyenne. On peut donc légitimement estimer que les banques ont bien résisté à la crise en grande partie grâce aux largeurs de la banque centrale, leur permettant de leur garantir des conditions de financement exceptionnelles. Ce qui a peut-être poussé le gouverneur à préciser dans sa réponse que «ça ne veut pas dire que ça justifie que les banques puissent se rattraper. Ce que je veux dire c’est que les banques réadaptent les taux en fonction des conditions pour qu’elles les louent de nouveau à leur clientèle qu’elle soit entreprises ou ménages». Et d’ajouter: «Les choses doivent être bien étudiées entre les réaménagements et le coût du risque et l’appréciation du risque doit rester raisonnable et c’est notre rôle en tant que régulateur dans le cadre de la transmission de la politique monétaire de voir que ces aménagements restent raisonnables et supportables. Qu’elles répondent à une négociation équilibrée entre le client et la banque», Or, ce qui apparaît est que cette réadaptation des conditions de financement est avant tout en faveur de la banque et non pas du client final comme montré plus haut. Ceci fait que l’essentiel de la baisse du taux directeur a été capté en marge. Une situation qui renvoie à la réalité d’un secteur hyper-concentré (80% des crédits octroyés par 5 banques en 2019), ce qui biaise toute concurrence et donc équilibre de négociation, principal canal de transmission des politiques monétaires. L’autre élément à relever pour expliquer la non transmission de la baisse des taux directeurs est que les coefficients d’exploitation restent élevés en comparaison avec des pays comparables comme montré dans une enquête publiée en février dernier sur EE (voir QR Code) nécessitant des changements douloureux dans les business models, notamment en lançant la rémunération des dépôts à même d’équilibrer la cherté des coûts d’intermédiation.