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Je ne pense pas aller faire autre chose

Enquête juin 2021

Je ne pense pas aller faire autre chose

Décontracté et sans détours, Zouhair Bennani a bien voulu se prêter au jeu des questions réponses. Il revient sur ses dernières opérations et ses ambitions futures. Interview exclusive.

Dernièrement, vous avez investi dans la presse, ce n’est pas anodin. Vous avez d’autres ambitions que le business ou vous vouliez rendre service ?
Je me prépare pour être Premier ministre (Rire). Je dis toujours que nous sommes dans un pays où quand on a des bons, il ne faut pas les lâcher. Dans le secteur de la presse, comme dans d’autres domaines, il n’y a pas beaucoup d’institutions structurées. Le groupe Eco-Médias est une de ces institutions. Le groupe était en vente depuis 4-5 ans et cette situation s’est ressentie sur ses résultats. Plusieurs groupes s’y sont intéressés, y compris Nadir Mawlaoui [groupe Sunergia NDLR], qui est parmi les fondateurs. Il m’a proposé son projet de redressement, en m’affirmant qu’il voulait consacrer du temps gratuitement pour faire encore du groupe un navire amiral pour l’économie nationale. Pour moi, qui ai profité du développement du marché financier, je connais l’importance de l’information financière de qualité, c’est donc avec beaucoup de plaisir que je fais partie de cette aventure. Mais, je ne veux surtout pas m’immiscer dans les affaires éditoriales. C’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué lors de ma visite sur place, il faut que les équipes oublient qu’on fait partie de ce tour de table. Je ne veux ni de bons ni de mauvais articles sur moi.
Ce changement d’actionnaire s’est ressenti sur la ligne éditoriale…
C’est à vous de me dire. J’espère que ça s’est ressenti en bien. Quoi qu’il en soit, je pense qu’au bout de quelques mois, c’est difficile de juger d’un changement managérial. Mais je pense qu’en général, il faut rajeunir la partie éditoriale, il faut donner à ses organes la perspicacité qu’ils avaient auparavant et qu’ils ont perdue avec le temps. Et il faut partir sur de nouveaux moyens, le digital, etc. Atlantic Radio est une très bonne radio mais elle a des émissions qui datent de 10 ans… Il faut une nouvelle génération. Il faut surtout garder une indépendance intellectuelle qui était toujours là, malgré des erreurs commises, comme ça peut arriver partout…
Vous avez soumissionné pour Zurich Assurances, dans quelle logique économique ?
On a une petite participation dans une petite banque d’affaires, qui s’appelle Africa Capital Partner dirigée par Youssef Bouabid, un jeune magnifique, que je suis depuis un moment. Il m’a proposé le dossier, à cause de la partie Asset Management qui était intéressante. On a étudié la chose et on a soumissionné en tant que majoritaires. Ça nous permettait pour Best Financière de pérenniser une partie des investissements qu’elle a. Par définition, une assurance a des actifs qu’elle va garder pour longtemps. Mais Allianz a surenchéri de 30 ou 40% (rire).
Souvent on nous demande ce qu’on va faire de la participation dans une entreprise de pharmacie vétérinaire par exemple… Chez nous, chaque entreprise exécute son objet social. Best Financière est un holding financier. Il investit dans ce qui peut lui paraître porteur. Il peut être minoritaire avec une sortie programmée. Il peut accompagner dans le temps comme on peut être opérateur. Chacun respecte son objet. On vient de sceller le partenariat dans la boulangerie pâtisserie. Là il y a un besoin énorme. L’idée est d’avoir des boulangeries/pâtisseries dans le style «prêt à manger» en Angleterre. C’est une sorte de self-service alimentaire ouvert matin et soir dans les quartiers populaires avec plusieurs points de vente. Les capacités industrielles vont aussi fournir nos supermarchés en boulangerie et pâtisserie à des prix compétitifs.
Votre activité dégage beaucoup de trésorerie qu’il faut pouvoir placer…
Label’Vie est une société cotée en Bourse. Elle a pris l’engagement de distribuer 50% de bénéfice. Elle a de la trésorerie, elle la place, mais dans son secteur. Elle ne peut pas faire jouer un risque à ses actionnaires qui ont signé pour acheter l’action Label’Vie. On a l’obligation d’aller vers la digitalisation, on a pris un ticket [4%, NDLR] à RMK qui est la société mère de M2M parce qu’on veut profiter de son expertise. En pyramide, on investit dans les business units que nous avons. Retail Holding qui est la société mère développe ses réseaux y compris en Afrique. Dès qu’on a notre business model stabilisé en Côte d’Ivoire, on va aller s’associer sur le continent avec des partenaires locaux, ce qui est très important. Et peut-être par la suite ça peut être consolidé dans Label’Vie. Chacun sa mission et il ne faut pas confondre les patrimoines. Et ceux qui nous poussent à avoir ces cases en tête sont nos actionnaires.
On dit que vous avez aidé Moulay Hafid Elalamy à acheter la CNIA…
Je ne sais pas si acheter des actions c’est aider. Dans ce cas j’ai aidé 40% de la Bourse au Maroc (rire). MHE est un homme d’affaires extrêmement fort. Et quand il prend une direction, il faut regarder ce qu’il fait parce que c’est intéressant. Mais «aider» ça n’existe pas dans le business. Quand on a dans son cartable un projet auquel on croit, the sky is the limit. Notre point fort c’est d’avoir démarré quelque chose de très petit et de comprendre que le grand n’est pas impossible et que les moyens ne sont plus un frein. C’est le projet qui vend, ce n’est pas la personne qui le porte. Si le projet est bon, je serai fou de ne pas investir. Et Moulay Hafid fait partie de cette catégorie. Il a une force de conviction et il va très très loin dans l’analyse de ses objectifs et de ses projets.
Vous allez le suivre en liquéfiant vos actifs ?
Sur ce point je pense qu’on est différents. Je suis là depuis 1986. Ce n’est pas une histoire de 6 ans ou de 10 ans. Non! Je ne peux pas prévoir l’avenir, mais je euh… (silence). Je suis un petit actionnaire comme vous pouvez le déduire, si vous remontez l’ensemble. J’espère que j’ai un groupe qui est géré par de vrais managers et qui continuera à tourner. Après que les actionnaires, moi ou mes enfants… mes héritiers considèrent que c’est quelque chose de rentable ou d’intéressant, qu’ils le vendent ou le gardent, ça les regarde. Mais moi, c’est ma vie. Je ne pense pas que je vais arrêter et aller faire autre chose.
Même pour prendre votre retraite à Marbella?
J’aime beaucoup Marbella, mais je crains la retraite (Rire). Non. Je crains la retraite et je crains de trop peser sur les équipes. Ce sont mes deux angoisses. Je ne veux pas que les équipes considèrent que je suis un frein, parce que le président est toujours là. Et je ne veux pas de retraite non plus. Donc, j’ai des réunions d’update et quelques sujets stratégiques où je suis consulté, mais le reste du temps je ne fais que lire les rapports.
Pourtant vous avez la réputation d’être un grand bosseur…
C’est vrai. Mais je suis une tortue par rapport à ceux qui m’entourent qui carburent à une autre vitesse. Ce qui est normal quand on est dans les opérations.
Vous pouvez nous parler de vos échecs comme Gifi par exemple ?
Gifi fait partie des belles ardoises. On avait pourtant beaucoup d’études, dès le début des années 2000, sur les tops enseignes gagnantes pour le Maroc et Gifi était parmi les premières. Décoration d’intérieur, petit prix, marchandises asiatiques, distributeur qui sélectionne la qualité selon les normes européennes, et une centrale d’approvisionnement à Paris. On a mis les moyens avec les magasins, les commerciaux et tout… Et on s’aperçoit que les ventes ne sont pas au rendez-vous. On était complètement décalés sur les prix puisqu’on a trouvé tous nos tops ventes à Derb Ghallef beaucoup moins chers. Des fois l’erreur est la tienne, des fois c’est le timing, des fois c’est autre chose. Pour donner un exemple simple dans l’activité la plus basique: la nourriture. Avec la fermeture des frontières avec Sebta et Melilia nos ventes de riz ont été multipliées par 10. C’est quand même dingue. C’est-à-dire qu’il y a des éléments exogènes qui peuvent être un facteur de succès ou d’échec. En plus de toutes les erreurs qu’on peut faire nous-mêmes.
Ça vous a coûté combien?
Je dirais 27 millions de dirhams, sans compter les fournisseurs qui ont annulé leurs dettes. Ça a duré 4 ans, mais des fois il faut couper [en indiquant le doigt, NDLR].
Est-ce que ça vous a poussés à arrêter votre diversification dans les franchises ?
Pas du tout. On n’est pas dans un esprit d’opportunisme. Si quelqu’un fait des serres des bananes, je ne vais pas en faire autant. Les franchises c’était pour répondre aux besoins de notre colonne vertébrale. Nous sommes des distributeurs. On a commencé par les supermarchés. A un moment, on s’est aperçus qu’on avait atteint un CA/m² que nous ne pouvions plus dépasser, parce qu’on n’est pas assez attractifs. Pour ce faire, il fallait créer un environnement commercial, ce sont les centres commerciaux. Après, on a compris qu’il fallait agrandir ces centres, et qu’il fallait avoir des enseignes différentes des autres. Dès qu’on s’est adressés aux franchises qu’il y a, elles ne répondaient pas à notre besoin de volume. C’est là où on a été voir des enseignes qui ont une taille, ce qu’on appelle les big boxes, qui ont une offre généreuse et qui sont sur du mass market. C’est ce qui ramène du flux. Et c’est comme ça qu’on a pu créer de l’animation dans nos centres et les remplir. Dès qu’on a atteint ça, on a arrêté, notre objectif n’étant pas de concurrencer les enseignes. Je préfère louer et ne pas entrer dans le risque d’exploitation. Demain, si notre veille commerciale s’aperçoit qu’on a une unité de besoin à laquelle on répond mal au Maroc, peut-être qu’on va aller ouvrir une nouvelle enseigne.
Est-ce que vous avez joué la prudence dans votre développement pour croître plus sûrement à l’abri de groupes plus puissants?
Je dirais: «Gardez-vous de haïr quelque chose qui pourrait s’avérer bénéfique pour vous» [Sourate Al Baqara : 216, NDLR]. La prudence nous a toujours accompagnés pour plusieurs raisons… C’est ce qui nous a permis aussi de consolider nos positions à un moment donné et de ne pas être trop spontanés ou de faire de folie. C’est-à-dire que… (silence) entre la perte de temps et la perte de membres, je préfère perdre du temps. Parce que parfois, on peut ne pas s’en remettre. Des fois on voulait faire des choses et on n’a pas pu, on laisse couler et on revient pousser.
Ce qui fait que Marjane est venu après vous et est devenu numéro un…
Peut-être qu’il est numéro un en termes de surface commerciale, mais nous le dépassons en nombre de magasins au Maroc. Ils nous dépassent en termes de surface parce qu’ils sont sur des formats d’hypers. En termes de chiffre d’affaires on est pratiquement similaires sans compter l’Afrique. Si on rajoute l’Afrique on est bien au-dessus.
Vous êtes donc numéro un au Maroc ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit. Etant donné que CDCI, notre filiale africaine, n’est pas rattachée à Label’Vie, on est encore numéro deux au Maroc.
Vous avez une expertise certaine dans le développement de centres commerciaux, et pourtant des opportunités vous ont échappé comme la Marina de Casablanca…
Nous avons été les premiers et nous continuons à développer des centres commerciaux. A la sortie de Casablanca on va développer un très grand centre commercial avec Aradei, au village auto, qui va aussi comprendre le siège régional de Label’Vie à Casa où tout le groupe aura ses locaux. Concernant la Marina, pour l’anecdote, effectivement on était deuxièmes, on a failli le signer, et ça a été annulé la veille. Par contre, si on l’avait fait, on n’aurait jamais pu acheter Metro qui a été mis en vente en 2010, soit la même année…
Quelles sont, selon vous, les perspectives du secteur au Maroc avec les divers modèles que ce soit celui de BIM, Marjane, etc.
BIM, son modèle est clair. Il a été secoué un peu quand le Maroc s’est aperçu de l’équation économique qu’il a mise sur la table. Et j’espère qu’on va continuer à imposer des choses à ce distributeur. Marjane est un grand professionnel des supermarchés, mais je pense que les potentialités du pays offrent moins de chances d’ouvrir des hypers. Sur les supermarchés il commence à déployer son maillage et je pense qu’il va continuer. Sur les petits formats, je ne sais pas si ça va l’intéresser. Nous, nous sommes sur tous les formats et toutes les offres. Bien sûr, on a du retard sur les hypers, mais en même temps, il y a moins d’opportunités. Nous étudions chacune qui se présente. Le super, on le continue en fonction de l’urbanisation. Pour la proximité on est au début avec le concept Supeco. Quand le modèle sera opérationnel, on sera, je pense, sur une cinquantaine d’ouvertures par an. Mais, il est très important d’avoir un socle commun à tout ça. C’est le produit marocain. Nous sommes en train d’exporter ça en Côte d’Ivoire. On va lancer une grande plateforme logistique aussi bien pour nos besoins que ceux des exportateurs marocains. Ce qu’il faut savoir c’est qu’aujourd’hui la tomate ou l’orange marocaines, par exemple, arrivent en Côte d’Ivoire en provenance de Rungis en France. Par ailleurs, nous venons de signer avec Carrefour International des accords pour référencer certains produits marocains dans leur réseau d’hypers à travers le monde.
On dit que CDCI n’était pas tellement une bonne affaire pour vous…
C’est du bon sens… On est entrés en tant que minoritaires il y a 5-6 ans avec le fonds Amethis. On a regardé en spectateurs pendant 5 ans. Et c’était impossible de ne pas déchanter de notre investissement si on ne prenait pas les choses en main. C’était soit tout acheter ou vendre. Finalement on a décidé d’acheter pour mettre de l’ordre. Comme exemple, nous avions 145 magasins et 187 camions! Est-ce que c’est imaginable, des camions qui travaillaient pour d’autres personnes alors qu’on payait les chauffeurs et l’essence? Il y avait beaucoup de choses qui étaient inacceptables comme les transactions dans le «noir» ou d’autres pratiques. Nous sommes majoritaires depuis fin 2019, mais avec la Covid, nous n’avons pas pu faire les changements qu’on souhaitait. En juin dernier, on a été directement aux choses essentielles. Nous avons fermé toutes les plateformes logistiques régionales pour ne garder qu’une seule. On a mis nos systèmes d’information en place. On a externalisé la logistique, ce qui a baissé notre coût sur ce poste de 70%. On a aussi dû faire, avec l’autorisation du ministère du travail, une coupe dans nos effectifs. Et là ça décolle avec une croissance à 2 chiffres chaque mois. Mais ce n’est pas facile. Il n’y a pas mal de gens à qui ça n’a pas plu. Là on veut s’ouvrir à des partenaires locaux. Car, quand on a acheté 100% nous en avons senti le poids. Il nous faut aussi des relais de lobbying.
Pour le plein déploiement de votre plateforme logistique ?
C’est une plateforme de 10.000m² qui sera inaugurée fin mai. Elle va servir nos magasins mais sera une base pour promouvoir les exportations marocaines et faciliter les échanges avec la sous-région en référençant des produits marocains. Une fois que nous allons lancer notre plateforme logistique et qu’elle atteindra son plein potentiel, nous allons demander au gouvernement marocain de négocier des accords commerciaux préférentiels avec la Côte d’Ivoire. L’idée est de démontrer à nos responsables ici que les produits marocains se vendent et qu’ils sont compétitifs. On importe aussi pas mal de produits agricoles vers le Maroc comme la mangue, l’ananas, etc. La plateforme a aussi pour objectif de viser la région d’Afrique de l’Ouest qu’on attaquera en 2022 avec à terme un objectif d’une quinzaine de magasins par an avec le concept de Atacadao mais sur des surfaces plus restreintes. Les distributeurs d’Afrique du Sud remontent vers le nord, il est temps pour nous d’exporter notre savoir-faire vers le sud.
On vous reproche pourtant que vous importez plus que les autres…
En valeur nous avons moins de 4% de nos achats qui viennent de l’étranger. En nombre de références c’est beaucoup plus parce que sur certaines unités de besoin, il n’y a rien qui n’est produit localement. Mais nous sommes les seuls qui exportent. Il faut mettre ça dans la balance. On fournit Carrefour France, et nos 150 magasins en Côte d’Ivoire. Et on va exporter une centaine de produits du terroir et bio dans tous les réseaux des hypers de Carrefour dans le monde. Cela sans compter les produits «ethniques» qu’on envoie aujourd’hui à partir de notre plateforme marocaine comme des pâtes, de l’huile d’olive, des confitures, la tomate en conserve, etc. et qui sont distribués dans les épiceries européennes.
On dit dans le secteur que vous vous apprêtez à céder des parts à Carrefour…
Carrefour avait une fenêtre d’opportunité de 6 mois en 2017 pour monter à 35% dans nos filiales HLV et MLV [Hypermarchés et Atacadao, NDLR]. C’était le moment où ils se désengageaient de l’Asie. Ils n’ont pas saisi cette opportunité. Vous savez, avec les multinationales, la gestion dépend des changements des équipes managériales. Parfois, ils sont dans des dynamiques d’achat, parfois dans un désengagement. Mais pour répondre directement, nous n’avons pas de négociation pour une plus grande implication de Carrefour dans notre capital. Label’Vie dispose actuellement de tout le savoir-faire nécessaire pour réaliser ses ambitions.
Est-ce que vous pensez à vous séparer de Carrefour ?
On a réfléchi à ça au moment du renouvellement du contrat de franchise en 2017, et finalement on a décidé de rester avec Carrefour parce que franchement on gagne beaucoup d’argent avec eux pour le moment. Et pas seulement. Par exemple, on a actuellement un grand chantier de digitalisation. C’est un chantier qui a été mené chez Carrefour par l’actuel PDG Alexandre Bompard, qui était à la FNAC et Darty avant [2011-2017, NDLR]. C’est donc un processus qui est encore frais chez nos partenaires, ce qui nous apporte beaucoup en gain de temps et de transfert de compétences.
Comment vous voyez votre groupe dans 15 à 20 ans ?
Nous visons à être un acteur majeur de la grande distribution au Maroc avec une couverture africaine digne de ce nom et pourquoi pas européenne.