fbpx

Mobile money décollage difficile

Entreprises juin 2021

Mobile money décollage difficile

Deux ans après leur lancement officiel, les solutions de M-paiement n’arrivent pas à franchir le cap de la croissance. Entre contraintes et espérances, les opérateurs s’accrochent toujours à cette mission non impossible !

Même si dans certains pays d’Afrique les solutions de paiement mobile ont connu un franc succès au sein de différentes sociétés, au Maroc cette niche peine à trouver ses marques. «On a perdu du temps!». C’est le constat amer livré par Abdellatif Jouahri, le wali de Bank Al-Maghrib, en septembre dernier, concernant le retard accumulé dans le déploiement des solutions de paiement mobile dans le royaume. Car deux années après son lancement officiel et l’octroi des agréments aux entreprises, le paiement mobile n’a en effet pas rencontré l’ascension fulgurante sur laquelle comptaient les opérateurs, qui avançaient des objectifs de 6 millions de clients et 1,3 milliard de transactions par an à l’horizon 2024. Bien que «le nombre de porte-monnaie électroniques, ou wallets, ait dépassé 1,5 million à ce jour, il faut bien admettre qu’au niveau de l’usage les transactions demeurent assez faibles», nous confie Azim Sebbata, directeur général de Cash Plus, l’un des acteurs du secteur. Et à l’heure où dans certains pays africains le contexte de crise a été un accélérateur des solutions de M-paiement, notamment l’Afrique subsaharienne qui représente à elle seule 43% des nouvelles inscriptions en 2020, devant l’Asie de l’est et la région du Pacifique, au Maroc la réalité est autre. «La Covid-19 a probablement provoqué un rush vers le M-paiement, mais pas au Maroc», regrette Nawal Gharmili Sefrioui, directeur général Orange Money. Et de préciser que «c’est le cas des pays où le mobile money est déjà établi et où les gens ont déjà des comptes et ont accès à un réseau de distribution capable d’accueillir leurs dépôts d’argent. Le paiement mobile leur permet ensuite d’utiliser leurs soldes pour faire des transferts ou des paiements». Et d’ajouter: «Au Maroc, malheureusement, le lancement du paiement mobile a coïncidé avec l’avènement de la pandémie de Covid-19. Donc, au lieu d’accélérer l’activité, la crise sanitaire a plutôt freiné le déploiement du mobile money. Ceci étant valable aussi bien au niveau de l’ouverture des comptes que du déploiement du réseau d’agents mandataires. Il faut préciser que le développement du paiement mobile passe par la construction de tout un écosystème qui demande des efforts conséquents d’éducation et d’accompagnement terrain». Cependant, bien qu’ayant été un handicap, «la Covid aura permis la prise de conscience de l’importance de ce canal, notamment dans l’envoi des fonds entre les personnes et le ciblage de versement des aides aux familles non bancarisées», nuance Youssef El Alaoui, cofondateur de Mobiblanc, spécialiste des solutions mobiles innovantes. Aujourd’hui s’il est vrai que le coronavirus est l’alibi idéal, il faut reconnaître que le secteur fait face à des contraintes endogènes qui plombent son évolution.
Pas que la Covid…
Quand la résistance chamboule les prévisions. «Nous avons engagé beaucoup d’investissements et malheureusement au final très peu de transactions», se désole le DG de Cash Plus. Aujourd’hui, il faut relever que l’une des problématiques majeures auxquelles fait face le secteur est la résistance de certains consommateurs qui refusent de souscrire à ce nouveau service. A l’instar des épiciers, première cible du secteur, qui sont particulièrement réticents à adopter ces nouvelles pratiques. Pour Azim Sebbata, «les commerçants ne veulent pas intégrer le circuit par peur du fisc. En plus de la défiscalisation de la transaction, qui est une mesure incitative de BAM, ils revendiquent leur propre défiscalisation. Ce qui paraît impossible à réaliser car cela reviendrait à accepter qu’une frange entière soit en dehors des radars». Par ailleurs, cette résistance soulève la question du changement de mindset qui demeure aujourd’hui plus que nécessaire. «Le déploiement du paiement mobile n’a jamais été simple dans aucun pays, même dans ceux qui sont devenus des références aujourd’hui. Il s’agit de changements conséquents dans les habitudes des consommateurs et donc ça prend un temps important et nécessite un accompagnement continu. La résistance est tout à fait naturelle», soutient Sefrioui. Toujours au niveau des contraintes, Abdeslam Alaoui Ismaili, directeur général de HPS, nous a fait savoir «qu’il y a surtout un vrai problème de promotion de l’outil de paiement mobile». Et de poursuivre: «Il y a également un véritable problème d’équipement des commerçants». D’autre part, en plus de ces différents blocages, une concurrence silencieuse se dessine lentement entre les acteurs bancaires et ces nouveaux établissements de paiement. «Un système bancaire trop présent peut devenir un frein à l’inclusion financière accélérée», déclare à EE Mohiédine El Amari, praticien indépendant, avant de continuer: «Et je crois que le cas du Maroc illustre cette situation. On a un système bancaire qui est très développé pour le Maroc utile et qui finalement n’arrive pas à inclure le Maroc soi-disant «inutile», car finalement trop sophistiqué pour un certain type de population! D’où, à mon avis, la nécessité d’encourager des acteurs nouveaux qui sont capables d’aller faire de l’inclusion plus facilement car plus agiles, alors que nous restons bloqués par un secteur bancaire qui ne souhaite pas l’intégration de ce nouveau type d’acteurs!». «Il y a manifestement une volonté de garder la main sur le marché de l’intermédiation financière», martèle Mohiédine. Du côté des opérateurs, le discours est plutôt aseptisé. «Je souhaite préciser que les établissements de paiement ne viennent pas pour concurrencer ces banques mais en complément. Le paiement mobile ira chercher les populations non bancarisées ou mal bancarisées pour les inclure dans le système financier», souligne la responsable d’Orange Money. Pour rappel, il faut noter que l’opérateur inwi, qui a lui aussi emprunté le chemin du M-paiement, n’a pas voulu apporter des éléments de réponses à nos interrogations.
BAM, un acteur central !
Dans sa lutte contre l’utilisation du cash, dont la gestion coûte 7 milliards de dirhams à l’économie marocaine, BAM a fait du paiement mobile une de ses armes sécrètes. Alors depuis, la banque centrale a mis sur pied un véritable dispositif. «BAM a fait ce qu’elle avait à faire, à savoir la mise en place du cadre réglementaire qui gère le secteur. Et elle a accordé des licences d’EP à des acteurs issus de mondes différents: banques, télécoms, microcrédits et services de proximité», explique Youssef El Alaoui. Cependant, les acteurs du secteur espèrent plus d’action. Pour le DG de Cash Plus, «le gouvernement doit agir en termes de pédagogie, notamment sur la partie commerçante. Il faut que l’Etat rassure». «La banque centrale a mis en place un cadre pour le paiement mobile et accompagne le développement de cette activité de très près. Ceci étant dit, il est clair qu’il faut apporter quelques ajustements à ce cadre au moins au début, le temps que l’écosystème soit rodé et les clients habitués», préconise Sefrioui.
Notons que depuis 2007, la promotion de l’inclusion financière s’est inscrite dans les orientations et objectifs stratégiques de Bank Al-Maghrib afin de surmonter les obstacles à l’accès aux services financiers formels et de favoriser un usage responsable et régulier au profit de la population, tous segments confondus.
En somme bien que louable et surtout étant un élément pertinent de lutte contre le cash, le M-paiement peine à se frayer un chemin au Maroc. En attendant l’exploit marocain à l’image du modèle kenyan ou rwandais, les acteurs doivent impérativement définir un modus operandi propre aux réalités du Maroc, qui cependant demeure précurseur en Afrique en termes d’inclusion financière.