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Fake news, l’autre pandémie

Dossier avril 2021

Fake news, l’autre pandémie

Les fausses nouvelles sont aussi vieilles que les vraies. Mais les médais sociaux ont réactivé et amplifié leurs effets. Aujourd’hui, tout le monde part en guerre contre les fake news, mais personne n’est visiblement en charge de cette lutte et les moyens sont disséminés. Parmi les acteurs incontournables de ce débat: Facebook, qui cherche à démontrer sa lutte contre un phénomène encore difficile à définir.

Info ou intox ? Difficile aujourd’hui de faire le tri. Les médias traditionnels se retrouvent à rivaliser avec des sites de désinformation grossière. Mais quand on sait qu’une fausse information est six fois plus partagée qu’une information vérifiée, le match devient inégal. Les Fake news comme phénomène massif et «disrupteur» rendent le modèle économique des médias traditionnels encore plus vulnérable. Aussi bien Mohammed Haitami, PDG du Groupe Le Matin, que Samira Sitaïl, consultante Senior Marco communication et ex directrice de l’information à 2M Maroc, s’accordent à dire qu’elles précarisent la situation financière de la sphère médiatique «les médias traditionnels vivent une situation catastrophique sur le plan financier». Pour Haitami, aucune entreprise n’échappe à la menace des fake news, même celles cotées. «Bête noire des médias et du politique, la désinformation a muté pour s’étendre à la sphère de l’information financière, au risque de faire plonger les cotes de Bourses». Le PDG du groupe de presse affirme que les Fake news, qui peuvent se jouer de la réputation des entreprises, sont un nouveau risque de crise pour les PME, un risque d’autant plus inquiétant que sont apparues ces derniers temps les Deepfakes, contenus fallacieux rendus profondément crédibles à l’aide de l’intelligence artificielle. «L’information malveillante se fait au détriment de secteurs majeurs tels que la politique, le commerce ou encore la santé. Elles vont va jusqu’à tenter de manipuler les élections», énumère-t-il. Un raisonnement partagé par Samira Sitaïl. «Les campagnes de désinformation impactent les individus, les entreprises et même les Etats, notamment quand elles perturbent les processus démocratiques. Il n’est pas normal que des millions de personnes soient exposées à de fausses informations», s’offusque Sitaïl qui urge les ministères et les institutions officielles d’agir en se plaçant aux avant-postes de la lutte contre les fake news. Haitami renchérit en proposant la mise en place d’une supra régulation au niveau international du contenu véhiculé sur le Web.
Les réseaux sociaux, paradis
des fake news

Mais si les infox prospèrent tant, c’est qu’elles ont un terreau propice. Les réseaux sociaux, et leurs algorithmes, qui ont pour mission principale de faire circuler les contenus les plus appréciés, sans juger de leur véracité, amplifient largement la diffusion de fausses nouvelles, avec de lourdes conséquences. Ces entreprises de technologie doivent dès lors prendre leurs responsabilités. «Nous prenons nos responsabilités», assure Jocelyne Muhutu-Rémy, Strategic media partnership manager Africa, à Facebook. La manager rappelle que «depuis 2016, c’est-à-dire depuis les élections des USA, nous avons commencé à dépenser beaucoup d’argent, en plus de recruter plusieurs compétences afin de lutter contre les fake news. Nos efforts vont dans le sens de lutter contre les discours violents sur nos plateformes. D’ailleurs Facebook, grâce aux outils mis en place dont ceux basés sur l’intelligence artificielle, est en train de gagner la guerre contre les contenus de haine et à caractère sexuel». Elle tempère par contre la capacité de Facebook à contrer efficacement les fake news à caractère informationnel, plus difficiles à éliminer. «Facebook n’est pas un arbitre de la vérité. Une machine ne peut pas décider quelle information est vraie ou fausse. Aussi Facebook ne peut décider en interne de supprimer une information d’un internaute. D’où l’importance des experts indépendants pour décider de ce qu’on doit supprimer comme information», justifie Jocelyne. Dans ce contexte, le «fact checking» est la valeur montante. «Depuis 2017, Facebook a lancé un programme de «fact checking» réalisé par des experts indépendants au sein d’organismes accrédités par l’IFCN (International Fact Checking Network, Ndlr) pour vérifier les contenus informationnels. D’ailleurs Facebook donne à ces experts les outils pour accéder à nos plateformes dans le but de réaliser ces verifications. La priorité est donnée aux fake news virales et dangereuses. M. Haitami a évoqué l’intelligence artificielle. Je lui précise que nous utilisons cet outil pour supprimer les images violentes de toutes nos plateformes. En Afrique du nord on avance aussi et particulièrement au Maroc».
Prise de conscience

Mais si la prise de conscience des géants américains de l’Internet est salutaire, beaucoup d’observateurs jugent qu’ils doivent être conduits à installer eux-mêmes les garde-fous pour prévenir l’usage dévoyé de leurs services. Pourquoi déléguer? «Pour la simple raison que Facebook ne peut pas se positionner en arbitre de vérité et décréter quelle information est fausse ou vraie», rappelle encore une fois Jocelyne qui insiste sur la nécessité pour Facebook d’avoir des acteurs locaux pour réaliser le fact checking. «Pour le moment, au Maroc et au Maghreb, nous n’avons pas encore un organisme d’accréditation, comme nous avons fait ailleurs, mais c’est en cours», annonce la manager Facebook. Elle précise dans la foulée que Facebook réalise bien, en partie seulement, le fact checking. «Ainsi, nous procédons quotidiennement à la suppression de beaucoup de contenus viraux à caractère haineux, violent ou sexuel», fait savoir Jocelyne. Ce à quoi rétorque Samira Sitaïl: «Si Facebook veut s’attaquer aux fake news, il peut. Il lui suffit d’utiliser les mêmes méthodes utilisées autour des mots clés à travers les algorithmes bien élaborés. La méthode marche très bien pour le besoin des activités commerciales». Le premier réseau social laisse entendre qu’il a bien des algorithmes pour contrer les diffuseurs de fausses informations. «Mme Sitaïl suggère que Facebook élargisse ce qu’il fait dans le domaine commercial aux fake news. Je lui réponds qu’on le fait déjà concernant les contenus à caractère violent comme la haine ou la pédophilie. Mais, et là je me répète encore, on ne peut pas le faire sur des contenus d’information car Facebook n’est pas un arbitre mondial de la vérité», ressasse Jocelyne. En fait, il n’est plus question de se fier uniquement aux algorithmes, car pour Jocelyne, «ce sont des êtres humains, des fact checkers extérieurs à Facebook qui contrent le mieux les fausses informations», précise-t-elle en rappelant au passage les lignes directrices de la politique Facebook en la matière, à savoir retirer, réduire et informer.
Concernant la mise en place d’un super régulateur, Wadie El Mouden, rédacteur en chef adjoint du site Le360, rappelle qu’à défaut de l’existence d’une telle instance, «les autorités marocaines ont instruit des dizaines de procès aux diffuseurs d’infox en rapport avec la pandémie, même si ces actions coercitives n’ont pas stoppé la prolifération des rumeurs et des fausses informations». L’essentiel pour El Mouden reste cependant de «privilégier les actions en amont. Ce qui passera par la sensibilisation et l’éducation des usagers afin de leur apprendre à différencier les vraies des fausses informations».
Tous logés à la même enseigne

Pour ce qui est de cette main tendue aux acteurs locaux dans l’effort de lutte contre les fake news, Mohammed Haitami soulève que «Facebook est absent du marché marocain en tant qu’acteur ayant une présence physique. Je pense qu’en attendant la création d’un organisme accrédité pour vérifier les fake news, Facebook doit contribuer à la sensibilisation et à l’éducation, notamment des journalistes», recommande-t-il avant d’ajouter: «Les médias doivent continuer de faire ce qu’ils font bien, vérifier l’info. C’est pour cela qu’il y a lieu de continuer à former nos journalistes pour qu’ils contrent les fake news. Bien entendu aujourd’hui on a plus besoin de journalistes spécialisés car l’époque des journalistes généralistes est révolue». Sinon Haitami confirme l’utilité des organismes accrédités de fake Checking de la part d’une instance dédiée pour vérifier les contenus informationnels erronés ou altérés sur toutes les plateformes du géant social, notamment WhatsApp où on partage aussi des bobards. «Je pense que Facebook pourra prendre des mesures contre les diffuseurs de rumeurs. Par exemple suspendre un compte pendant un certain temps ou supprimer des contenus sur Facebook», suggère-t-il. «Le bannissement existe déjà sur nos plateformes. Nous supprimons chaque jour des comptes sanctionnant ceux qui diffusent des contenus violents. Les annonceurs détestent l’existence de fake news sur nos plateformes». Questionnée sur le temps nécessaire au réseau social pour supprimer une fake news, Jocelyne répond: «Cela dépend des moyens. Dès qu’on signale une fake news à Facebook, on procède à sa suppression. Le problème réside dans la vérification qui prend souvent un peu de temps. Facebook fait déjà beaucoup d’efforts à ce sujet et les gens ne voient malheureusement que la partie apparente de l’Iceberg. A titre d’exemple je vous précise qu’il existe actuellement plus de 70 organismes accrédités pour le fact checking au niveau international. Aussi Facebook supprime quotidiennement plusieurs fake news, soit directement ou après signalement par les organismes cités. Mais encore une fois, comme je l’ai déjà dit, le grand problème réside dans la détermination de ce qui est vrai de ce qui est faux. La solution doit émaner de nous tous avec la collaboration des acteurs locaux. Par contre, pour Whatsapp les échanges se font d’une manière cryptée et on ne peut pas agir sur le contenu échangé. Facebook protège la vie privée sur WhatsApp. D’où l’importance d’éduquer les usagers sur le fait de vérifier l’information avant le partage dans les groupes».