La presse indépendante, un mal nécessaire !
Ce mois de mars la nouvelle de la fermeture du quotidien Akhbar Al Youm est passée presque inaperçue. Pourtant, c’est un autre symbole de la liberté d’expression qui s’est éteint. Ce quotidien dont le fondateur est emprisonné depuis février 2018 a résisté autant qu’il pouvait, basculant entre espoir et persévérance, et c’est la Covid qui a eu le dernier mot.
Il faut dire que depuis 12 mois la presse professionnelle est sous perfusion. Avec le confinement, les kiosques sont pour la plupart fermés et pour aggraver les choses une baisse des recettes publicitaires de l’ordre de 60% a rendu l’équation économique des media très peu viable. Fort heureusement, l’Etat est venu en sapeur-pompier. Il a accru son budget de subvention et a décidé de payer directement les salaires des journalistes, et ce depuis le mois de juillet 2020. Une situation confortable certes en ces temps de profonde crise, mais qui suscite bien des interrogations sur l’indépendance de la presse et son avenir au-delà de cette subvention exceptionnelle (…)
Dans ce contexte pandémique, plus de la moitié des éditeurs de journaux ont mis fin à l’impression de leurs titres se contentant de versions électroniques qui se fondent dans le débat des réseaux sociaux. Chemin faisant, ils ont compliqué la situation des imprimeries et de la société de distribution. Cette descente aux enfers de la presse ne date pas de la Covid, elle a débuté en 2011. Ses soubassements sont certes économiques, mais ils sont aussi politiques.
Dans le monde entier, la Covid a fortement impacté la liberté d’expression. Elle a rendu le quotidien des métiers de la presse compliqué, et les gouvernements en ont profité pour faire main basse sur l’information, notamment en diffusant de la propagande officielle et des infox.
Contrairement à bon nombre de pays comparables, le Maroc est engagé dans un projet démocratique qui fait la crédibilité de sa vision. Cette profonde crise de la presse remet sur la table le débat sur le rôle des media indépendants dans la construction d’un Etat de droit.
Après avoir mis sous perfusion la presse indépendante pendant neuf mois, l’Etat compte stopper sa subvention ce mois d’avril 2021 avec toutes les conséquences possibles. Il est alors opportun de se demander comment la presse fera pour survivre dans les mois et années à venir. Et surtout quel est le modèle économique de ce quatrième pouvoir.
Qu’on l’aime ou pas, la presse indépendante reste un anticorps nécessaire à la vie et à l’avenir de notre pays. Cela, l’Etat et les grandes institutions soucieuses des équilibres du système doivent le comprendre.
Il y a quelques années, les cercles proches du pouvoir se sont fait l’écho d’un débat passionné sur le rôle de la presse indépendante dans la construction d’un Etat démocratique. Ce débat avait opposé deux mouvances. Ceux qui défendent mordicus une presse «aux commandes» et l’importance de garder toutes les voix alignées sur le même astre (…)
Fort heureusement il y avait aussi ceux qui voyaient dans la presse indépendante un mal nécessaire, un quatrième pouvoir essentiel malgré les multiples dérapages qui font partie de la pratique démocratique (…)
Au-delà du geste bienveillant de payer les salaires des professionnels de la presse, les mois à venir nous diront quelles sont les vraies intentions du pouvoir à l’égard de cette profession. A l’Etat donc de clarifier sa position une bonne fois pour toutes. Il n’est pas question de subventionner éternellement les salaires de la profession, car cela risquerait de créer une situation à l’opposé de l’objectif recherché. Il est question de lui donner les moyens de son développement en toute indépendance. Si l’Etat tient à ce pouvoir comme le prévoit d’ailleurs la Constitution de 2011, il faut mettre en place le cadre juridique et fiscal adéquat à même d’assurer sa durabilité.