2035, une vision myope
Nous y sommes. La Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a enfin remis le tant attendu rapport au Roi. Un volumineux document. En quoi le Maroc sera-t-il différent après? Disons que, crise Covid oblige, les enjeux auxquels nous serons confrontés pour les prochaines décennies seront simplement des versions plus extrêmes de ceux auxquels nous nous heurtons déjà aujourd’hui, à savoir le besoin d’une économie diversifiée, un manque crucial de capital humain, l’inclusion de tous et l’impératif de la durabilité des territoires. La nouveauté étant que le statu quo est devenu intenable face à l’ampleur des souffrances humaines déclenchées par la pandémie. Pire, la crise sanitaire, et son corollaire économique, a concentré l’attention collective sur les plus insoupçonnables défaillances, inégalités et injustices qui existent déjà dans notre vivre-ensemble. La cécité politique n’est plus de mise, il est désormais difficile de ne pas les voir.
Avait-on besoin de tant d’experts et de tout le travail colossal abattu par la CSMD pour révéler ces évidences, tellement le magma des indicateurs est au rouge? Le diagnostic à lui seul suffit-il? Si c’était le cas, à quoi auraient servi tous les autres rapports du cinquantenaire, du CESE et autres qui avaient déjà identifié les causes de défaillances du modèle en vigueur, déjà en crise avant la crise, et inventorié les faiblesses et les acquis ?
Les problèmes du Maroc deviennent un sujet récurrent et n’ont plus besoin de diagnostic. Ce rapport aujourd’hui excelle dans les projections et pèche par manque d’analyses. Il est jargonneux et ésotérique, ciblant probablement la Banque mondiale et autres bailleurs de fonds, au lieu de s’adresser aux Marocains dans un style direct et économe de toute digression inutile. Le «renforcement des libertés individuelles et publiques», la «démocratisation», la «bonne justice», au même titre que la «bonne gouvernance» et la «reddition des comptes» ont envahi jusqu’à saturer le lexique du rapport CSMD. Mais dans leur «vision», les rédacteurs du rapport parlent de «démocratie» faisant partie intégrante de ce modèle, mais ils ne parlent pas de «Maroc démocratique» comme finalité ni comment y arriver. Le rapport sonne creux parce qu’il ne cible pas, nommément, les stratégies sectorielles suffocantes, car adoptées sans stratégie nationale de positionnement dans les routes du commerce mondial. Il occulte la réforme administrative et l’urgence de remettre le service public au cœur des priorités, et non l’organisation administrative qui l’entoure. Il ne remet en cause aucun des choix faits auparavant. Il exonère surtout la justice de son rôle dans la reddition des comptes. Il est par contre très critique envers les coalitions gouvernementales et leur attribue tous les disfonctionnements du système. A se demander quelles politiques préconisent-ils ? Au-delà de ça, c’est peut-être une manière de baliser le choix des partis politiques avant les élections, et garder des cartouches en main au cas où les résultats des élections iraient à contre-courant.