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Avenir incertain pour ACECA

Entreprises mai 2021

Avenir incertain pour ACECA

Le quatrième courtier d’assurance est en phase de mettre la clé sous la porte avec l’accumulation des impayés. Entre crise de Covid, mauvaise gestion, et retraite du PDG, tous les ingrédients sont réunis pour un scandale financier.

Le monde des assurances est secoué depuis quelques mois par ce qui risque d’être un scandale retentissant touchant toute la profession des intermédiaires d’assurances. Il est en lien avec les difficultés financières d’ACECA Group revendiquant la place de quatrième courtier d’assurance au Maroc avec 20.000 assurés. Durement touché par la crise de Covid, le groupe et ses dirigeants, M’hamed et Rachid Aouzal sont entrés dans une course pour payer leurs fournisseurs, les compagnies d’assurance. La crise a débuté fin décembre-début janvier quand les compagnies d’assurances, notamment Axa Assurance Maroc, ont réclamé le paiement d’anciennes primes émises et encaissées. Il s’agirait d’un montant avoisinant les 47 millions de dirhams, selon nos sources. La crise s’est accélérée quand le management du groupe a émis des chèques impayés. Si pour le moment, le groupe tente de limiter les dégâts en honorant certains chèques et en mettant en vente son siège sis boulevard Massira à Casablanca, il n’en demeure pas moins que la situation aura des conséquences.

Success story

Pourtant, l’histoire de l’Africaine de Conseil et de Courtage en Assurance et Réassurance est une belle success story dont le principal héros est le self-made-man M’hamed Aouzal, PDG d’ACECA. Celui qui est désormais connu par tout le gotha casablancais et aussi dans le sport à travers sa grande implication dans le Raja de Casablanca, a commencé comme simple employé dans la Royal Marocaine d’Assurance. Il y travaillait avec son épouse en tant que commercial avant d’intégrer un tour de table d’ACECA en tant que minoritaire lors de son rachat à des intérêts français en 1973 suite au processus de marocanisation.

Un tour de table composé de Hamza Kettani issu de la direction comptable de la RMA et fondateur du groupe de Kettani et d’Ahmed Benkirane, serial entrepreneur et, entre autres, sous-secrétaire au commerce sous le gouvernement Abdellah Ibrahim, ancien directeur général de la CDG, ancien ambassadeur auprès de l’UE à Bruxelles, etc. Aouzal se fera remarquer par ce duo pour «ses talents de commercial», se souvient un ancien de la boîte. Et d’ajouter: «C’est un vrai commercial pur-sang». Le duo va encore une fois l’inviter au tour de table toujours en tant que minoritaire lors de la création de la compagnie d’assurance La Marocaine Vie en 1977. Il revendra ses parts en 1995 dans la compagnie spécialisée dans les services aux personnes, soit 6 ans avant qu’elle ne soit complètement cédée à la Société Générale via son fonds Sogecap. Le pactole retiré de la juteuse opération va permettre à M’hamed Aouzal de racheter la même année ACECA à ses mentors et associés Kettani et Benkirane bouclant son contrôle sur le courtier en lui donnant un caractère familial.

Une année plus tard, son fils Khalid rejoindra l’affaire en tant que chargé de clientèle, puis à la direction commerciale. Il sera nommé DG en 2002. Mais c’est le père qui est la vraie dynamo. Développant l’affaire, ACECA va passer de 86 millions de dirhams de primes encaissées en 1996 à plus de 450 millions dix ans plus tard. Un développement qui lui permettra d’acheter son nouveau siège de 3.000 m² sis boulevard Massira auprès de la famille Azbane.

Gonflé à bloc, il se lancera même dans le courtage de l’assurance-crédit, en faveur d’un partenariat avec le numéro deux français du secteur Jean Busnot. En 2009, Jean Busnot Maroc SA est né après près de 2 ans de négociations avec la partie française entrant de plain-pied dans cette branche dominée par les acteurs étrangers ou publics à travers Acmar (filiale du leader Euler Hermès), Axa Maroc (en partenariat avec l’assureur public français Coface) et la société à capitaux mixtes marocaine créée par Dahir, la Smaex, qui contrôlait l’assurance-crédit à l’export. Quelques années plus tard, le groupe continue sa diversification en lançant l’Africaine de Location de Voiture et d’Assistance, Alva, directement dirigée par Khalid Aouzal.

Pyramide de Ponzi

«Bon vivant, M’hamed Aouzal a pu développer un très grand réseau de connaissances d’affaires et d’amitiés personnelles auprès de gens très influents. Sa maison ne désemplissait pas d’invités de marque qui appréciaient ses soirées mondaines, ce qui lui a permis de ramener beaucoup de business», affirme une vieille connaissance. C’était sa marque de fabrique. «Mais c’est assez courant dans le secteur. Avec toutes les offres et la concurrence sur le marché du courtage, il n’y a que ce moyen de convaincre les grands patrons de placer des contrats», tient à préciser notre source avant d’ajouter en défense d’Aouzal: «S’il est un très bon commercial, ne comptez pas sur lui pour la gestion. Ce n’est pas son truc ni de celui de son fils». Et c’est là le nœud du problème. Notre source va jusqu’à affirmer que le montage financier de l’entreprise ressemble à une «pyramide de Ponzi». «Le groupe a toujours eu des retards de paiement vis-à-vis de ses fournisseurs. Encore une fois c’est une pratique courante dans le secteur, car même les entreprises demandent des délais de paiement plus ou moins élastiques», affirme notre source. Résultat des courses, le système mis en place faisait que les primes émises et encaissées de l’année N étaient payées grâce à celles encaissées l’année N+1. Avec la crise de Covid, la crise de liquidité des entreprises, ce schéma s’est rompu. Il fallait passer à la caisse, d’autant plus que les changements réglementaires et managériaux dans le secteur, en plus du retrait du fondateur grandement affaibli et le délitement de ses relations personnelles et de business, ont fait que ce fonctionnement n’était plus durable. «Le groupe a toujours fonctionné comme ça. Je me souviens qu’à la fin des années 90, une crise similaire s’est déclenchée à ACECA quand un assureur a exigé le remboursement de son dû», se souvient un ancien directeur de compagnie d’assurance. Ce dernier lie aussi la baisse d’activité d’ACECA au fait qu’elle a été abandonnée par le courtier d’assurance français à capital familial Vespieren qui lui générait du chiffre d’affaires important, notamment de groupes industriels français. Certains parlent aussi d’éloignement ou la mise à la retraite de certains de ses plus gros soutiens aujourd’hui et qui de fait ne peuvent plus alimenter le business basé sur les relations interpersonnelles. «En cas de renouvellement des contrats d’assurances, s’il y a un nouveau management, ou qu’il n’y a pas d’influence sur la décision sur des bases personnelles, les entreprises passent par des processus de concurrence plus transparents. Et si vous n’êtes pas aligné sur la concurrence vous allez perdre le marché», décrypte notre ancien directeur d’assurance. Un avis qui n’est pas partagé par M’Hamed Aouzal, contacté par Economie Entreprises. Bien que soulignant qu’il est à la retraite depuis 10 ans, bien qu’il soit toujours Président, Aouzal affirme que la situation est en train d’être résorbée. « Nous avons près de 220 millions de dirhams de primes non recouvrées auprès de nos clients. Et je viens d’apprendre qu’il y a des discussions sérieuses avec un grand groupe pour régler la situation» rassure le patriarche. Et côté chiffres, ceux d’ACECA ne sont pas bons. En 10 ans son chiffre d’affaires constitué de commission de courtage a quasiment été divisé par 2 ne dépassant plus en 2018 (derniers chiffres publiés) les 46 millions de dirhams. La plus grande intégration aval des assureurs est passée par là, en plus de l’augmentation de la concurrence. Notre vieux routier de l’assurance nous affirme d’ailleurs que ça constitue un vrai problème pour tout le secteur. «Il y a une concurrence telle que les courtiers sont obligés de se servir sur l’argent des compagnies. Ça, tout le monde le sait. Quand vous êtes vingt courtiers dans une petite ville, chacun avec une voiture, un local, un ou deux salariés et que vous touchez quelques milliers de dirhams de primes par mois, comment voulez-vous survivre sinon avec l’argent des primes». Et d’ajouter: «C’est une pratique courante qui a été mise au grand jour par la crise de Covid. Mais peut-être qu’à ACECA c’était encore plus marqué et la gestion plus cavalière».

Business en déclin

En mars 2021 selon les chiffres de l’ACAPS, le réseau de distribution constitué des intermédiaires d’assurances (agents et courtiers) et des bureaux de gestion directe relevant directement des entreprises d’assurance et de réassurance atteint 2.102 intermédiaires d’assurances dont 1.640 agents et 462 courtiers. Il y a en outre 661 bureaux de gestion directe. Ainsi avec la démultiplication des autorisations et agréments accordés, une concurrence acharnée avec des pratiques commerciales parfois douteuses, voire illégales, est menée pour se partager le marché de 45 milliards de dirhams de primes distribuées en 2020. «Il y a des règles, des délais stricts pour le règlement des primes mais personne ne respecte ça. Les compagnies, elles, ne demandent rien parce qu’elles savent que c’est comme ça que fonctionne le business», affirme notre ancien d’ACECA ayant occupé plusieurs postes importants dans le secteur des assurances. Et d’ajouter: «Tous les clients demandent des délais de règlement plus ou moins longs dépendamment de la taille de l’entreprise. L’une des conditions pour décrocher les marchés c’est d’accepter des échelonnements des primes. Avec l’exigence d’un paiement immédiat, on peut être certain de perdre le client. C’est une condition d’usage. Ceci s’ils ne vous demandent pas en plus de rétrocéder une partie de la commission aux assurés, alors même que c’est un délit passible de pénal. Je peux vous assurer que de grands groupes récupèrent entre 20 et 30% des commissions payées aux courtiers». Pour lui, «il y a un laisser-aller de tout le monde que ce soit les compagnies d’assurance, des courtiers qui en profitent, et de l’Acaps qui a édicté des règles mais ne veille pas à ce que ça soit respecté par les intervenants du marché». Pour l’ACAPS contacté par EE, «le contrôle ne s’intéresse pas directement à la solvabilité de l’intermédiaire, dans la mesure où les engagements vis-à-vis des assurés sont supportés par l’assureur qui doit, en conséquence, satisfaire à l’exigence de solvabilité à tout instant». Et d’ajouter: «les entreprises d’assurance, sont le plus à même de connaitre la situation détaillée de leurs créances sur les intermédiaires. Elles disposent dans le cadre régissant leur relation commerciale avec les intermédiaires de moyens leur permettant de prévenir des situations problématiques, voire litigieuses, concernant les primes impayées». C’est donc aux assurances d’être plus strictes dans leurs relations, voire d’informer le régulateur en cas de problème. Ce dernier pour juguler les retards des paiements et obliger les compagnies d’assurance à être plus regardantes sur la stricte application de la loi, l’Acaps a bien renforcé le dispositif prudentiel en 2019. Une circulaire a, dès janvier 2019, introduit de nouvelles règles de provisionnement. Les créances des intermédiaires devaient être provisionnées à 100% dans le cas de primes encaissées par l’intermédiaire et non versées dans un délai de 15 jours à la fin du mois. Une mesure dont l’application sera finalement reportée en avril 2020 avec la crise de Covid.

Mauvaise gestion

Mais le cas d’ACECA semble beaucoup plus profond que la crise par laquelle passe le secteur. En effet, quand on compare les rendements du courtier avec ceux de ses pairs, notamment cotés, ou plus généralement sur les ratios du secteur, on se rend compte que les performances économiques et financières sont bien en deçà de la norme du secteur. Ainsi en 2018, avec 46 millions de dirhams de chiffre d’affaires, ACECA dégage un résultat net de 1,2 million de dirhams. C’est-à-dire un taux de bénéfice net de 2,6%. Avec 118 millions de dirhams de CA, le courtier Agma dégageait en 2018, 45,7 millions de dirhams, c’est-à-dire un taux de bénéfice dépassant les 38%, soit 19 fois plus de rendement pour seulement un peu plus du double de la taille d’ACECA. Si on élargit l’analyse comparative au secteur, on découvre que c’est le niveau d’endettement d’ACECA qui est le plus inquiétant. Ainsi, son ratio d’endettement net/fonds propres est de 313% en 2018 contre une moyenne sectorielle négative à -30%, le secteur du courtage étant normalement cash-rich! Cela se voit clairement dans les différentiels conséquents du taux d’excédent brut d’exploitation et les taux de capacité d’autofinancement entre l’entreprise et le reste du secteur. Ainsi, le premier ratio se situe pour la même année à 15% pour ACECA contre une moyenne de 27% pour ses pairs. La capacité d’autofinancement, elle, est de 5% pour ACECA contre 20% pour le secteur. Les chiffres exposés ne concernent que 2018, mais la tendance dure depuis des années. Ce qui fait dire à notre ancien de la boîte: «Il y a trop d’argent qui passe on ne sait où. L’entreprise réalise près de 50 millions de commission mais elle est dans une grave crise à cause de son endettement. Il y a plusieurs nantissements sur le fonds de commerce alors même que le siège a été acquis à un prix très intéressant. Même la villa du président a été payée en grande partie à crédit», s’exclame-t-il. La situation se serait ainsi beaucoup plus dégradée depuis le retrait depuis quelques années du PDG, fortement diminué par la maladie. Ce qui laisse la situation ouverte sur des possibilités que l’on n’espère pas funestes.