Le maillon de trop
Un nouveau mode de vente en ligne est né. Il s’agit du dropshipping. Dépourvu de toutes contraintes, ce business prospère et dont la maîtrise est difficile, attise toutes les convoitises même au Maroc, mais d’une manière différente.
Est-il possible de devenir riche, rapidement et à moindre effort? Même si l’époque des miracles est révolue, le monde du digital semble le sésame qui promet monts et merveilles. Ce business en vogue porte le nom du dropshipping. Une nouvelle forme du e-commerce, avec un modèle attractif car dépourvu de toutes contraintes, qui fait fureur dans le monde et auquel les internautes alléchés par les marges promises s’adonnent avec véhémence. Bien que ce business flirte souvent avec arnaques, l’essor du dropshipping est tel que même des influenceurs se prêtent au jeu. Au Maroc, la pratique est encore embryonnaire, comparé à d’autres pays tels que les Etats-Unis, la France, ou encore les Emirats Arabes Unis. Mais même si quelques obstacles entravent son développement, cela n’empêche pas certains «pionniers» marocains d’investir cette niche. Car même si la vente ne s’effectue pas au Maroc, le dropshipper a la possibilité de vendre des produits là où il veut.
Shipper sans payer
Dropshipping, quèsaco? Il s’agit d’effectuer des ventes en ligne via un site web, sauf que la particularité réside dans le stock. En effet, contrairement à un revendeur «classique», le dropshipper joue le rôle d’intermédiaire sans pour autant investir dans de la marchandise. Mieux encore, la contrainte de la livraison est également sous la responsabilité du fournisseur. Concrètement, le dropshipper entre en contact avec des sites fournisseurs, généralement low-cost, style Ali Express, Amazon, pour revendre des produits qu’il sélectionne. Une fois le produit commandé et payé, le dropshipper achète à son tour le produit en question dont l’expédition finale au client est assurée par le fournisseur qui ne mentionne pas son nom sur le colis. A chaque achat, le dropshipper n’omet pas de préciser à la commande la mention «blindly dropshipp». Ainsi, le dropshipping présente l’avantage de ne détenir que peu de capitaux propres. Les seuls frais engagés concernent l’hébergement du site web, le nom du domaine, la programmation du site et la publicité pour faire valoir les produits commercialisés. Autre avantage, disposer d’un éventail assez large d’articles de nombreux fabricants ou revendeurs. Tout compte fait, le business model de ce mode de vente en ligne offre la possibilité d’une évolutivité importante sur une courte période. Et les profils relatés par certains médias, notamment étrangers, de jeunes dropshippers qui se sont enrichis par un claquement de doigt attisent toutes les convoitises. Or, les professionnels du secteur s’accordent à dire que pour percer dans le domaine, même si les connaissances en informatique sont limitées, il est important d’avoir la fibre entrepreneuriale. «Les techniques informatiques peuvent s’apprendre à travers des formations spécifiques. Tandis que l’esprit entrepreneurial est un atout majeur pour réussir son business e-commerce. La clé de voûte reste la capacité de se doter d’une stratégie communication infaillible pour promouvoir le produit», insiste Fatima Zahra El Bourkkadi, directrice exécutive de l’agence en marketing digital Dima Digital. Même son de cloche auprès de la société spécialisée dans le e-commerce, All in One Supplier, qui confirme que les connaissances en business digital font toute la différence. Rappelons que la plateforme internationale qui jouit d’une notoriété en matière de dropshipping est Shopify qui propose la création de boutiques dropshipping.
Les ficelles du métier
Mais depuis peu, les dropshippers ont compris le fonctionnement du mécanisme et se lancent à leur compte en créant un site web propre à eux. Et d’ailleurs Fatima Zahra El Bourkkadi qui propose des formations en management des réseaux sociaux et en dropshipping recommande vivement d’effectuer les démarches soi-même. Elle nous a également livré quelques astuces et techniques pour maximiser les bénéfices. Ainsi, pour réussir son expérience en dropshipping, il s’avère indispensable de bien étudier sa niche. Une étude du produit est primordiale afin de mesurer l’intéressement auprès des clients potentiels à travers le rating (les commentaires sur les sites marchands). Autres paramètres à prendre en compte, le pouvoir d’achat du ou des pays dans lesquels le dropshipper souhaite lancer son commerce afin de mesurer la capacité d’achat des produits sélectionnés ainsi que d’effectuer un benchmark sur le prix d’achat auprès du fournisseur. Le temps d’expédition n’est pas en reste. Plus le timing pour livrer est court, plus cela stimule l’acte d’achat. «Il s’agit d’un besoin et les clients ne tolèrent pas un temps d’attente très long. Au-delà d’un shipping time de plus de 15 jours, l’engagement est moins important. S’ajoute à cela un critère déterminant d’achat, à savoir la livraison gratuite. Les dropshippers qui proposent une livraison gratuite séduisent le plus», précise El Bourkkadi. L’autre condition sine qua non pour percer reste l’élaboration d’une stratégie marketing et les campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux. Il faut signaler que les réseaux sociaux sont l’unique canal de communication. Et pour une optimisation maximale, il est recommandé d’inclure les produits sélectionnés dans une seule campagne et d’implémenter le site web en question par un suivi de conversion sur l’icône «Thank you page». Il s’agit d’une icône qui permet de visualiser le nombre d’acheteurs qui ont accédé au lien à travers la campagne publicitaire. Autre astuce, l’activation de l’«AdSense» sur le site web. Cela permet de partager des publications afférentes à la gamme de produits proposés, à titre d’exemple. Les clics sur ces publications génèrent de l’argent. Confidence pour confidence, la spécialiste en marketing digital confie que les articles vendus en dropshipping peuvent être rapidement dépassés. «Il ne faut surtout pas se dire que tel produit s’est bien vendu et poursuivre ainsi la commercialisation sur une plus longue durée. C’est une erreur. Les produits du dropshipping sont rapidement périssables, si j’ose dire. D’ailleurs, dans notre jargon, on dit que le produit est mort. Il faut suivre une tendance et une innovation pour se démarquer des produits classiques qui existent sur le marché», dévoile-t-elle. Côté prix de vente, le dropshipper doit fixer sa marge de bénéfice en fonction des différents frais engendrés. D’où une disparité de prix dans différents sites pour le même produit.
L’envers du décor
Mais pendant que des dropshippers s’enrichissent, certains consommateurs ont le sentiment d’être grugés. Car en dépit des multiples avantages que procure le dropshipping, il existe bien des inconvénients et non des moindres. Les failles du système résident dans la qualité du produit expédié. Même si le dropshipper reçoit un échantillon pour tester le produit, rien ne garantit une qualité similaire pour le client final. Parmi les problèmes que cache également ce système, le fait d’être une piste privilégiée pour receler des boutiques qui fraudent. Il peut être une source d’arnaques du côté du fournisseur également qui en dehors de la qualité médiocre outre celle prétendue, notamment en provenance de la Chine, le fournisseur peut faire expédier des colis vides. La difficulté de retracer les transactions en ligne, notamment celles qui ne sont pas sécurisées, ouvre le champ à ce genre de truanderie. Pour contrer ces agissements, deux ingénieurs en France lancent une application susceptible de détecter les arnaques au dropshipping. L’autre niche qui semble rapporter, celle des formations spécifiques. «Plusieurs formateurs revendiquent l’expertise tandis qu’en réalité, ils ne sont même pas capables d’effectuer une vente et leurs parcours sèment le doute», corrobore une source de la société All in One Supplier. Néanmoins, le grand défi pour les boutiques dropshipping reste la gestion des retours comme elles n’effectuent pas elles-mêmes l’expédition. Un sacré coup pour la fidélisation client et l’image de marque surtout que le taux de retour est non négligeable. Selon l’EHI Retail Institute, rien que pour le textile et accessoires de certains détaillants en Allemagne, le taux de retour est estimé à plus de 50%. Une problématique qui n’est pas très répandue au Maroc puisque le business model diffère légèrement car il s’agit d’un dropshipping dit local. En effet, au lieu de faire appel à des fournisseurs tiers, les revendeurs s’approvisionnent directement auprès du fabricant et du grossiste. Ainsi, la plupart des dropshippers marocains vendent les produits d’un distributeur qui dispose d’ores et déjà d’un stock. A ne pas confondre avec une Marketplace telle que Jumia. Autre divergence, le paiement s’effectue à la livraison. Ce qui évite bon nombre de désagréments. Bien que le dropshipping, à l’instar des autres modes du e-commerce, soit légal, la marge de bénéfice n’est assujettie à aucune réglementation, chacun fixe le prix qui lui convient le mieux lequel peut être jusqu’à 10 fois plus cher. «Le bénéfice peut atteindre jusqu’à 250 dirhams sur un seul produit, abstraction faite des frais engagés tels que la livraison ou l’empaquetage. Ce système est tout bénef pour le dropshipper local, notamment en termes de risque de déperdition de marchandises contrairement au dropshipping international», avance-t-on auprès de All in One Supplier.
Le dropshipping local l’emporte
En fait, si ce concept n’est toujours pas à son apogée au Maroc, des restrictions entravent son développement. Il s’agit essentiellement du paiement par carte bancaire. En fait, hormis des délais de livraison assez longs pour le Maroc, les Marocains demeurent sceptiques malgré une tendance haussière constatée récemment. Preuve en est l’augmentation des opérations en ligne via cartes bancaires marocaines et étrangères qui ont totalisé 1,8 milliard de dirhams durant le premier trimestre, soit une progression de plus de 58%, selon le Centre monétique interbancaire (CMI). Seule l’activité des paiements en ligne des cartes étrangères a progressé de 8,3% en nombre d’opérations, tandis qu’elle a régressé de 33,7% en montant, en passant de 111,7 millions de dirhams durant le 1er trimestre 2020 à 74,0 millions de dirhams au 1er trimestre 2021. Pour Mikael Naciri, directeur général du CMI, les emplettes via le dropshipping restent insignifiantes. Pour lui, ce concept n’est pas très développé sur le marché local. Et s’il est encore embryonnaire, les droits de douane exorbitants, lorsque le montant de la commande dépasse 1.200 dirhams, entravent son développement, selon les professionnels. Bien que certains arrivent à déjouer ce seuil de tolérance et même dans le cas où un client passe des commandes fragmentées, il est fiché dans les services de douane qui soupçonnent l’existence d’un commerce non déclaré. Toutefois, on aura compris que la formule gagnante est le dropshipping local. Et pour mener à bien l’insertion dans le domaine, All in One Supplier, qui opère dans le secteur depuis 2014, a développé une plateforme qui répond à tous les besoins. Pour y accéder, la société d’import-export propose des packs mono-boutiques et multi-boutiques qu’elle facture à 2.950 et 5.950 dirhams HT. Le dropshipper bénéficie d’un accompagnement de bout en bout. Elle a également pensé à toutes les commodités pour ses dropshippers qui revendent ses produits depuis l’international. En effet, actuellement, elle compte plus de 5.000 boutiques dropshipping en Europe. Au Maroc, ce sont 300 dropshippers, essentiellement issus de la région du sud, qui commercialisent ces produits. C’est un mécanisme bien huilé que l’entité a réussi à asseoir aussi bien en matière de confirmation de commandes, principale source de risque, que d’expédition ou encore de versement des profits. Des profits qui peuvent atteindre jusqu’à 1.000 dirhams par jour, selon la même source. Tout dépend de l’ingéniosité de tout un chacun.