Shinozuka Takashi
Fin connaisseur du Maroc et aussi des affaires du pays, l’ambassadeur du Japon au Maroc vient intensifier la coopération, notamment économique, déjà en plein essor.
Votre prise de service s’est faite dans un contexte particulier avec le déclenchement de la pandémie de Covid-19. Cela vous a-t-il empêché de découvrir le Maroc, d’initier des projets, ou de rencontrer certaines populations ?
Effectivement, le confinement a commencé quelques semaines après mon arrivée au Maroc. J’avais néanmoins eu la chance d’être reçu auparavant par le ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération Africaine et des Marocains Résidant à l’Etranger, Son Excellence Monsieur Nasser Bourita, pour lui remettre la copie figurée de mes lettres de créance. C’était là une démarche indispensable pour tout nouvel ambassadeur, et je suis reconnaissant au gouvernement marocain d’avoir rendu ce premier pas possible. L’état d’urgence sanitaire, avec le confinement, a certes limité mes déplacements et mes contacts avec des gens, mais cela m’a permis par ailleurs de bien suivre tout ce qui se passait dans mon nouveau pays d’accueil. Il s’est passé des choses qui m’ont beaucoup impressionné au Maroc, ce qui a été accompli par sa diplomatie, la résilience de son économie, sa gestion de la pandémie, et tout cela sous la conduite éclairée d’un grand Souverain. En cette année 2021, l’image qui m’a le plus marqué a été celle toute récente de Sa Majesté le Roi recevant sa première dose de vaccin. Cette campagne de vaccination, initiée dès le début par Sa Majesté, est en quelque sorte une récompense bien méritée à la nation marocaine qui a su faire face à la pandémie avec courage et abnégation, et j’espère qu’elle lui permettra d’atteindre rapidement l’immunité collective tant attendue. Pour notre part, nous avons pu tout de même lancer un certain nombre de projets, bien entendu pour faire face à la pandémie, et aussi dans le domaine social, où nous avons fait démarrer des projets consacrés à la violence basée sur le genre ou à la lutte contre la radicalisation en ligne des jeunes. Je me suis déplacé à Agadir dans le cadre de l’un de ces projets, et cela a été une belle expérience.
Parlez-nous de ce projet et de son financement…
Il s’agit d’un programme qui devra profiter aux gens de mer sur le plan de la santé sexuelle et reproductive. Ce programme que nous finançons sera mis en œuvre sur le terrain par l’Association marocaine de la planification familiale. Il s’étale sur deux ans, 2020-2022, et cible les marins et pêcheurs du port d’Agadir et vise à accroître l’accès de 14.000 travailleurs dans ce secteur aux services de la santé sexuelle et productive et contribuer à la réduction de la violence basée sur le genre à travers la disponibilité des services de soins et de réadaptation, l’accès à l’information, le soutien psychologique et le plaidoyer en faveur de l’adoption de politiques à même d’améliorer les conditions de travail.
Quel état des lieux faites-vous des relations économiques et commerciales entre le Maroc et le Japon ?
Je crois pouvoir dire alhamdolillah que nous sommes en train de bâtir et consolider un beau partenariat économique gagnant-gagnant. Permettez-moi de rappeler que cette année coïncide avec le 65e anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays, et c’est également le 60e anniversaire de l’ouverture de notre ambassade dans le royaume. Avec la pandémie de Covid, nous ne pourrions célébrer l’événement comme il se doit.
Il faudrait aussi rappeler qu’au début du 21e siècle, nos deux pays avaient des relations très fortes, mais sur le plan économique c’était plutôt de l’aide au développement et l’accompagnement du développement du Maroc. A présent que le Maroc est devenu un pays émergent, les relations se tournent davantage vers des partenariats de pair à pair et gagnant-gagnant. Notamment aussi pour aller conjointement sur le continent africain qui regorge d’opportunités.
Aujourd’hui, nous avons plus de 70 compagnies japonaises opérant au Maroc, qui ont contribué à créer quelque 40.000 emplois. Nous avons signé en janvier dernier deux accords bilatéraux importants, une convention fiscale pour éviter la double imposition et un accord pour la protection des investissements, qui n’attendent plus que la ratification, et je suis certain qu’une fois ratifiés, ces instruments ne manqueront pas de booster nos relations. Le Royaume est la deuxième destination préférée des investisseurs japonais sur le continent, et cela pour de bonnes raisons. Non seulement sa position géographique, mais surtout sa stabilité politique et sociale, sous la direction éclairée de Sa Majesté, font du Maroc une porte d’entrée idéale à la croisée des chemins entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient.
A combien s’élèvent les échanges entre nos deux pays ? Quels secteurs dominent ces échanges ?
Le volume global des échanges s’élève entre 5 et 6 milliards de dirhams par an, suivant les statistiques. Nous importons surtout des composants électroniques, des phosphates, de l’agar-agar. Nous importons également des produits de la pêche maritime, notamment des poulpes, des calmars… Si vous achetez du poulpe sur un marché japonais, il y a de fortes chances qu’il soit marocain. De notre côté, nous exportons au Royaume du Maroc des voitures et des machines. Concernant les investissements, nous avons nos grandes maisons de commerce, appelées Shosha et jouant un rôle facilitateur important, et qui ont toutes pignon sur rue, ici à Casablanca. Les gros investissements se font surtout dans le domaine de l’automobile, mais nous en avons également dans le domaine des énergies renouvelables, comme le montre l’investissement de Sumitomo dans le solaire photovoltaïque, ou encore le lancement récent du parc éolien à Taza. Dans ce dernier cas, il s’agit du premier investissement du Groupe Mitsui & Co dans les énergies renouvelables en Afrique.
Est-ce que le secteur automobile continue de séduire les investisseurs japonais?
Certainement. La récente signature de protocoles sur les nouveaux investissements avec Sumitomo et Yazaki, deux grands fabricants de câbles, en est la preuve. J’ai été également heureux d’apprendre qu’AGC Automotive Induver Morocco, une joint-venture avec la compagnie japonaise AGC fabriquant des vitrages automobiles, va renforcer les activités de son usine. Les entreprises japonaises sont bien intégrées dans l’écosystème automobile ici au Maroc, et en dépit de l’état d’urgence sanitaire, les usines ont tourné à un régime soutenu. Le Maroc dispose déjà de plateformes automobiles bien élaborées et d’une main-d’œuvre qualifiée, mais si le Royaume peut profiter du mouvement de relocalisation mondial et attirer d’autres usines d’assemblage, nos entreprises seront à coup sûr partie prenante pour participer aux nouveaux écosystèmes.
A combien s’élèvent les investissements du Japon au Maroc ?
D’après les chiffres dont nous disposons, ceux de 2018, ils s’élèveraient à quelque 1.586,1 millions de dirhams. Outre ce chiffre, il doit y avoir des investissements japonais passant par l’Europe, mais nous ne pouvons pas les saisir dans les statistiques. Le nombre d’entreprises japonaises au Maroc augmente, et il en est de même des emplois qu’elles créent. A titre d’exemple, suite aux protocoles avec Sumitomo et Yazaki que j’ai cités, 912 millions de dirhams vont être investis, avec la construction de quatre usines et la création de 8.300 nouveaux emplois.
Le Japon a une culture dont il faut cerner les contours avant de l’aborder. Comment mieux faire connaître la culture entrepreneuriale japonaise aux opérateurs économiques marocains ?
Dans la culture japonaise des entreprises, il existe un certain nombre d’éléments qui sont adoptés de par le monde. On parle beaucoup par exemple de «Kaizen», qui est en fait un processus d’amélioration continue basé sur des actions concrètes, simples et peu onéreuses. Ce sont la plupart du temps des choses simples et fondamentales basées sur des valeurs partagées entre nos deux peuples, telles que le respect d’autrui, le respect des aînés, le partage des informations, le sens de l’honneur et de la discipline. A ce titre, je crois savoir que «l’esprit 4S (référence à 4 mots japonais commençant par la lettre S, à savoir Seiri (rangement), Seiton (organisation), Seiso (nettoyage) et Seiketsu (propreté)» est déjà implanté dans un certain nombre d’usines.
Quelle est la place du Maroc dans le dispositif japonais pour conquérir l’Afrique, sur le plan économique évidemment?
Depuis près de 30 ans, le Japon s’est engagé à accompagner l’Afrique dans son développement, puisque c’est en 1993 que s’est tenue la première réunion de la TICAD qui est la Conférence Internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique. Le Maroc aussi a fait de la coopération Sud-Sud l’un des axes de sa politique étrangère, et possède un savoir-faire et un réseau important en Afrique. Il est donc tout à fait naturel que nos deux pays cherchent à travailler ensemble pour accompagner le continent dans la grande épopée de son développement. Jusqu’ici, le Japon et le Maroc ont effectué pas mal de projets de coopération triangulaire, dans le domaine du transport, de la pêche, de l’eau, de la gestion portuaire ou de la santé, mais à l’avenir je suis certain que nous trouverons d’autres créneaux où nous pourrons travailler ensemble.
Le Maroc, qui a été impacté par la crise sanitaire, est en train de relancer son économie. Comment le Japon compte-t-il booster sa coopération avec le Maroc pour l’en sortir ?
En juillet dernier, nous avons été très impressionnés d’entendre les grandes orientations de la nation définies par Sa Majesté lors du discours du Trône, le plan de relance et la généralisation de la protection sociale. Le gouvernement s’est attelé à ce grand chantier, mais il va sans dire que mener à bien cette tâche tout en gérant la pandémie n’est pas chose aisée. L’an dernier, nous avons signé deux Echanges de Notes avec le gouvernement marocain pour l’accompagner dans sa lutte contre la Covid-19. Le premier, en juillet, pour la fourniture d’un don de 500 millions de yens (environ 40 millions de dirhams) en vue de renforcer des hôpitaux provinciaux dans plusieurs régions du Royaume en équipements médicaux, et le second en décembre pour l’octroi d’un prêt de 200 millions de dollars américains (environ 1,8 milliard de dirhams), en vue d’accompagner les petites et moyennes entreprises, entre autres.
Nous avons également apporté un soutien financier en partenariat avec l’UNICEF pour venir en aide aux couches qui ont été impactées par la pandémie. S’il y a d’autres cas où nous pourrons apporter notre part de contribution, nous serons prêts à en discuter.
Parlez-nous de l’actualité des programmes portant sur les secteurs social, académique et de la formation supérieure, notamment mis en place par l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA)…
Nous avons jusqu’ici effectué de nombreux projets dans le cadre de «The Economic and Social Development Program». Nous pourrons citer parmi les récents projets un don d’équipements de digitalisation à la Bibliothèque Nationale, et aussi un don d’équipement de formation professionnelle aux établissements pénitentiaires. Sur le plan académique, nous avons bien sûr les bourses octroyées par notre ministère de l’Education, et aussi les bourses de «l’African Business Education (ABE) Initiative», une initiative relative à la TICAD et effectuée dans le cadre de la coopération technique par la JICA. Dans le cadre de la coopération technique par la JICA également, nombre de fonctionnaires marocains dans le domaine de la santé, de l’agriculture, de la pêche ou de l’infrastructure ont pu profiter de stages au Japon. Et il ne faut pas oublier que depuis plus de 50 ans, des volontaires japonais sont venus travailler aux quatre coins du Royaume pour prêter main forte à son développement.
Les Japonais sont peu ouverts au voyage vers le continent africain. Peut-on dire que vos concitoyens considèrent le Maroc comme une destination touristique attrayante ?
Le Maroc a de nombreux atouts touristiques, sa nature, son histoire et sa culture, ses patrimoines mondiaux, sa convivialité bien sûr, et les touristes japonais qui visitent le Royaume, au nombre de 30 à 40.000 chaque année, le savent bien. Certaines villes comme Ouarzazate ou encore Chefchaouen sont très appréciées. Casablanca aussi est très connue grâce au fameux film et d’ailleurs beaucoup de Japonais croient que Casablanca est la capitale du Maroc (rires). Mais beaucoup d’autres régions restent à faire découvrir. En plus des attraits touristiques du Royaume, les organismes de promotion de la destination Maroc devraient également donner à voir tout le confort hôtelier du pays.
Aussi et malheureusement, nous n’avons pas de vols directs, et les billets d’avion restent relativement chers. Mais nous espérons que ce nombre augmentera à l’avenir, et pour cela je compte sur deux événements en perspective qui, pour ne pas changer la donne, pourraient apporter quelques évolutions positives. Le premier est bien sûr la réunion annuelle de l’Organisation Mondiale du Tourisme prévue cet automne à Marrakech où, j’en suis certain, les opérateurs japonais pourront prendre conscience de tous les attraits touristiques du Royaume. Et le second est l’Exposition Universelle prévue en 2025 à Osaka, où le public japonais pourra rencontrer le Maroc dans toute sa splendeur.
Le potentiel est là. J’aimerais rappeler à cet effet 2005 qui a été une année faste pour le Maroc parce que SM le Roi Mohammed VI était venu en visite d’Etat au Japon. Le pavillon marocain a eu un si grand succès qu’il a été transposé dans un joli jardin public dans une préfecture à côté. La Princesse Lalla Hasna était également à l’honneur en 2018, quand elle a reçu le prix international décerné par la Fondation GOI Peace en sa qualité de Présidente de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement.
Concernant les prochains Jeux Olympiques (JO), votre pays assure que la date de juillet 2021 sera respectée. Et si la crise sanitaire perdure et qu’en juillet on n’aura toujours pas vacciné les populations à travers le monde, que se passera-t-il?
Le gouvernement japonais a récemment réitéré sa détermination à faire tout son possible pour la tenue des Jeux Olympiques à la date prévue. Nous n’avons pas encore fixé quel en sera le format final, mais toutes les mesures de sécurité nécessaires seront prises. Nous sommes en train d’examiner les modalités de tests, de gestes barrières et autres mesures nécessaires, en vue d’organiser inchallah des Jeux en toute sécurité, où la vaccination ne serait pas un prérequis. Nous savons que les athlètes marocains s’y préparent déjà, et nous leur souhaitons bonne chance.