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Tourisme, à quel saint se vouer ?

Economie juin 2021

Tourisme, à quel saint se vouer ?

Le ministère du tourisme pèse peu dans la prise de décision malgré l’importance économique de ce secteur. Les liens avec les opérateurs s’en trouvent affectés en ces temps de crise. Au milieu de l’embargo interrégional, l’ONMT lance «Ntla9awfbladna». 

Lien rompu avec le département de tutelle, frontières fermées, interdiction des déplacements interrégionaux, etc. Les opérateurs du tourisme ne savent plus à quel saint se vouer. Certes, la crise de ce secteur est une goutte dans un océan de marasme mondial, mais elle attire l’attention sur la manière avec laquelle nous avons réagi. En plus clair, le ministère de tutelle est-il à la hauteur des défis de cette conjoncture? Du côté des professionnels, on nous dit simplement que non. Département qui ne pèse pas lourd dans l’échiquier politique, malgré le poids économique de ce secteur sinistré, sa communication se limite aux publications timides couvrant les événements auxquels la ministre Nadia Fettah Alaoui prend part. Pour ce qui est de la prise de décision ou d’initiative, surtout pour faciliter l’arrivée des touristes, c’est niet! «Au Maroc, et dans le monde entier d’ailleurs, le ministère du tourisme est une simple interface. C’est pour cela qu’on ne l’entend jamais», souligne un haut responsable d’un grand groupe touristique. 

Les plus grandes opérations mises en place, comme le plan de relance touristique, butent sur l’embargo interrégional et international imposé par la pandémie, et décrété par les autorités sans aucune nuance. Le segment international en est le premier à être affecté. Par souci sécuritaire, on préfère ainsi garder les frontières fermées, même dans la mesure où les élans de vaccination prennent plus d’ampleur. Si la région de Dakhla a pris l’initiative, seule, d’installer des dispositifs de tests PCR à l’arrivée à son aéroport, ce n’est pas le cas des plus grands aéroports internationaux, Mohammed V et Marrakech Ménara en l’occurrence. Dans les pays du contour méditerranéen, on se prépare déjà dans ce sens. Certes, cela dépasse de loin les prérogatives du ministère de tutelle, mais quelle responsabilité endosse-t-il à ce propos? «La décision d’ouvrir les frontières n’est pas entre les mains de la ministre, mais elle siège objectivement au gouvernement qui prend les décisions», poursuit le responsable cité plus haut. Néanmoins, cette réponse élude un aspect majeur de la politique au Maroc. Quand il s’agit d’enjeux sécuritaires, ce n’est surtout pas vers le ministère du tourisme qu’on va se tourner. Pis, dans la mesure où le nombre des pays interdits de vol frôle la quarantaine – un mot qui n’est pas anodin -, on ne peut en aucun cas compter sur une arrivée imminente des touristes étrangers. Ou, au moins, pas avant que le Maroc n’adopte le passeport sanitaire, surtout que la reprise du tourisme mondial est renvoyée à fin 2022, voire 2023. Ainsi, quand Adil El Fakir, directeur général de l’Office National Marocain du Tourisme, a déclaré à la presse fin avril que «nous serons prêts lorsque le tourisme international va redémarrer», il remettait inconsciemment ce redémarrage aux calendes grecques. 

Actuellement, le débat se crispe autour de l’Indemnité Forfaitaire (IF), en attendant de compter les dégâts. Mesure qui vise à sauvegarder l’emploi dans le secteur, les professionnels espèrent qu’elle sera préservée. Selon Jalil Benabbés-Taarji, président de l’Association Nationale des Investisseurs Touristiques (ANIT), le secteur est tellement sinistré qu’il faut maintenir l’IF, même après la fin de l’état d’urgence sanitaire. «Il est vital que le soutien aux emplois, à savoir le pack de l’IF principalement, soit maintenu jusqu’à trois mois au moins à partir de la levée de l’état d’urgence sanitaire, et ce, pour les filières les plus sinistrées et pour lesquelles la reprise sera nécessairement très progressive et très lente», conclut Benabbés-Taarji. 

Blocus interrégional 

En ligne avec les décisions prises de fait par l’Intérieur depuis le début de la crise sanitaire, le couvre-feu persistera tant que les variants multi-patrides du coronavirus continueront à voir le jour. A moins d’un changement dans la gestion de la pandémie, ce qui ne risque pas d’arriver, l’approche suivie jusque-là continuera à brider les déplacements entre les régions. Bizarrement, l’ONMT choisit ce contexte confus pour lancer «Ntla9awfbladna», une campagne de promotion ciblant les touristes nationaux, résidents et MRE. Si l’Office ne semble pas douter de sa démarche, il a incorporé une sorte de disclaimer à ses spots promotionnels, stipulant que les déplacements entre les régions «dépendent de la levée des restrictions». C’est sur quoi attire notre attention une autre source anonyme, officielle cette fois-ci. Autrement dit, l’ONMT promeut des destinations internes sans endosser la responsabilité d’«inciter» les Marocains à s’y déplacer. De là à espérer une synergie avec le ministère de l’Intérieur, cela serait peut-être trop demander. Les décisions relatives à la mobilité entre les régions ont été prises depuis le début de la pandémie sans prendre en compte la situation urgente du secteur touristique. Même au stade actuel où il n’y a plus de cluster pandémique, rien n’a changé officiellement. «En tant qu’opérateurs, nous sommes choqués face à cette situation. De plus, les quelques cas de variant indien détectés au Maroc sont asymptomatiques. Il n’y a plus de raisons objectives de maintenir les restrictions de déplacement entre les régions», souligne le haut responsable du groupe touristique, cité plus haut. Cela dit, sur le fond et sur la forme, douter de la pertinence de cette campagne ne trouve pas d’écho favorable auprès de lui. «Dans le sens où une campagne doit teaser et précéder une haute saison, je trouve cette campagne pertinente, notamment au niveau du timing», nous précise-t-il. 

Par ailleurs, l’objectif déclaré de cette campagne est le «renforcement du sentiment d’appartenance et de fierté», ainsi que l’encouragement des Marocains à «explorer les richesses du pays». Ces slogans peuvent peut-être trouver un écho favorable dans une conjoncture de plus en plus protectionniste. Mais, techniquement, le tourisme interne est tributaire de plusieurs prérequis dont l’adaptation de l’offre et de la demande. Dans l’édition de mai 2021 d’Economie Entreprises, des experts du tourisme national ont attiré l’attention sur la nécessité de mettre en place une offre touristique adaptée au touriste local. Et de cibler les catégories socioprofessionnelles moyennes. Au sein des fédérations de métiers, on s’accorde toutefois à minimiser le manque de cette adaptation. Parmi les arguments mis en avant est le fait que la plus grande partie des Marocains prennent leurs vacances au Maroc. Aussi, et tout à l’honneur du client national, le marché interne est le premier marché touristique au Maroc, avec plus de 31%, devançant le marché français. L’image n’est pas aussi noire que ça, disent-ils, bien que des réajustements soient nécessaires.