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Black-out sur la poste

Entreprises juillet 2021

Black-out sur la poste

Maintenues au secret, les opérations liées à la création de l’Agence des Participations de l’Etat pourraient générer beaucoup de surprises et de mécontentements. Le cas le plus récent est celui de Al Barid Bank et probablement du Groupe Barid Al Maghrib.

Onze ans après sa création, Al Barid Bank (ABB) va tomber dans l’escarcelle de l’Etat et plus particulièrement dans le portefeuille de la nouvelle Agence des participations de l’Etat. C’est ce que nous informe, du moins, un article publié en première page du quotidien casablancais L’Economiste dans son édition du lundi 21 juin 2021. Dans ce qui semble une fuite organisée, si ce n’est un ballon d’essai, l’article revient sur le ¾ d’une page, et dans la bouche de «responsables dans le ministère des Finances», sur les premiers détails «exclusifs» de cette opération. Une petite bombe reprise par une partie de la presse nationale mais qui pose beaucoup plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Contactées par nos soins, toutes les parties prenantes n’ont pas pu ou voulu apporter de précisions quant à l’avenir de la première banque nationale en termes de réseaux et de nombre de clients.
No comment !
Abderahmane Semmar, directeur des Etablissements Publics et de la Privatisation (DEPP) au ministère des Finances, a ainsi déclaré lors d’un appel téléphonique: «Je ne peux ni confirmer ni infirmer cette information». Et d’ajouter devant notre insistance sur son rôle central en tant que directeur de la DEPP: «Je suis directeur, dans un ministère, dans un gouvernement. J’ai vu ce qui est sorti, mais comme ça a été dit, ce n’est pas n’importe quel cadre qui peut se prononcer. Pour engager l’Etat il faut une procédure… Il faut avoir l’accord du ministre» nous renvoyant vers le point relais de communication du ministère. Contacté à son tour, le point relais en question nous a sollicités d’envoyer les questions pour demander l’autorisation du ministre Mohamed Benchaâboun. Chose qui a été faite dans l’heure avec l’envoi d’une série de questions liées aux implications de cette annonce. S’en est suivi un long silence radio. Face à notre relance, une réponse laconique a été fournie par messagerie: «Jusqu’à présent aucun accord n’a été donné».
Nous avons aussi contacté un directeur d’ABB, qui s’est contenté encore une fois de nous renvoyer vers le ministère des Finances. «Nous n’avons pas d’information précise à communiquer. Nous ne sommes pas dans le circuit de décision. C’est le ministère des Finances qui est derrière la réflexion stratégique. On n’a pas été consultés». Et d’ajouter: «A notre niveau, c’est une affaire entre Barid Al Maghrib, notre actionnaire, et son actionnaire l’Etat. Pour la banque, peu importe que nous dépendions de Barid Al Maghrib ou du ministère».
Concernant les impacts probables et les synergies de cette décision sur ABB et Barid Al Maghrib, notre haut cadre qui a insisté pour garder l’anonymat affirme qu’«il n’y a pas de changement ni dans les Ressources Humaines ni sur le réseau. C’est un changement d’actionnaire. Dans le cadre de la vision globale des EEP, il y a une politique de regroupement par secteur d’activité. Ça a été fait pour l’audiovisuel. Maintenant c’est en réflexion pour le pôle financier. Puis ils vont passer à la logistique et le transport. C’est la réflexion globale, suite au discours de Sa Majesté». Et d’ajouter: «En termes de synergie, à ce stade nous n’avons pas d’éléments sur le sujet. Au moment venu s’il y a des éléments officiels, on peut être sollicités».
Le même mur d’information a concerné la banque centrale. Interpellé sur les contours de cette opération en marge de la rencontre trimestrielle du conseil de la banque qui est traditionnellement suivi d’un point de presse, les réponses du gouverneur de la banque centrale ont été plutôt d’ordre général. «L’opération sur Al Barid Bank a été présentée dans le cadre de tout le travail de la réforme du secteur et des entreprises publics. Ça a été présenté dans le cadre de ce chantier. Il ne m’appartient pas à moi de l’apprécier ou pas, mais dans le cadre de ce que fait le ministère de l’Economie et des Finances, qui en a la tutelle, ils ont indiqué qu’ABB tombe dans le cadre de l’actionnariat de l’Etat». Concernant le modèle d’affaires, Abdellatif Jouahri a affirmé que «ni l’une ni l’autre [ABB ou Barid Al Maghrib] n’a de raison de changer les relations structurelles qui les unissent. Car tout le monde va y perdre que ce soit Barid Al Maghrib ou Al Barid Bank. Je ne pense pas qu’il y ait des changements du maillage qu’il y a actuellement. Peut-être qu’il y aura des ententes qui doivent se faire sur les rémunérations des uns et des autres. Ce sont des négociations qui vont le définir, mais je ne pense pas aussi que le ministère va tuer Barid Al Maghrib, pour qu’il se retourne lui-même et se retrouve à la subventionner car ça reste une entité publique. Il ne va pas scier la branche sur laquelle les deux entités sont assises». Et de préciser: «C’est dans le cadre de la réforme des entreprises publiques, mais ça reste une banque qui est soumise au contrôle de Bank Al-Maghrib. Même si elle passe à l’actionnariat public ça ne change rien à la tutelle et au contrôle du régulateur».
Enjeux multiples
Et l’enjeu est pourtant de taille, la création de la banque postale en 2010 avait pour objectif d’autonomiser les activités financières de la poste de celles du courrier (voir encadré). Mais face à l’érosion continue des revenus des services postaux (tendance mondiale) ce sont les revenus annexes, notamment du pôle financier, qui ont amorti les coûts liés à l’obligation du service universel. Une situation qui compliquera les finances de la poste en cas de séparation des activités. Selon le dernier rapport de Barid Al Maghrib (2019), le chiffre d’affaires du groupe est de 2,9 milliards de dirhams. Celui du courrier est de 655 millions de dirhams. Les activités d’Al Barid Bank générèrent, elles, 1,7 milliard de dirhams, soit l’équivalent de près de 59% des revenus du groupe. Son résultat brut d’exploitation est plus de 516 millions de dirhams, alors que ses résultats nets étaient de 131 millions, soit quasiment ce qu’a versé tout le groupe à l’Etat en 2019 (166 millions de dirhams au titre des dividendes à provenir des sociétés à participation publique). Le reste du chiffre d’affaires du groupe est partagé entre les activités de colis, transport et logistique, de marketing direct, de colis internationaux… avec chacune des filiales distinctes. Et bien que le management ait assuré que les RH et les synergies ne seront pas touchées par le split d’activité, dans les faits les activités sont de facto séparées bien que les revenus ne le soient pas. C’est du moins ce qu’affirme Mohamed Boudad, secrétaire général du syndicat national des postiers du Maroc (dépendant de la CDT) et représentant plus de la moitié des employés du secteur. Pour lui, «nous n’avons pas été informés ni consultés pour cette décision. On ne sait même pas si elle a été validée par le conseil d’administration comme ça a été dit. Le gouvernement devra assumer ses responsabilités sur ce sujet». Et d’ajouter: «Ce que je sais c’est que depuis le lancement d’ABB, nous avons maintenu le statut du personnel unifié [Art.7 de la loi 07-08, NDLR], avec la possibilité de mobilité professionnelle entre les deux structures. Mais dans les faits, ce sont deux sociétés distinctes au niveau du réseau et des ressources». Selon lui, «ABB, en plus de louer des agences auprès de Barid Al Maghrib, a commencé depuis 6-7 ans à acquérir ou à louer ses propres agences, ce qui préfigurait une séparation dans les activités, faisant craindre la possibilité d’une privatisation par la suite». Pour le syndicaliste, «cette tendance a déjà été vue par le passé à travers la privatisation de Maroc Telecom après la séparation de l’activité des postes de celles des télécommunications. Nous craignons à terme même une privatisation du service du courrier et de la messagerie, ce qui serait un crime contre ce service de proximité fondamental sur lequel le parlement a son mot à dire». Pour lui, la contrainte de rentabilité, adoptée par le secteur privé, finira par avoir le pas sur celle de l’obligation du service universel. «Aujourd’hui la complémentarité entre services financiers et postaux permet d’être au plus proche des citoyens. Il y a des postiers dans les agences d’ABB, comme il y a des agences communes, ce qui permet de couvrir tout l’éventail des services. Avec la séparation, nous craignons que les activités non rentables puissent être coupées». Avec la perte de près de 60% de ses revenus, le groupe Barid Al Maghrib va devoir revoir entièrement sa structuration, voire se voir fusionner avec le pôle transport et logistique public à créer par l’Etat lui-même constitué d’entreprises extrêmement endettées comme la RAM, la SNTL, l’ONCF ou Autoroutes du Maroc. Un vrai casse-tête dont les clés sont gardées bien au secret par Mohamed Benchaâboun.