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Compétitif ? à mille lieues

Enquête juillet 2021

Compétitif ? à mille lieues

Tant qu’une restructuration du transport routier accompagnée de l’instauration de zones logistiques efficaces n’est pas opérée, l’anarchie continuera de plomber indéniablement la compétitivité du Maroc. Seul un organe régulateur peut sauver la mise.

Certes, le secteur de la logistique demeure des plus compliqués, de par la multitude d’intervenants dans le circuit, mais en adoptant une stratégie efficiente le secteur finit par se structurer. Ce qui n’est pas le cas pour le Maroc, qui s’est doté d’une stratégie trop ambitieuse, voire une chimère selon certains. Au grand dam des professionnels qui estiment que des incidents de parcours auraient pu être évités si des mesures plus réalistes et en concordance avec les données du secteur avaient été entreprises. Tout porte à croire que la structuration du transport et l’implémentation des zones logistiques restent la clé de voûte.
Là où le bât blesse
Ainsi la première faille de la stratégie réside déjà dans sa conception. Pour Mustapha El Khayat, président de l’Amlog, le rapport de la Banque mondiale qui date de 2006 et dont il est un des participants à l’élaboration, était exhaustif. Tandis que l’étude du cabinet McKinsey ne reflète pas totalement la réalité du dispositif national. S’ajoute à cela le point culminant relatif à la formalisation du secteur informel qui prédomine notamment dans le transport, bien qu’un projet de formalisation des transporteurs pour changer leurs véhicules ait été annoncé avant la promulgation de la loi 16-99, mais à aujourd’hui, ce dernier est resté lettre morte. «La stratégie logistique ne peut réussir que si la problématique du transport est résolue. Lorsque la loi 16-99 pour la réforme du secteur du transport routier a été conçue, on a oublié qu’il s’agit d’un secteur archaïque et d’une grande complexité. Il fallait adopter préalablement les mesures appropriées pour pallier ce problème avant de s’attarder sur des chantiers de grande envergure», reproche-t-il. En effet, c’est un fossé abyssal qui sépare les objectifs et les réalisations, tous contrats d’application confondus. Et l’écart se creuse davantage au niveau du transport dont les répercussions sur la compétitivité sont irrévocables. Pour sa part, l’OMCL (Observatoire marocain de la compétitivité logistique) dénonce sans ambages le nombre considérable de petits camions qui sillonnent les routes nationales et qui échappent ainsi à toute logique moderne. Un constat qui laisse percevoir le volume du flux qui pourrait être massifié pour réaliser une meilleure compétitivité. Ainsi, une structuration de la filière s’impose en amont. Et pour y arriver, il s’avère capital d’investir dans les zones logistiques qui regroupent les différents transporteurs dans l’unique but de massifier la marchandise, ce qui engendre une optimisation des coûts. Un volet qui n’a pas été omis dans la feuille de route de 2010, certes, mais le taux de réalisation reste dérisoire. «Des efforts importants ont été menés pour identifier une grande partie des assiettes foncières. Cependant plusieurs contraintes entravent l’avancement de ce processus et par conséquent peu de zones logistiques ont été développées. Je note à titre d’exemple le processus de mobilisation effective de terrains publics qui est confronté à des difficultés de réservation et d’allocation de moyens financiers. De plus, les niveaux de rentabilité financière des projets d’aménagement des zones logistiques rendent l’initiative privée limitée dans ce domaine», indique Rachid Tahri, président de l’OMCL. Sur la même longueur d’onde, El Khayat attire l’attention sur les erreurs commises par d’autres pays. En fait, avant d’installer une zone logistique, il s’avère primordial de prospecter des opérateurs avant la mise en route et non l’inverse. D’ailleurs, la zone logistique d’Ait Melloul, lancée récemment, risque d’être confrontée au même souci.
Le foncier fait obstacle
Cependant, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. La cherté du foncier est telle qu’à une époque, des multinationales détenaient des entrepôts de façon informelle. C’est pour dire que le foncier représente un réel obstacle. Pour une mise en contexte, le prix actuel dans une zone logistique peut s’élever à 60 dirhams le m². Ainsi, pour une superficie de 5.000 m², le prix de location revient à 300.000 dirhams, ce qui est exorbitant en comparaison avec des zones étrangères. A titre d’exemple, au marché international Saint-Charles en France, qui est aussi une zone d’éclatement, le m² est proposé à 20 euros. «Le foncier prohibe le développement du secteur. En dehors des terrains donnés par les communes, le Maroc ne gagnerait pas en performance, notamment auprès d’investisseurs étrangers. A titre d’exemple, si Renault n’avait pas bénéficié d’un privilège de ce genre, elle ne serait pas installée au Maroc», étaye Mustapha El Khayat. Et les opérateurs ne sont pas au bout de leurs peines. Les zones logistiques ne sont pas exonérées de la taxe urbaine. Une aberration selon les professionnels qui ont mis l’accent sur la distinction entre dépôt et entrepôt. A l’unanimité, ces derniers recommandent la mise en place d’incitations fiscales en faveur des entreprises afin d’externaliser la prestation qui, par ricochet, contribuerait à consolider les flux de marchandises, soit une massification. Et qui dit massification, dit réduction du coût logistique et gain en compétitivité. D’ailleurs, à cet égard, le Maroc peine à s’imposer face à un transport international puissant et concurrentiel. Il suffit de comparer le prix au kilomètre pour se rendre à l’évidence. En effet, si l’on prend l’exemple d’un transit de marchandise Paris-Casablanca, le prix de transport d’une palette standard est de 150 euros. En interne, le coût logistique entre Casablanca et Marrakech est de 70 euros. En revanche, dans le cas où la marchandise n’est pas massifiée, ce qui est souvent le cas, le transport revient à 2.000 dirhams pour le même trajet. La disparité est non négligeable et influe ainsi sur le prix de la marchandise dont le coût logistique ne devrait pas excéder, en temps normal, 10% du prix global. Le trajet de l’Europe vers le Maroc revient considérablement moins cher que le transport inter-villes. Pour y remédier, la création de zones logistiques qui contribuera massivement à structurer le transport routier dont la gestion échappe totalement à la tutelle. «La maîtrise de la chaîne logistique commence par le transport qui est le talon d’Achille actuellement. Tant que le Maroc ne dispose pas d’un transport fort avec des zones logistiques, il n’avancera pas. Les petits camions ne devraient normalement se charger que du transport express. Autre bémol, l’émergence d’acteurs logistiques. A aujourd’hui, aucun transporteur ne s’est converti en logisticien, or c’est primordial pour compléter la gamme. Seuls les opérateurs de la grande distribution sortent du lot», insiste Rachid Tahri. Et d’ajouter: «Le manque de compétitivité dont pâtit le Maroc pourrait éventuellement être rattrapé à travers la massification. Tant que ce n’est pas opérationnel, nous continuerons à perdre des partenaires internationaux malgré la proximité avec l’Europe».
Au bord du gouffre
En effet, côté transport maritime, le Maroc n’est pas mieux loti. La traversée vers l’Europe est estimée à 300 euros. Tandis qu’une traversée d’une plus longue distance telle que celle entre le Pas-de Calais en France et Douvres en Angleterre revient quasiment au même prix. Autre exemple parlant, en matière de production, la chemise confectionnée en Chine pour l’Europe comprend moins de 1% de frais de transport dans le prix de revient. En revanche, celle fabriquée au Maroc pour l’Europe représente 50% du prix de revient. Là encore, c’est la densité du flux qui permet d’optimiser les frais logistiques. De surcroît, en l’absence d’une offre exportable marocaine soutenue, les répercussions sont encore plus accrues d’autant plus que le pays ne dispose pas de sa propre flotte, sauf que paradoxalement, des projets sont entrepris pour la construction de chantiers navals. Par ailleurs, la dissolution des compagnies refait surface suite aux événements conflictuels avec l’Espagne qui coïncident avec l’opération Marhaba. En effet, si le Maroc a réussi sa stratégie portuaire, le maritime qui représente 90% du transport logistique a été laissé à l’abandon. Un constat corroboré par des experts qui regrettent amèrement la dilapidation de la flotte marocaine. Et les lourdes répercussions de cette mauvaise décision commencent à se faire sentir. Si le Maroc avait sa propre flotte, il n’aurait pas fait appel à des compagnies étrangères pour programmer des traversées afin que les Marocains du monde rejoignent leur pays d’origine.
L’impact n’exclut pas la marine marchande. «La disparition de la flotte maritime est une erreur impardonnable qui a nui à l’économie du pays. Ce triste sort va se répercuter sur les prix des produits importés, notamment avec ce qui se passe actuellement. C’est également le cas pour l’ONT (Office national de transport) qui régulait le transport entre villes. Le Maroc a malheureusement pris de mauvaises décisions dont les retentissements se font sentir des années plus tard. De plus, les pays les plus compétitifs sont ceux qui sont dotés d’une flotte forte», blâme Mustapha El Khayat. Même son de cloche auprès de Najib Cherfaoui, expert maritime et portuaire. «Comme le Maroc n’a pas de flotte, il ne peut maîtriser ni le temps, ni le transport, ni la rotation des navires. Il reste tributaire des armateurs étrangers. Je dirais que c’est l’oublié de la stratégie par ignorance. Les pouvoirs publics n’ont pas compris la relation entre une stratégie logistique et l’effondrement de la flotte. C’est du gâchis», se désole Cherfaoui. Pour lui, le Maroc a fait un faux calcul. Au lieu de faire contre mauvaise fortune bon cœur, l’Etat a choisi la solution de facilité et qui n’est pas des plus ingénieuses. Il en résulte une sévère hémorragie en devises fortes. La balance des paiements indique des dépenses de l’ordre de 2 milliards de dollars par an, surestaries (indemnités de retard) comprises, relatives à la facture du transport maritime des marchandises importées et exportées. Les statistiques montrent également qu’en 2021, la flotte de commerce a chuté à son niveau le plus bas jamais atteint depuis 1960. Et la facture risque d’être encore plus salée. Pour sauver la mise, l’expert recommande de ventiler les besoins en termes de filières et de capacités par filière afin de doter le Maroc d’une flotte stratégique englobant la sécurité des approvisionnements énergétiques et alimentaires, les communications, la délégation de service public et les fonctions portuaires. «La notion de flotte stratégique n’a pas un caractère protectionniste. C’est un outil de développement qui doit notamment permettre de surmonter la difficulté à se financer sur le marché bancaire. Ce n’est pas une question de subventions mais plutôt la mise en place d’un dispositif de garantie étatique ou de financement spécifique pour favoriser les projets de renouvellement ou de modernisation de la flotte. J’ajouterais que les responsables doivent vaincre leurs peurs, surmonter leur ignorance et admettre leurs fautes, car une administration qui enregistre et analyse ses propres défaillances grandit et devient plus forte», poursuit Cherfaoui.
In fine, bien des efforts ont été consentis pour améliorer l’infrastructure logistique et surtout portuaire, mais au détriment d’autres aspects qui ne manquent pas d’importance. La réussite reste limitée à Tanger Med. A cet égard, Mustapha El Khayat a suggéré l’instauration d’un organe régulateur qui dispose de toutes les prérogatives pour contrôler et structurer le secteur logistique mettant ainsi fin à la dispersion des interlocuteurs et les conflits d’intérêts. Bien des problèmes peuvent être résolus, notamment ceux du foncier. Dans le même sillage, il a mis en exergue l’intérêt de dupliquer le modèle de TMSA et disposer ainsi d’agences indépendantes dont le libre arbitre leur revient. Dans la même perspective, le rôle de l’AMDL a été fortement critiqué. Les professionnels du secteur n’ont pas omis de mentionner que le rôle de l’agence se limite à la coordination. D’autres ne voient même pas l’intérêt d’en créer. Pour la petite histoire, en 2013, lors d’un sommet à Barcelone, le président de la BEI (Banque européenne d’investissement) avait fait part, en aparté, à un expert marocain de son étonnement suite à la création d’une agence. Néanmoins, sans surprise, la gouvernance est toujours pointée du doigt et continue de faire défaut. Ce n’est plus dans l’intérêt du Maroc de retarder les échéances surtout que les temps s’annoncent durs.