Il faut sauver le soldat Sapress
Sapress subit deux crises. La situation impose une refonte de son modèle économique. Sans quoi, toute la filière se trouvera au pied du mur.
Sapress ne vit pas une période facile. S’ajoutant à une situation déjà structurellement fragile, la crise sanitaire constitue un choc conjoncturel négatif pour cet unique opérateur du secteur de la distribution de la presse. En effet, déjà fragilisée avant l’émergence de la pandémie dans le sillage de la baisse des volumes des ventes qui s’est opérée graduellement il y a de cela quelques années, la société a subi une nouvelle saignée avec la suspension de la publication des journaux pendant les mois de confinement qui a (encore) fait baisser les ventes de 67%. Une entreprise classique se verrait sans doute poussée à la liquidation. Mais dans le cas de Sapress, d’importance systémique, les conséquences d’une faillite non contrôlée auraient un effet domino nocif pour les éditeurs et les marchands de presse. EE a rencontré Amine Benchekri, directeur général de Sapress, pour s’enquérir du modèle de fonctionnement du distributeur.
Modèle économique défaillant
Avant de relater le business model de la boîte, voici un bref rappel de l’historique. Ce sont deux entités qui se partageaient la logistique du livre et de la presse depuis 1920, Sapress, la Société arabo-africaine de distribution, d’édition et de presse, et Sochepress, la Société chérifienne de distribution et de presse. En 2019, les deux entités ont finalisé un rapprochement capitalistique et opérationnel. Cet accord avait permis au groupe Edito Ventures, détenteur de Sapress, de prendre le contrôle de Sapress et d’assurer une distribution globale sur l’ensemble du territoire national. Actuellement, l’entreprise compte à son actif quelque 400 collaborateurs dans les 23 agences à l’échelle nationale, en plus des deux centrales à Casablanca, ainsi qu’un parc de 150 véhicules. Quant au modèle économique, le service de distribution est rémunéré sur la base d’une commission sur les ventes, partagée à part égale avec le kiosquier. Pour comprendre le cheminement de la prestation, le directeur général nous a exposé les différentes étapes relatives à la distribution. Après réception des imprimés pour certains, car généralement les éditeurs font appel à Sapress pour se charger de la récupération des journaux de chez l’imprimeur, les colis sont préparés dans les enceintes du distributeur. Vient ensuite la phase de transport dans les différentes régions du royaume, appelé communément transport primaire. D’ailleurs, pour Dakhla, les colis sont acheminés par voie aérienne. Arrivés à destination, place au transport secondaire qui se charge du dispatching des colis dans les différents points de vente sous la contrainte temps. «Comme il s’agit d’un produit ultra frais, la presse quotidienne doit parvenir aux kiosques avant 9h du matin. Ce timing dépassé, l’impact sur les ventes est irrévocable, ce qui nous complique davantage la tâche, d’où la nécessité de démultiplier les moyens de distribution. De surcroît, nous ne privilégions aucune région par rapport à une autre», vante Amine Benchekri. Et la mission ne s’arrête pas à ce niveau. Les équipes s’attellent également à la récupération des invendus. Une fois la collecte effectuée, place au comptage avant l’expédition à la centrale de Casablanca pour un retour aux éditeurs. En parallèle, l’équipe chargée du recouvrement procède à une tournée auprès des points de vente. Ainsi, les incidents de parcours sont du ressort du distributeur qui assume toutes les pertes éventuelles.
Toutefois, c’est une planification qui nécessite autant de moyens, mais dont le modèle économique est loin d’être rentable eu égard au contexte actuel, selon le directeur général. Pour schématiser, un colis de journaux de 10 kg livré dans un point de vente dans une des régions du pays rapporte en commissions moins de 9 dirhams. Les coûts internes s’élèvent à 66 dirhams par colis ventilés comme suit: 30 dirhams de logistique aller, 25 de logistique retour et 11 dirhams de traitement de préparation jusqu’à la restitution des invendus par les éditeurs. S’ajoute à cela la forte concurrence de Poste Maroc qui facture le colis de 10 kg à 61 dirhams. «Il y a un volume de taille critique qui permet de couvrir les charges. Aujourd’hui, nous perdons tous les jours 57 dirhams par colis expédié surtout que les coûts logistiques sont fixes alors que le volume de vente est variable. Compte tenu du volume de ventes actuel, pour réaliser un bénéfice, le prix de vente devrait être multiplié par 4 ou 5, ce qui est impensable», déplore Benchekri. Face à de telles évolutions, la rentabilité pour une entreprise comme Sapress ressemble à une mission impossible, tellement elle n’a plus les moyens de financer son exploitation et ses investissements.
Plan de survie
Des efforts colossaux ont déjà été déployés afin de trouver une issue. La seule option qui s’offrait était d’injecter de l’argent pour sauver la mise. Les actionnaires ont en effet mis la main à la poche et ont déboursé plus de 150 millions de dirhams ces 5 dernières années afin de mener des opérations salvatrices. Sauf que la Covid-19 a été la goutte qui a fait déborder le vase. La situation devient intenable et la riposte envisagée devrait aller au-delà du replâtrage financier. Sapress fonde ainsi tous ses espoirs sur la décision des pouvoirs publics concernant l’adoption d’un nouveau modèle économique approprié et dont les discussions ont été entamées avec les différentes parties prenantes bien avant la crise sanitaire. Le top management déclare sur une note d’optimisme que les échanges avancent bon train. Les différents documents susceptibles de renseigner sur les comptes et la santé financière de l’entité, en toute transparence, ont été présentés. Mieux encore, Sapress n’a pas lésiné sur les moyens pour passer au crible son système de management de planification et d’organisation. Elle a ainsi eu recours aux services de cabinets spécialisés pour obtenir en avril dernier la certification ISO 9001, la norme internationale qui reconnaît les pratiques du Management de la qualité. «Contrairement aux prérequis, il ne s’agit pas d’un business prospère. La société survit grâce aux actionnaires en attendant de voir sur quoi vont aboutir les mécanismes de soutien à la distribution prévus dans l’article 7 du code de la presse et qui permettront de trouver un équilibre dans l’équation. En revanche, le facteur temps est déterminant», insiste le directeur général. Malgré des lueurs d’espoir à l’horizon, la direction affiche ses craintes par rapport au temps d’exécution. En ce qui concerne le modèle adéquat, l’entité estime que le vrai coût de la distribution devrait être facturé aux éditeurs. Après calcul, la différence devrait être sous forme de subvention à la distribution, à l’instar des pays européens, accordée aux éditeurs et non au distributeur. Et selon le directeur général, le nouveau modèle économique reposera probablement sur ce mode de fonctionnement. Mais entre-temps, l’état critique de la société ne l’a pas empêchée de déployer ses ailes vers d’autres horizons, chose qui l’aurait éloignée de son cœur de métier. Depuis près de deux ans, Sapress a développé son expertise au profit de la messagerie et logistique. Un savoir-faire qui lui a permis de vite se faire une place sur le marché. Cette diversification d’activité représente un relais de croissance pour l’entité. Actuellement, elle compte surtout des e-commerçants comme clients. Certains ont même confié la gestion de stock et la préparation des commandes à Sapress. Elle travaille également avec des entreprises logistiques pour assurer le transport. «C’est plus simple de gérer la partie logistique que la distribution de la presse qui reste fortement contraignante. J’ajouterais que chaque métier alimente l’autre par ses bonnes pratiques. D’ailleurs, nous avons instauré des systèmes informatiques de planification, de gestion de tracking. C’est le même système qui a été dupliqué», conclut Benchekri.