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Compétitivité logistique, échec complet !

Enquête juillet 2021

Compétitivité logistique, échec complet !

Le Maroc a toujours joué la carte de la proximité avec l’Europe en termes de compétitivité logistique. Mais, malgré les efforts, il est resté loin du compte.

Le Maroc joue l’atout de la proximité géographique avec les marchés européens pour se rêver en hub logistique. Du moins en théorie. Dans les faits, le fossé logistique qui frappe le pays freine encore cette ambition. Pénalisé par tous les critères, le Maroc pointe désespérément au 109e rang mondial pour ses performances logistiques, selon le classement 2018 «Logistics Performance Index» (LPI) de la Banque mondiale (BM). Il recule de 23 places par rapport au rating précédent, en 2016. Impensable mais vrai, depuis que le Maroc s’est doté en 2010 d’une stratégie logistique nationale pour développer sa compétitivité en la matière, la BM le déclasse constamment sur la base des indicateurs de performance logistique. Dans un pays comme le Maroc où les coûts logistiques sont des plus élevés, «ce n’est souvent pas la distance entre les partenaires commerciaux, mais la fiabilité de la chaîne logistique qui est le principal facteur de renchérissement de ces coûts», souligne le spécialiste du transport et fondateur du projet LPI, Jean-François Arvis, cité dans le communiqué de la BM. Un rating souvent réfuté du côté officiel marocain sous prétexte qu’il ne doit pas être considéré comme un outil de diagnostic exhaustif. Car les évolutions rapides rendent les paramètres d’évaluation des performances logistiques de plus en plus complexes. Soit. Mais il n’en demeure pas moins un point de référence qui «permet aux décideurs d’avoir une vision concrète de l’efficacité de leur pays par rapport aux autres en termes d’acheminement des biens entre les frontières et d’accès aux chaînes logistiques internationales», dixit la BM.
L’indice agrège déjà six critères: l’efficacité des dédouanements, la qualité des infrastructures, la compétitivité des transports, la compétence des services logistiques, les systèmes de suivi des envois et les délais d’acheminement. What else ?
Une compétitivité au ralenti
La stratégie logistique marocaine, 11 ans après son lancement, enregistre quelques réussites mais déplore surtout d’importants retards. Parmi les objectifs phares de la feuille de route figure la réduction des coûts logistiques de 20 à 15% du PIB et partant accélérer la croissance économique de 0,5 point de PIB par an, soit 5 points de PIB en 10 ans. Ce ratio ne s’est pas amélioré. Pire, il a augmenté d’un point, eu égard au contexte actuel, selon des professionnels du secteur qui déplorent également le taux de réalisation de la feuille de route qui atteint à peine les 14%, au global.
Pour la BM, au niveau macro-logistique, l’infrastructure portuaire de Tanger-Med a permis au Maroc d’entrer au top 20 des meilleurs pays en matière de connectivité maritime. Mais dans le détail, les experts de l’institution considèrent que «l’essor de la logistique au Maroc fait face à plusieurs contraintes, notamment les coûts prohibitifs de la traversée du détroit, la cherté des tarifs de prestations portuaires, le déficit en plateformes spécialisées qui a pour conséquence d’accroître la désorganisation de la circulation des flux des marchandises, ainsi que le zèle dans les procédures de contrôle des normes à l’import».
Et le secteur n’est pas au bout de ses peines. L’annonce faite par les géants du transport maritime, CMA CGM et Hapag-LIoyd, de la suspension des expéditions dans plusieurs régions du monde en raison de la congestion actuelle qui entraîne des temps de transit irréguliers et croissants et la limitation de l’espace disponible dans les feeders (transbordement), donne des sueurs froides aux opérateurs marocains. «Le Maroc aurait pu être concerné et d’ailleurs, à ce jour, rien n’écarte cette éventualité. Il est important que le pays reste sur ses gardes. La crise pandémique a confirmé la règle que le secteur de la logistique reste un environnement volatil et changeant, et la place est cédée aux plus compétitifs», prévient Najib Cherfaoui, expert portuaire et maritime. C’est pourtant sur cette compétitivité que le Maroc a joué toutes ses cartes. En vain. Un constat déploré par les professionnels du secteur. «Certes, la stratégie en question est ambitieuse au point d’être démesurée, si j’ose dire. Les chiffres annoncés ne se basent pas sur des faits scientifiques et restent en déphasage avec la réalité», relève Mustapha El Khayat, président de l’Association marocaine de logistique, Amlog, et président de la commission formation de l’Union maritime pour la Méditerranée à Marseille. Un constat partagé par Najib Cherfaoui qui dénonce également «l’excès d’enthousiasme de cette stratégie nationale».
Bilan insuffisant
Un autre son de cloche est entendu du côté de l’AMDL, l’Agence marocaine de développement de la logistique, créée en 2012 pour accompagner la mise en œuvre de ladite stratégie et veiller au suivi du contrat programme logistique 2010-2015. En guise de réponses à nos questions, l’instance s’est contentée d’envoyer son rapport relatif à l’exercice 2019, déjà disponible sur le Net, selon lequel la valeur ajoutée globale générée par les activités de la logistique s’élève à près de 56 milliards de dirhams, soit 5,7% de PIB, en 2019.
Au niveau de l’emploi dans le transport et de la logistique, il a évolué annuellement de 2,5% en comptant 182.000 emplois en 2019. Concrètement, la dernière note de l’AMDL dévoile la création de 37.000 emplois nets en une décennie. Les investissements ne sont pas en reste. Le secteur public et les prestataires logistiques ont contribué d’au moins 31 milliards de dirhams au titre de la même année. La part des entreprises a progressé de 5% durant la même période et dont l’investissement s’élève à 8,9 milliards de dirhams en 2019.
En termes de développement du tissu des opérateurs du secteur, le marché national a connu l’installation de nombreux groupes internationaux et un développement significatif des opérateurs marocains, avec une offre de services logistiques de plus en plus diversifiée. Dans la même perspective, la création d’entreprises de transport et logistique a connu un trend haussier. Ce sont près de 2.500 créations nettes qui ont été enregistrées en 2019 notant une croissance annuelle de 7%. Un dynamisme qui a porté le marché de la prestation logistique à 27,2 milliards de dirhams en 2019, soit une croissance annuelle de 5,2%. Toujours selon la même source, les évolutions réalisées ont ouvert le champ aux opérateurs nationaux pour se positionner à l’international, notamment sur le marché africain. A ce sujet, aucun chiffre n’est mentionné.
Pouvait mieux faire…
En revanche, malgré ces évolutions, la disparité persiste aussi bien en termes de création d’emploi que l’amélioration de la compétitivité logistique bâtie sur 5 grands axes, à savoir le développement des zones logistiques, l’optimisation des flux de marchandises, le développement d’acteurs logistiques performants, le développement des compétences ainsi que la gouvernance adaptée. L’écart est tel que la Cour des comptes a pointé du doigt la tutelle et diligenté une enquête afin de révéler les raisons qui entravent le décollage de la stratégie logistique nationale. L’investigation a été lancée il y a plus d’un an et les résultats ne sont toujours pas dévoilés. En fait, l’instance de contrôle, à l’époque encore sous le contrôle de Driss Jettou, a mis en avant le retard dans l’exécution des objectifs prédéfinis, faisant remarquer que le taux de réalisation des créations d’emploi n’a atteint que 27% du total des emplois annoncés. Ce taux ne dépasse même pas 9% concernant le premier des grands piliers de cette stratégie, qui porte sur le développement de nouvelles zones logistiques. Sur ce sujet, «les freins tiennent à la rareté du foncier rapidement disponible, et sur des perspectives de loyers trop faibles pour mobiliser les acteurs du secteur privé», se rachète l’AMDL.
Les autres axes de la stratégie, et qui portent sur l’optimisation des flux de marchandises, le développement d’acteurs logistiques performants, le développement des compétences et sur une gouvernance adaptée, ne dérogent pas à la règle puisque l’état d’avancement des travaux inhérents n’excède pas les 12%. C’est dire le potentiel de progression qui reste à saisir.
Mettre les bouchées doubles
Le déficit logistique impose à l’AMDL de mettre les bouchées doubles pour le combler. Dans ce sens, l’agence a procédé à l’établissement de schémas logistiques régionaux ayant pour but de planifier et structurer des projets de zones logistiques adaptés aux besoins identifiés dans les différentes régions.
Dans le même sillage, une panoplie de démarches a été entreprise visant l’identification d’assiettes foncières susceptibles d’accueillir des projets de zones logistiques.
A cet égard, les schémas directeurs régionaux des zones logistiques ont été validés dans les Programmes de développement régionaux (PDR). A ce titre, 1.582 hectares ont été affectés aux zones logistiques dans les documents de l’urbanisme. «Le développement effectif de ces premiers projets, particulièrement ceux dont les études techniques sont finalisées ou en cours d’achèvement, reste tributaire de la mobilisation concrète des assiettes foncières identifiées», indique la note de l’AMDL. En outre, cette contrainte a été surmontée pour le projet de la zone logistique au sud d’Ait Melloul dont le coup d’envoi des travaux d’aménagement in site et hors site de la première tranche d’une superficie de 45 hectares a été donné en mai dernier. S’en suivra l’amorçage d’autres projets dont les études techniques sont finalisées. La prochaine destination est la région de Fès-Meknès qui sera dotée d’une zone logistique à Ras El Ma.
Les démarches préparatoires ont été entamées pour la réalisation de la première tranche étalée sur une superficie de 32 hectares. Le même process est également lancé pour la zone logistique de Tamensourt dans la région de Marrakech-Safi ainsi que celle de Beni Mellal.
En termes de performance, un programme de mise à niveau de la fonction de la logistique au sein de la PME a été instauré pour la période 2017-2021. Baptisé «PME-Logis», ce dispositif décline une gamme de produits axée sur l’assistance technique et financière, la formation et la digitalisation. A l’heure des bouleversements des normes environnementales, des innovations disruptives, de la robotisation et du numérique, c’est tout un pôle d’activités complexe et dynamique qui se questionne sur son avenir. Une transition qui nécessite de la considération et des prises de position fortes de la puissance publique pour réactualiser cette stratégie.
Mésestimer ce fait c’est ignorer combien l’efficacité de la logistique peut représenter un atout, ou au contraire un frein pour la compétitivité des entreprises et du pays.