Bourse, même pas mal !
Le marché boursier est depuis longtemps perçu comme un club fermé et immunisé. La crise sanitaire vient confirmer ce constat. Malgré un climat imprégné de manque de visibilité, la Bourse a terminé 2020 sur une note positive.
Après une année teintée d’incertitude, les résultats financiers du premier trimestre 2021 annonceront sans aucun doute la couleur au sein du marché boursier marocain. Déjà, à la fin du deuxième semestre 2020, le marché s’est redressé et a pu terminer l’exercice sur une note, somme toute, positive. Selon BMCE Capital Research, pour 49 valeurs ayant publié leurs réalisations, soit 95% de la capitalisation boursière, la capacité bénéficiaire ressort en baisse de -28,6% à 16.587 millions de dirhams. Mais, hors contribution au fonds COVID, la baisse se serait limitée à -10,9% seulement au 30 mars dernier. Farid Mezouar, directeur exécutif de FL Markets, pense même que le deuxième trimestre 2021 sera meilleur que celui de l’année précédente, à condition d’éviter un deuxième confinement. «Tout va dépendre de la communication financière des émetteurs car au moment de la publication des résultats de 2020, la tendance du premier trimestre 2021 sera connue», dit-il.
Cette résilience apparente sera-t-elle inscrite dans la durée? La réponse est loin d’être simple, le marché boursier marocain étant complètement déconnecté de l’économie nationale. Les résultats des plus grandes entreprises cotées – un CA de -6,4% à 233 millions de dirhams selon BMCE Capital Research – montrent cette déconnexion. Si la lecture de la performance boursière laisse, même, entendre que la crise est «dépassée», plusieurs facteurs techniques pointent vers le caractère exceptionnel du marché boursier local. Petit -une capitalisation de 598 milliards à la mi-mars- et fermé, ce marché est doté d’une demande structurelle due à l’apport des institutionnels. «Ces derniers sont constitués essentiellement des caisses de retraite et des assureurs. Ces deux catégories d’investisseurs représentent respectivement 70 milliards et 45 milliards de dirhams, ce qui correspond à environ 20% de la capitalisation globale», nous révèle une source officielle sous couvert d’anonymat. Il y a également peu de vente sur le marché, connu pour être peu liquide et, contrairement aux grands marchés boursiers, sensible au moindre acte de vente, en l’occurrence de la part des individuels. «La moindre lueur d’espoir peut impacter le marché. L’exemple le plus représentatif est l’activité de la Bourse à partir du mois de juin 2020, partie d’un niveau bas pour réaliser une montée considérable». Mais, cela est-il directement lié à une relance économique? Clairement, non!
Le manque de visibilité perdurera
On s’accorde également à souligner le manque de visibilité à long terme au sein du marché. Ce manque touche à la fois le marché boursier et l’environnement global de l’économie nationale, malgré une reprise prévisionnelle (officielle) de 4,8% en 2021. Selon Farid Mezouar, les prévisions font face à ce qui peut être considéré comme l’un des plus grands enseignements de la crise, même à l’international. «En effet, en dehors des licornes, les valeurs classiques ne sont jugées que sur un horizon de 1 à 3 ans au maximum. Mais, le manque de visibilité sur l’ensemble de l’exercice 2021 est susceptible d’être compensé par l’anticipation d’un bon premier semestre en 2021», précise-t-il. Cela dit, selon Hassan Mezrioui, analyste financier à BMCE Capital Research, les secteurs cotés les plus susceptibles d’être touchés par ce manque de visibilité sont la distribution d’hydrocarbures, représentée par Total Maroc qui devrait pâtir de la suspension du trafic aérien, environ 30% du CA, l’agroalimentaire, l’immobilier et, par extension, les matériaux de construction (voir Interview). Sur le plan sectoriel, l’industrie semble se redresser, insiste Farid Mezouar, «en dehors de certaines filières comme le textile qui souffre encore des mesures restrictives en Europe». Pour le tourisme, «la donne est encore compliquée avec le risque d’une nouvelle année blanche en 2021», poursuit-il. Et d’ajouter: «En 2021, pour tous les secteurs, il ne faudra pas négliger l’impact de la hausse du chômage (+322.000 personnes en 2020) et la baisse des heures travaillées pour les actifs (-20%)».
Mais nous avons déjà des signes annonciateurs qui atténuent le manque de visibilité. Au milieu d’un climat de «différenciation sectorielle» où certaines entreprises, comme Cosumar, ont tiré leur épingle du jeu mieux que d’autres, la distribution des dividendes sera touchée au moins dans le court terme. «Comme le montre l’exemple de la baisse du dividende de Maroc Telecom de -28%, le rendement en dividendes risque de diminuer. En attendant l’immunité collective via la vaccination, plusieurs sociétés vont opter pour une rationalisation des investissements ainsi qu’un pilotage des dividendes. Surtout, en dehors des grandes capitalisations, la levée de la dette par les autres émetteurs n’est pas chose aisée», tient à préciser Mezouar.
Les résultats financiers 2020 montrent, à la fois, l’impact mitigé de la pandémie de la Covid-19 sur les entreprises cotées, ainsi qu’une certaine imperméabilité générale face à la crise.
Ittissalat Al Maghrib accuse légèrement le coup
L’opérateur historique des télécoms, doté de la plus grande capitalisation du marché (124,5 milliards de dirhams au 17 mars), prévoit, pour l’exercice 2021, une baisse de son CA et de l’Ebidta, accompagnée d’une estimation maximale du Capex de 15% du chiffre d’affaires. En 2020, Maroc Telecom a accusé une légère baisse de son chiffre d’affaires consolidé de -0,8%, «compensée par la bonne dynamique dans les filiales africaines». De même, une baisse similaire au niveau de l’Ebidta de 0,5% a été enregistrée. Hors fréquences et licences, le Capex s’est établi à 9%. Avec cette réalisation, Ittissalat a pu proposer un dividende de 4,01 dirhams par action, ce qui représente un rendement de 2,8% (sur la base d’un cours de 145,30). Les précédentes dates de détachement d’Ittissalat indiquent une distribution de dividende qui a évolué de 6,36 DH/action en 2017, à 6,83 en 2019, avant de chuter à 5,54 en 2020.
Bonne campagne sucrière pour Cosumar
Le Groupe Cosumar est le premier en termes de volume de transactions, avec 13,7 millions de dirhams, devançant Ittissalat Al-Maghrib, en deuxième position, avec 394 mille dirhams (18 mars 2021). En 2020, Cosumar a su tirer profit d’une bonne campagne agricole sucrière, en dépit d’une pluviométrie non favorable et d’un pouvoir d’achat détérioré. Ainsi, les ventes à l’export de l’entreprise ont atteint un volume de 647 kilotonnes à fin 2020, contre 518 kt l’année précédente. Cela a été qualifié par l’entreprise, elle-même, comme «une très bonne dynamique, compensant la baisse des ventes locales». Ainsi, Cosumar a réalisé une progression de +5,1% par rapport à 2019, le chiffre d’affaires enregistré à fin 2020 étant de 8,6 milliards de dirhams. Néanmoins, l’endettement net s’établit à 1,6 MMDH, en augmentation de 528 MDH comparé à décembre 2019. Cosumar explique cette hausse par le décalage de remboursement de la Caisse de compensation à fin décembre 2020, où le Capex s’est établi à 465 millions de dirhams, contre 685 à fin 2019. Pour ce qui est des investissements comptabilisés, ils ont atteint 465 MDH à fin 2020, servant essentiellement à poursuivre la mise à niveau et la maintenance des équipements industriels.
Par ailleurs, l’activité du Groupe Cosumar a été marquée par une baisse minime de la production de sucre blanc. Au terme de la campagne 2020, elle a atteint 526 kilotonnes contre 591 l’année précédente, enregistrant ainsi une diminution de 65 Kt. Les opérations de plantation de canne et de semis de betterave ont pâti des limitations en dotation en eau. «Le déploiement des solutions favorisant le pompage privé et la rationalisation de l’eau ont permis d’y remédier», souligne l’entreprise.
Les banquiers déplorent la hausse des CES et des CDL
L’effet direct de la pandémie sur les groupes bancaires est la contribution directe au fonds de gestion Covid-19. Aussi, elle a eu une aggravation du coût du risque, induite par la défaillance des clients, entreprises et particuliers. Cela s’est traduit, à partir de 2020, par une hausse des créances en souffrance et du taux de créances douteuses et litigeuses, qui ont évolué respectivement de 15,9% et 8,7% en une année, comparé à 5,6% et 7,8% l’exercice précédent. L’encours des interventions de BAM a atteint, quant à lui, 102,3 milliards de dirhams, en hausse de 33,2%. En 2019, une hausse annuelle de 7,6% avait été enregistrée.
Le besoin de liquidité est en hausse dans ce secteur, qui a tout de même connu une évolution des crédits et des dépôts bancaires de 4,5% et de 5,3%. La croissance des crédits, passés de 838,8 à 923,5 milliards de dirhams en une année, est le fait exclusif de l’augmentation des crédits de trésorerie. Aussi, les dépôts à vue ont insufflé une hausse générale des dépôts bancaires de 5,3%, de 950 à 999,9 milliards de dirhams. Cela étant, l’octroi par l’Etat des liquidités aux banques, dans une logique providentielle, ne doit pas être traduit ou compris comme un renforcement de leurs capacités. «Rien ne dit que les facilités de trésorerie accordées aux opérateurs leur permettront de récupérer la santé financière à même de garantir un remboursement imminent des crédits», nous dit notre source anonyme, citée précédemment.
Ciments du Maroc accuse une baisse de -8% de son CA
Ciments du Maroc, dont la capitalisation est estimée à 25 milliards de dirhams (mi-mars 2021), a enregistré une baisse plus importante. Son chiffre d’affaires non audité à fin décembre 2020 s’est établi à 3,3 milliards de dirhams, ce qui correspond à une baisse de -8% par rapport à 2019. Le chiffre d’affaires non audité du quatrième trimestre s’est établi, quant à lui, à 885 millions de dirhams, en diminution de -7% sur une année. Conséquemment, à fin décembre 2020, le CA consolidé et non audité s’est établi à 3,8 milliards de dirhams, en chute de -4% en glissement annuel. S’agissant des investissements, ils se sont établis à 93 millions de dirhams à fin décembre 2020, en hausse de +21%. «Cela correspond à des investissements courants», lit-on sur la communication financière de Ciments du Maroc.
Label’Vie réalise une hausse de +6% de son CA
Le groupe se targue «d’indicateurs en progression» dans une conjoncture difficile. Il a réalisé un CA consolidé de 11.012 millions de dirhams, en progression de +6% par rapport à 2019. Une augmentation identique (+6%) du résultat net et des ratios de rentabilité (+15%) a été également enregistrée. Cette performance touche l’ensemble des segments d’activité, à commencer par les supermarchés Carrefour Market, qui ont réalisé une augmentation de +12% du total des ventes comparé à l’exercice 2019, grâce à l’ouverture de trois nouveaux points de vente. Le segment des hypermarchés Carrefour a également enregistré une hausse de +13% de ses ventes par rapport à l’année 2019. Comme le segment Carrefour Market, les nouvelles ouvertures, ainsi que le niveau des ventes réalisé en début d’années ont permis d’amortir le ralentissement de l’activité durant le deuxième semestre. Seul le segment de l’hyper cash Atacadao a connu une progression infime de +1%. En 2021, le groupe annonce son intention d’accélérer son programme de développement.
Le comportement des investisseurs changera
Événement extrême, la crise de la pandémie nous pousse à s’interroger au sujet d’un impact durable sur la cyclicité du marché financier marocain. Aussi, le comportement des investisseurs et leur vision des risques est l’un des plus importants paramètres à évaluer. «Effectivement, le comportement des investisseurs s’est adapté à cette crise. Ainsi, l’aversion au risque a diminué surtout dans un contexte de faibles taux d’intérêt. A titre d’exemple, en 2020-2021, le MASI n’a baissé que de -6% alors que le recul de la masse bénéficiaire 2020 est attendu à deux chiffres», souligne Farid Mezouar. D’autre part, la thématique des dividendes a pris de l’importance, les émetteurs qui annoncent une baisse de la rémunération des actionnaires risquent d’être sanctionnés. «La crise a ainsi amené les investisseurs à être moins averses au risque à un niveau Top-down et à privilégier, au niveau Bottom-up, la composante des dividendes dans la rentabilité prévisionnelle des investissements dans les actions», conclut Farid Mezouar.