Ahmed Réda Chami
Serial entrepreneur, ancien Ministre, Député, Ambassadeur, le président du CESE se place en défenseur de la démocratie et donne ses recettes à une plus grande influence de son institution, pour un Maroc en croissance.
Votre réaction à chaud à la fermeture d’«Akhbar Al-Yaoum» et sur l’avenir de la presse…
Voir fermer un journal arabophone aussi influent que l’avait été Akhbar Al-Yaoum est triste. C’est un journal qui a beaucoup apporté. Je continue à plaider pour une presse indépendante, rigoureuse, d’investigation… car le rôle de la presse dans la construction d’une démocratie est absolument fondamental. Je pense donc qu’il faut renforcer le rôle de la presse dans le futur.
Le CESE a 10 ans, quel bilan en faites-vous?
Après 10 ans, le CESE est devenu une institution incontournable dans le paysage institutionnel marocain. Il est au cœur des débats sur les grands sujets qui préoccupent aussi bien les politiques publiques que les citoyens. A ce titre je peux citer la retraite, le mariage des mineurs, le cannabis, l’égalité des genres, la fiscalité, le nouveau modèle de développement… Je rigolais en disant à un ami que si même le Mouvement Unicité et Réforme [pendant idéologique du PJD, NDLR], demande l’avis du CESE sur la légalisation des usages thérapeutiques du cannabis, c’est que l’image du Conseil est forte en tant qu’institution indépendante qui traite le sujet d’une manière originale, grâce à ces années de pratique. Le CESE est devenu un espace de dialogue, de concertation, un espace où la démocratie participative a trouvé un terreau pour s’épanouir et se développer. Ce n’est pas de la rhétorique. Nous avons vraiment réussi à instaurer un débat entre les diverses catégories constituant le CESE comme des syndicats qui arrivent à discuter avec des organisations professionnelles, des experts, des ONG, etc. de manière franche et directe. Celui qui est convaincu que la démocratie n’est pas importante pour le développement, je l’invite à venir passer quelques semaines au Conseil. Il verra que sur des sujets particuliers qu’il peut appréhender d’une certaine manière, les débats, les auditions, les expertises, etc. peuvent lui faire changer de perspective concernant ses convictions profondes. Moi-même j’ai vécu ça au sein de ces murs.
C’est le but même du CESE…
Bien sûr je n’en prends pas totalement crédit. Mais j’essaye de perpétuer ça et de faire que le CESE soit encore plus écouté. Nous avons d’ailleurs une nouvelle vision qui a été mise en place pour ça. Primo, le Conseil doit être plus influent. C’est-à-dire qu’il y a des recommandations qui ne sont pas écoutées et nous allons revenir là-dessus. Donc comment devenir plus influent? Deuxièmement, il faut plus de participation. Aujourd’hui on représente 5 catégories. Mais les citoyens peuvent ne pas se reconnaître dans ces catégories, comme par exemple quand on parle des ONG les plus représentatives, d’autres ne se reconnaissent pas. Comment faire pour que les citoyens se reconnaissent dans ce qu’on fait? Pour cela nous sommes en train de finaliser une plateforme de participation citoyenne où on peut demander l’avis des gens, où on demande de contribuer à des recommandations, faire monter des sujets, etc. Il faut qu’on devienne une caisse de résonance des citoyens. Troisièmement, il faut qu’on arrive à ce que le CESE soit plus visible. Il faut y arriver pour faire plus de plaidoyer. Aujourd’hui le CESE est vu comme une sorte de think tank stratégique pour le gouvernement ou pour le parlement. Sur cet axe-là, il y a encore du travail à faire, parce que les recommandations ne sont pas suffisamment prises en compte. On doit être dans les 20% des recommandations qui sont prises en considération mais il y a mieux à faire.
Nous nous considérons comme un outil d’influence qui façonne les consciences de demain. C’est-à-dire que quand le Conseil aborde des sujets, sur par exemple le mariage des mineurs, ou l’interruption volontaire de grossesse, eh bien, on crée le débat! Et c’est en créant des débats que les positions bougent. Ou encore quand on publie un avis alarmiste sur l’eau, ça façonne les attitudes, les consciences… C’est là où on voit notre potentiel d’influence. La presse utilise beaucoup nos rapports, les parlementaires aussi dans leurs questions orales, etc. Et ça nous allons le continuer et le renforcer, notamment à travers la participation citoyenne. Il faut qu’on se nourrisse.
Comment ça ?
Nous sommes en train de développer avec le gouvernement et les deux chambres du parlement des sortes de conventions pour définir des mécanismes institutionnels qui nous permettent de mieux nous parler et qu’il y ait plus d’adhésion à nos recommandations. Ces conventions prévoient qu’il y ait plus de saisines qui viennent de la part du gouvernement. Nous expliquons que pour les sujets qui ont besoin d’une large adhésion, nous sommes les mieux outillés pour baliser le terrain. Car si une résolution est votée à l’unanimité au sein du conseil, cela veut que toutes les composantes sont d’accord, et donc c’est plus facile à défendre par le gouvernement ou au sein des chambres. L’autre chose que prévoit cette convention, c’est qu’il y ait des rapports annuels que ce soit du gouvernement ou des chambres sur les recommandations du conseil. Cela été introduit par la deuxième chambre, dans son règlement intérieur.
Avoir une légitimité populaire, n’est-il pas dévolu au parlement?
Le Parlement est dans le représentatif. Nous, on est dans le participatif. Il faut que le citoyen se dise: voilà une institution qui nous écoute, qui est notre porte-voix. Dans ce sens, nous allons établir des questionnaires que nous allons partager avec les citoyens avant d’émettre des avis. Nous auditionnons beaucoup d’experts qui influent nos avis. Je veux qu’on soit aussi influencés par l’avis des citoyens, avec tous les problèmes que cela peut poser, notamment pour remonter l’information à travers les réseaux sociaux. On est aussi en train de réfléchir à la manière de remonter des propositions de sujets qui représentent une demande sociale importante. On va essayer de récolter des sujets qui nous semblent intéresser beaucoup de gens dans nos plateformes et proposer des auto-saisines. Donc, nous sommes en train de chercher des mécanismes, qui ne soient pas en contradiction avec notre loi organique, et qui permettent une participation citoyenne. Et je peux vous dire que nous sommes bien avancés.
Partout on considère les CESE comme voies de garage pour politiciens. Dans votre Conseil aussi on remarque une absence de jeunes …
J’ai eu peur, car je pensais que c’était de moi que vous parliez en me mettant sur une voie de garage en tant que politicien alors que je considère que j’ai encore les moyens de faire des choses… (Rire)
Plus sérieusement, c’est un sujet d’introspection et d’autocritique que je fais de manière régulière. C’est d’ailleurs souvent discuté dans le Conseil où on dit que nous ne sommes pas assez ouverts aux jeunes. Parmi les engagements qu’on a pris, c’est de faire beaucoup plus de choses avec la jeunesse cette année. Et là, c’est le Conseil qui s’adresse à la jeunesse. Sur les membres, comme vous le savez, de par la loi, il y a 24 membres experts nommés par Sa Majesté, 24 représentants de syndicats, il y a autant qui viennent des organisations professionnelles, 16 ONG, et finalement 17 membres Es Qualités représentants d’institutions. En tout, nous avons 107 membres. Quand on a refait le décret de nomination en passant de CES à CESE -ça a été fait il y a quelques mois- nous nous sommes intéressés dans la formulation de ce décret à fixer des critères qui sont en lien avec les compétences et l’expertise nécessaires pour participer effectivement aux travaux du Conseil, une meilleure représentation du genre et des MRE… Nous avons aussi demandé que chaque catégorie nous donne deux profils par poste proposé. Maintenant, il y en a qui vont être proposés comme récompense pour bons services, ça se fait ici ou ailleurs et ce sont des choses que l’on ne peut pas maîtriser. Mais la logique est qu’on ait des gens qui contribuent effectivement. Sinon après, la jeunesse doit avoir son propre Conseil [comme c’est stipulé par la Constitution, NDLR], et c’est comme ça que l’on peut avoir une meilleure représentation de cette catégorie.
En parlant de décret, on vous a dernièrement souvent vu avec le Chef du Gouvernement. Vous vous entendez bien apparemment…
Je pense qu’il y a deux manières de voir les choses. On peut considérer que de par la loi, le CESE est une institution indépendante qui répond à des saisines ou fait des auto-saisines et en rester là à attendre Godot. Il y a une autre façon de faire, pour devenir plus influent, c’est de convaincre les autres que le CESE peut les servir tout en gardant son indépendance. C’est cette manière que j’adopte. Je suis allé voir le Chef du Gouvernement que j’ai invité à assister à notre Assemblée Générale. Je suis allé voir d’autres ministres qui sont aussi venus au CESE. Et je pense que c’est ce qui fait la différence avec mes prédécesseurs. C’est d’aller vers les gens et de construire une relation de confiance avec eux. A partir de là, on peut aussi prendre des engagements pour être plus écoutés. Par exemple que nos rapports soient plus courts et plus lisibles. Avec des rapports aussi longs que ce qu’on a l’habitude de faire, c’est rare qu’un ministre prenne le temps de les lire. Deuxièmement, il faut que nos recommandations soient plus précises et plus réalisables. Il y a bien sûr la partie prospective qu’il faudra garder, car nous ne sommes pas un département gouvernemental, mais il faut qu’un minimum de propositions soit implémentable rapidement. Il faut trouver le bon mix pour être écouté et influent.
Concernant votre dernier rapport sur la sécurité au travail où vous êtes allé voir le CG, est-ce que c’était à votre initiative?
On a sorti ce rapport quelques jours avant les inondations de Tanger, qui ont malheureusement coûté la vie à beaucoup d’ouvriers. C’était un très bon rapport avec des recommandations simples et précises. D’habitude, on envoie systématiquement nos rapports à Sa Majesté, au Chef du Gouvernement et aux présidents du parlement. Et je demande la possibilité d’exposer ces rapports comme je l’ai déjà fait pour le rapport sur le foncier si vous vous souvenez. Avec les événements de Tanger, le Chef du Gouvernement m’a demandé de venir lui exposer le rapport.
Il y a une démultiplication d’institutions qui publient des rapports comme le CESE, ainsi que de nombreux think tanks privés ou semi-publics. Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y ait inflation de rapports créant une cacophonie?
Premièrement, nous ne sommes pas un think tank. Nous n’avons rien à voir avec ce que vous avez cité. Nous sommes une institution essentielle pour construire la démocratie dans notre pays. Nous sommes l’expression matérielle du concept de démocratie participative. Nous représentons les diverses catégories socioprofessionnelles et civiles en plus des experts, ce qui nous donne une représentation assez large de la société. Nous cherchons aussi à élargir cette représentation en ouvrant une plateforme citoyenne pour que tout le monde s’adresse à nous. Les think tanks traitent des sujets qui sont dans leur ADN où chacun va s’occuper de sujets avec lesquels il a plus d’affinité. Le CESE traite des sujets qui remontent des différentes composantes du Conseil et en prenant en compte toutes les sensibilités représentées par la force de la loi dans le CESE. Nous avons un rôle institutionnel bien précis que nous remplissons, permettant l’expression démocratique au sein de nos recommandations et rapports. Maintenant, cela ne veut pas dire que tous les acteurs sont convaincus par ce rôle. On va avoir des gens qui vont dire qu’est-ce qu’on à faire de la démocratie représentative? D’autres qui vont dire: ok pour le parlement, c’est un moindre mal, mais pourquoi la démocratie participative? D’autres encore qui vont dire: il nous faut la démocratie participative et on doit supprimer le parlement. Moi je pense qu’au contraire il faut construire beaucoup de contrepouvoirs pour avancer dans une direction saine. Nous sommes un de ces contrepouvoirs. La presse aussi en est un.
Concernant le rapport sur l’impact Covid vous avez pointé 3 défaillances structurelles pourquoi celles-ci en particulier?
Quand on regarde la situation créée par la Covid, il y a la santé, car les gens tombent malades. Vous avez l’activité économique qui s’est arrêtée. Et puis vous avez le sort des jeunes et des enfants à l’école. Quant à la santé, on connaissait les fragilités du système que la Covid-19 a mises en lumière. Et donc, il faut traiter les maux du système structurellement. Sur l’emploi, on a relevé que beaucoup de gens sont dans l’informel et qu’ils n’ont aucune protection, donc on a pointé l’informel même si on le fait depuis des années. Et à cette occasion, on a adressé une note au ministre des Finances pour lui soumettre nos propositions sur la manière dont le problème doit être traité, notamment grâce au mobile paiement. Concernant l’éducation, nous avons pointé les limites de l’approche du ministère de l’Education sur la méthodologie adoptée et les différentes limites qu’elles soulèvent. Et il y a eu aussi quelque chose de sous-jacent à ça qui est l’infrastructure numérique, où on a relevé les retards accumulés par le Maroc dans la connectivité qui ne permettent pas de développer suffisamment la télémédecine, le télétravail ou l’enseignement à distance, etc. Nous sommes d’ailleurs en train de finaliser un rapport spécifique sur la transformation digitale du Maroc.
La réforme du système de gouvernance a été considérée comme essentielle pour le nouveau modèle de développement. Quelle est votre approche là-dessus?
La réponse se trouve dans le rapport qu’on a fait sur le nouveau modèle de développement. Il y a 9 grands choix à trancher et le 9ème c’est la gouvernance. Et on dit que si on ne change pas le système de gouvernance, les 8 autres choix n’ont pas d’importance. On dit que chacun assume ses responsabilités. Un Chef de gouvernement plus fort et responsable, etc. Les recommandations sont toutes incluses dans le rapport.
Pourtant c’est une question qui a été traitée par la Constitution il y a dix ans déjà… pourquoi cette question est récurrente?
D’abord il faut que tous les acteurs jouent leur rôle tel que défini par la Constitution. Si un acteur ne joue pas son rôle, la nature a horreur du vide. Il faut qu’il y ait d’autres acteurs qui puissent jouer le jeu. Ça c’est une première raison. Une autre raison, c’est qu’il faut une clarification des rôles des uns et des autres, car souvent on fait de l’autocensure. On se dit ce n’est pas moi, ou bien je vais empiéter, etc. ces deux raisons sont liées… parfois c’est de l’autocensure, parfois on a peur… Il faut des acteurs qui assument. Il faut aller vers plus d’effectivité des articles de la Constitution. C’est clair qu’une Constitution vit, qu’on peut la clarifier ou la changer, mais je pense que c’est plus lié à des comportements d’acteurs et un manque de clarification des périmètres.
Pour de nombreuses personnes votre passage en tant qu’ambassadeur à l’UE a été raccourci. Que s’est-il passé?
Tout d’abord je veux bien clarifier une chose. Je suis heureux et content du travail que je fais au CESE. C’est un message important pour moi et que je veux passer. En tant qu’ambassadeur, d’après ce que j’ai compris, je devais remplir une mission particulière. C’était le renouvellement des accords de l’agriculture et de la pêche. J’ai été là-bas la veille de la décision de la Cour de justice européenne qui avait exclu le Sahara sous certaines conditions. Il fallait faire un travail avec d’autres acteurs, pour qu’on puisse avoir un renouvellement des accords, par le Conseil européen et par une très grande majorité de parlementaires européens. Et ça, ce n’était pas gagné d’avance. Je pense que j’avais une mission particulière lorsque Sa Majesté a décidé de m’envoyer là-bas, bien qu’il ne me l’ait pas dit comme ça. Mais c’était évident qu’il y avait des choses à faire. Après, Sa Majesté a jugé que je pouvais être plus utile ici et me voilà. Ça a été une période extraordinaire où je suis sorti de ma zone de confort, parce qu’être au cœur de ce qui se passe à l’UE est extrêmement intéressant. D’autant plus qu’il y avait des choses à accomplir pour défendre le point de vue du Maroc sur le Sahara. Est-ce qu’en dehors de ça le travail diplomatique quotidien m’aurait enchanté? Je ne peux pas dire, je ne suis pas resté assez longtemps… Je suis une personne qui aime l’action et qui aime bien les challenges. Celui-là est passé, aujourd’hui je suis en train d’en relever d’autres.
C’était court…
2 ans et un trimestre. Quand Sa Majesté m’a nommé au CESE, c’était en décembre, et le vote pour l’accord de pêche était en février. Il m’a demandé de rester en poste jusqu’après le vote. Ce qui confirme un peu cette analyse qu’il y avait une mission particulière…
Dans la presse, certains ont vu votre départ pour Bruxelles comme un éloignement de l’USFP juste avant les élections…
Je ne pense pas. Mais s’il n’y avait pas cette mission aussi évidente à l’UE, peut-être que j’aurais plus prêté attention à ce qui s’était dit à l’époque. Mais non, il y avait cette mission et je suis très fier qu’on ait pensé à moi pour la remplir. Et c’était important parce que les plus réticents parmi les Européens étaient de gauche. Avoir quelqu’un de la gauche qui y aille pour les convaincre, je pense que c’était un choix judicieux. Je ne pense pas qu’il y ait une théorie de complot. Il y a eu une réflexion bien stratégique.
Vous êtes toujours en contact avec l’USFP?
Je suis membre. J’ai des amis qui me voient, qui m’appellent… Je ne suis pas actif dans les instances. Mais je n’ai jamais quitté l’USFP.
Vous comptez revenir aux instances?
Pourquoi pas, j’attends le prochain congrès et je verrai comment les choses se présentent. Je n’écarte rien du tout.
Certains prévoyaient que vous alliez prendre la présidence du parti pour le sauver…
Pourquoi utiliser le passé? Le futur est encore là. Je pense que s’il y a un projet porté par plusieurs personnes- je le répète ce n’est pas une histoire d’une seule personne-, oui j’irai au combat. Je n’ai jamais écarté des bonnes batailles. Mais il faut que ce soit de bonnes batailles. Des batailles d’idées, de renouveau, de construction… Il ne faut pas que ce soit une bataille de personnes, d’individus… Franchement là, ça ne m’intéresse pas, je n’irai pas.
Votre prédécesseur a fini chef de parti…
(Rire) On me l’a déjà sortie celle-là! Je ne pense pas qu’on puisse tirer des règles d’une seule occurrence sinon les statisticiens deviendraient fous…(Rire). Plus sérieusement, aucune option n’est à écarter. Je peux rester ici de longues années, si Sa Majesté veut que je reste. Je peux demain aller à Al Ittihad, etc. Vous savez, j’ai eu une carrière riche et diversifiée. Croyez-moi, jamais je n’ai prévu the next moove, jamais.
Est-ce que vous ne vous sentez pas à l’étroit au CESE vous qui êtes habitué à bourlinguer?
Seule la Covid me fait sentir à l’étroit. La pandémie a fait qu’on ne bouge pas. Et c’est ce qui est extraordinaire au Conseil. Comment voulez-vous vous sentir à l’étroit intellectuellement avec le nombre de sujets qu’on traite? Je dois avouer que parfois, le fait de ne pas pouvoir implémenter soi-même des choses peut donner quelques frustrations… Cette expérience est différente des autres que j’ai eues, où j’étais toujours dans l’action. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus dans la réflexion que dans l’action. Ça me permet de me familiariser avec de nombreux sujets que parfois je ne connaissais pas. Ça me permet de mieux connaître le Maroc. C’est extrêmement positif.
Votre côté homme d’affaires ne vous manque-t-il pas?
Je préfère entrepreneur, bien qu’homme d’affaires n’ait rien de péjoratif. Je dis entrepreneur parce que j’ai toujours commencé des boîtes. Ça rejoint mon caractère de créer, d’innover. Et ce ne sont pas les choses les plus simples à faire. La création, l’innovation a beaucoup de risques inhérents, d’ulcères et de maux d’estomac qui vont avec, de problèmes de financement… Je n’exagère pas. Ça reste le parcours du combattant ici au Maroc. Ça rejoint un autre sujet qui est l’environnement des affaires. Et ce n’est pas le Doing Business où on a gagné des points… C’est la réalité du terrain qui est franchement encore extrêmement difficile pour les entreprises. Donc sur ce terrain-là je continue. Je ne peux plus vraiment faire de l’entrepreneuriat depuis quelques années. Mais les entreprises que j’ai commencées, je continue à les suivre, même s’il y a toujours eu des gestionnaires. Il y en a eu une qui a fermé quand j’étais à Bruxelles. Ça fait partie des choses de la vie. Je suis aussi administrateur indépendant dans certaines entreprises, ce qui me permet de garder contact avec l’économie. C’est important. Et ça me permet aussi de partir en vacances à la fin de l’année. (Sourire)
Vous étiez un des pionniers de l’IT au Maroc. Avec le recul, est-ce que vous pensez qu’on a encore des opportunités dans ce domaine?
Il y a une vraie opportunité dans ce domaine. C’est vrai qu’on a saisi quelques opportunités comme les gens de HPS qui sont 3èmes au monde sur la monétique. Si des Marocains sont 3èmes sur un sujet, cela veut dire qu’on peut y arriver sur d’autres. Le problème, c’est que plus on tarde, moins il y a d’opportunités, parce que d’autres pays bougent. Pour y arriver, il y a quelques points clés. Premièrement: il faut former plus d’ingénieurs en informatique. Même s’il y en a qui partent, il faut en former beaucoup plus. Aujourd’hui, il y a une telle base de profils techniques au Maroc, des doctorants en maths, en physique, etc., je connais même un docteur en énergie atomique qui est fonctionnaire du ministère de la Culture… Il faut qu’on puisse leur donner l’opportunité de se réorienter vers les nouvelles technologies, le développement informatique, les réseaux, etc. C’est éprouvé et je peux citer plein d’exemples privés de réussite de cette stratégie au Maroc. Deuxièmement: c’est l’infrastructure numérique et le haut débit. Il faut absolument qu’on arrive à câbler le maximum. Troisièmement, c’est tout ce qui est règlementaire, comme par exemple ce qui concerne le mobile paiement. On ne peut pas avoir de développement si on n’a pas des outils pareils. Quatrièmement, c’est l’intelligence artificielle. On a un tsunami qui arrive et on n’est pas encore bien là-dedans. Pour répondre à la question: nous avons une opportunité à saisir mais elle s’amincit.
En tant qu’ex-ministre de l’Industrie, comment voyez-vous notre évolution industrielle en comparaison avec la Turquie, par exemple?
Il y a eu un développement très intéressant du Maroc sur plusieurs sujets. Mais notre modèle est arrivé à sa limite. On n’a pas encore raté, mais on va rater si on n’y va pas. D’où cette histoire de nouveau modèle que Sa Majesté a appelé de ses vœux. Il faut aujourd’hui avoir une croissance plus forte. Et je pense que la Commission a beaucoup de pistes importantes. On a d’ailleurs étudié la Turquie.
Est-ce qu’on aurait pu mieux faire en aéronautique par exemple? La Turquie est discrètement devenue 2e exportateur mondial de drones…
Sur ce point en particulier, c’est un problème réglementaire. On n’a pas une réglementation qui marche. C’est pour ça que j’ai parlé de réglementation tout à l’heure. L’industrie des drones entre aussi dans le domaine des technologies de l’information. Comme j’ai parlé de mobile paiement, je peux aussi parler de drones. Dans ce cas, c’est l’aspect sécuritaire qui a pris le pas sur l’aspect innovation. Est-ce qu’on aurait pu faire mieux? Bien sûr que oui. Vous n’avez qu’à voir les taux de croissance de ce qu’on faisait avant et ce qu’on fait maintenant… Sur l’aspect de ce qu’il faut faire, il faut se poser et voir le rapport de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement. Mais là, je ne suis pas habilité. (Rire)