A quand un changement de profil des investisseurs ?
L’évolution de la région a ouvert la voie à une deuxième catégorie d’investisseurs, mais pas encore assez. Les investisseurs historiques au sein de Dakhla-Oued Eddahab se comptent sur les doigts. Mais, la plupart des investissements restent cantonnés dans le secteur primaire.
Lorsque le Maroc a récupéré ses provinces du sud, il y a perpétué une manière ancestrale de faire des affaires, celle qui consiste à laisser aux grandes familles le soin de prendre les rênes du business. Plus de quarante ans plus tard, cela a abouti à la naissance et au développement de grandes holdings, se comptant sur les doigts, mais accaparant les plus grands marchés. Les noms des clans Ould Rachid, Derhem, Maelainine, Bouaïda, pour ne citer que ceux-ci, sont souvent mentionnés, parfois accompagnés de grincements de dents, surtout quand il s’agit de commande publique. A Dakhla-Oued Eddahab, le secteur primaire, essentiellement la pêche, et le carburant sont les terrains privilégiés de ces groupes familiaux. Vu l’étendue des opportunités que la région souhaite mettre à disposition des investisseurs, ces derniers sont dorénavant attendus ailleurs: tourisme, immobilier, énergies renouvelables, aquaculture, etc. La liste est longue. Certains secteurs comme le tourisme ont effectivement enregistré l’arrivée d’une nouvelle catégorie de promoteurs. Cela étant, un changement de profil des investisseurs est loin d’être atteint. Peut-on espérer à une mutation future à ce propos? L’avenir nous le dira.
Le secteur primaire prime
En matière des investissements, le stockage et la distribution du carburant, ainsi que la pêche sont évidemment les secteurs les plus en vue. On parle, par exemple, d’un dernier marché gagné par Atlas Sahara, principale filiale de Derhem Group, pour fournir le carburant au Conseil de la ville de Dakhla, s’élevant à environ 2 millions de dirhams. La saga de cette société a commencé en 1976, après le rachat d’une entreprise espagnole spécialisée dans la distribution des carburants. Actuellement, l’activité d’Atlas Sahara s’est diversifiée pour englober le gaz de pétrole liquéfié et la distribution, grâce à un réseau de stations situées dans les plus grandes agglomérations du Sahara y compris, bien entendu, la région Dakhla-Oued Eddahab.
Fin 2019, Derhem Group s’était distinguée par la conclusion d’un partenariat avec le groupe pétrolier espagnol Cespa pour constituer une joint-venture, un investissement de 120 millions d’euros, soit 1,4 milliards de dirhams. Les deux partenaires ont fixé comme objectif l’ouverture d’une centaine de stations-service, évidemment sur tout le territoire national, ainsi qu’une installation de stockage à Jorf Lasfar. Dans le même registre, la société de distribution Sopétrole, détenue par Vivo Energy Maroc (49%) et par Myher Holding (51%), stocke, commercialise et distribue les carburants et les lubrifiants de marque Shell. Ce groupe basé à Laâyoune, et présidé par Mohamed Ould Rachid, touche à tout. Début 2021, il a investi dans la glace industrielle et le ciment à travers deux filiales, détenues par le groupe à 100%. Ce ne sont là que des exemples entre autres.
Mais, en-dehors du carburant, importé, stocké et distribué selon des conditions que l’on connait spécifiques aux provinces du sud, l’investissement des holdings citées est cantonné dans le secteur primaire, notamment dans la pêche. La région Dakhla-Oued Eddahab produit plus de 600.000 tonnes de poissons par an, grâce à un littoral qui s’étend sur environ 667 kilomètres. La pêche permet au secteur primaire de générer 43,2% de la valeur ajoutée de la région et de contribuer à hauteur de 1,8% à la richesse nationale primaire. Mais les activités secondaires liées à la pêche ne contribuent que de 12,1% à la valeur ajoutée de la région et 0,3% à la valeur ajoutée du secteur secondaire au niveau national. Là aussi, les entreprises locales se sont positionnées très tôt. Le pôle des produits de la mer de Derhem Holding a pris pied à Dakhla aussi tôt que 1992 à travers sa filiale Comptoir Commercial et Industriel Derhem (CCID), spécialisée dans la pêche, la congélation, la transformation et la vente des pélagiques. Plusieurs autres groupes contribuent à cette performance, mais tous ne daignent pas encore s’attaquer à la transformation. Vu la valeur ajoutée de cette dernière, ils ont auront intérêt à le faire. Sauf que cela n’est pas seulement une question de volonté. En effet, en attendant la mise en place du pôle Dakhla Atlantique, les infrastructures nécessaires pour cette transformation manquent. Révélé par Economie Entreprises dans son numéro de février 2021, Alia Pêche a fait le pas. La filiale du groupe Oukacha a investi 90 millions de dirhams dans la construction d’une usine à Dakhla. Outre l’activité traditionnelle de congélation, il sera question de valorisation: le fumage de sardines selon une technique traditionnelle scandinave.
On attend les investisseurs d’ailleurs !
Lorsqu’il s’agit d’investir dans de nouveaux secteurs, les groupes du nord du Royaume sont appelés à la rescousse. Le groupe immobilier Aakar Chark, basé à Rabat, illustre cette démarche. À Dakhla, ce groupe a actuellement trois projets en cours de construction, essentiellement des mini-villas et des duplexes. L’investissement dans le tourisme, l’agriculture sous serres et l’aquaculture, dont les activités ont pris leur envol plus tardivement, provient également d’en-dehors de la région. Dakhla Attitude, établissement hôtelier du groupe marocain Maadospitality, a très tôt pris pied à la baie de Dakhla. Après la période de confinement, ses bungalows ont affiché presque complets. Dans le même secteur, la chaîne Océan Vagabond et la Tour d’Eole ont également été parmi les pionniers. Les trois établissements cités ont un point commun: un positionnement basé sur le tourisme sportif, l’attrait touristique principal de la région.
Fin décembre dernier, l’annonce de la startup américaine Soluna Technologies et AM Wind est la plus spectaculaire parmi tous les futurs investissements à Dakhla-Oued Eddahab. D’un budget de 15 milliards de dirhams, ce projet consiste à construire un parc éolien d’une capacité de 900 MW, adossé à un Datacenter. Il a déjà passé la première étape qui consiste à la mesure du vent, nécessitant pas moins de trois ans. Mais ce projet est atypique de par sa nature et l’ampleur de son budget. Il demeure non représentatif des projets que la région cible en mettant en avant un grand éventail d’atouts, à commencer par un bassin alimentaire marin très riche. Un paradis pour l’aquaculture. Ce que la région a déjà gagné est l’ensemble des représentations diplomatiques qui ont ouvert à la ville de Dakhla. Représentant les Etats-Unis et une dizaine de pays africains, ces consulats peuvent désormais faciliter les échanges commerciaux entre le Maroc et le reste du monde. Villa Cisneros -le nom colonial de Dakhla- n’a-t-elle pas vu le jour pour assurer une escale de ravitaillement en kérosène aux avions circulant entre l’Europe et les Amériques?