Al Mountacer Charif Chefchaouni
Pour cet expert santé, combinant compétences cliniques et managériales, il est primordial que les autorités communiquent leur stratégie vaccinale pour une adhésion effective de la population.
L’annonce de l’arrivée du vaccin au Maroc a été accueillie entre espoir et méfiance. Quel est votre ressenti ?
C’est une nouvelle qui a de quoi raviver l’espoir d’un nouveau tournant dans la lutte contre la Covid-19. Le ressenti par rapport à ce que je vois dans mon entourage, dans le milieu médical mais aussi dans le milieu non médical, c’est globalement un optimisme. Les gens, éprouvés par les mesures sanitaires, sont relativement contents. Mais ils ont énormément de questions et d’incertitudes. Nous vivons une situation très anxiogène qui crée une demande très forte d’informations. L’incompréhension de la Covid nécessite beaucoup d’explications et de vulgarisation. Or, la parole publique et ses choix communicationnels, très limités, ont causé une défiance particulièrement préjudiciable en la circonstance. Les rumeurs prospèrent. Elles sont récurrentes et viralement partagées sur Internet et les réseaux sociaux, alimentées par des théories complotistes farfelues. Mais aussi folkloriques soient-elles, force est de constater qu’elles font plusieurs adeptes à travers le pays. Même les gens rationnels se prennent à se poser des questions.
Refuser le vaccin, c’est aussi lié à une défiance vis-à-vis de la parole de l’Etat?
En fait, dans le contexte actuel, la décision politique doit se fonder sur la science. Mais depuis le début de la pandémie, les discours qui ont été faits par les autorités, pas seulement au Maroc mais dans tous les pays du monde, se sont révélés être pour la plupart erronés. Et pour cause, comme la maladie est nouvelle, la communauté scientifique manquait de données probantes et avait avancé des éléments sur le coronavirus qui se sont révélés faux après deux ou trois mois. Pire, des scientifiques dissidents ont contesté les connaissances établies par la communauté scientifique. La parole scientifique qui s’est livrée en temps réel à un double travail d’information et de correction a fini par altérer la confiance des populations envers d’abord les responsables politiques. Derrière un optimisme majoritaire pour la solution vaccinale se cache un mouvement de défiance qu’il serait risqué de sous-estimer et auquel il faudra se préparer dès maintenant pour convaincre les personnes hostiles à l’idée de se faire vacciner.
Qui dit convaincre, dit stratégie de communication…
Absolument. D’ailleurs je pense savoir que le ministère de l’Intérieur a déjà mandaté une société de communication pour alimenter la campagne en informations. Il faut un gros travail de communication et une grande transparence. Le gouvernement doit aborder les taux de positivité et d’efficacité du candidat-vaccin, mais il doit aussi aborder les effets secondaires ou indésirables. Les effets secondaires sont courants après une vaccination, la population doit en être prévenue, afin qu’elle ne s’alarme pas et ne rejette pas en bloc la campagne vaccinale. Maintenant peut-être que le gouvernement n’a pas encore l’autorisation du groupe pharmaceutique chinois Sinopharm de partager des informations scientifiques. Et donc comment communiquer quand on ne peut pas donner toutes les informations en toute transparence même à la communauté médicale, vu que les gens se tournent vers leurs médecins traitants pour avoir leur avis. Si lui-même n’est pas convaincu, il ne pourra pas convaincre les gens d’accepter le vaccin.
Les Chinois parlent peu de leurs «résultats satisfaisants». Pourquoi leurs procédures d’évaluation restent-elles inaccessibles ?
C’est un reproche qu’on peut faire à tous les candidats-vaccins. Il n’y a pas de transparence et de partage des données des études cliniques et du vaccin avec la communauté scientifique. C’est une base de la science en général, et la science médicale en particulier, que ne devient véridique et accepté par la communauté que quelque chose qui a été largement contrôlé et vérifié par d’autres médecins que ceux qui en font la promotion, en parlant de médicaments ou de vaccins. Or, aujourd’hui, aucun candidat-vaccin n’a communiqué sur ses résultats. Ils ont publié des communiqués de presse qui annoncent aux médias et au grand public les taux d’efficacité ou autres appréciations sur les résultats, mais ce sont juste des communiqués où il n’y a aucune donnée scientifique. Ceci dit, il faudra à mon avis relativiser tout cela dans le cadre du candidat-vaccin chinois que le Maroc prévoit d’utiliser dès la mi-décembre puisqu’il a été testé sur 600 personnes. Les experts qui ont piloté l’étude et assuré le suivi de l’essai clinique sont bien évidemment tenus par le secret professionnel et une clause de confidentialité. Mais ce qui circule dans la communauté scientifique, officieusement, c’est que la tolérance est bonne et que le taux d’efficacité est encourageant.
L’hésitation face au vaccin Sinopharm est aussi liée au manque de confiance vis-à-vis de la Chine d’où est partie la pandémie…
C’est une guerre médiatique que l’Occident mène contre la Chine avec des soubassements économiques énormes, également géostratégiques en termes de soft power, dans une moindre mesure contre la Russie également. On voit très bien que les médias occidentaux ne valorisent absolument pas le travail fait par les équipes chinoises. Et puis ce n’est pas parce que le coronavirus a été déclaré en Chine qu’il a commencé là-bas, ou que ce sont les Chinois qui auraient développé ce virus comme le répètent des théories vagues qui circulent. D’ailleurs, il y a une étude apparue récemment où une équipe scientifique italienne a révélé quelque chose d’intéressant. L’équipe est revenue sur des sérums prélevés en septembre 2019 sur des patients italiens qui avaient des cancers de poumon et qui participaient à des études cliniques pour un nouveau traitement pour le cancer du poumon. Ces gens n’étaient pas malades de la Covid-19, puisqu’a priori le virus n’existait même pas, mais quand ils ont recherché des anticorps du virus sur ces sérums, ils ont trouvé que 19% des patients prélevés avaient déjà des anticorps contre la Covid-19.
La question qui va se poser suite à cette étude, c’est que si ces patients ont déjà des anticorps, soit qu’ils ont une immunité contre d’autres coronavirus -puisqu’il y a des parents entre plusieurs virus qui se ressemblent et peuvent avoir une immunité croisée- ou alors que le virus circulait déjà en Italie, en septembre 2019, bien avant que l’épidémie ne se déclare à Wuhan, en novembre 2019, où s’est déclarée cette maladie. Je pense qu’on le saura un jour ou l’autre parce que l’OMS fait des études très poussées sur cette question pour comprendre. D’année en année, on identifiera le patient zéro et on retrouvera où cela a commencé.
C’est une chose possible ?
Absolument. C’est très différent en termes de contexte, mais je peux vous rappeler l’une des plus grandes pandémies pendant la Guerre 14-18, qui est la grippe espagnole, qui avait sévi en Europe et dans le monde entier. On l’appelle grippe espagnole parce qu’elle a été détectée en Espagne et ils étaient les premiers à en parler. Pourtant, elle n’avait rien d’espagnol puisqu’elle a commencé aux États-Unis dans les casernes militaires. Cela ne s’est su que des dizaines d’années plus tard. Ceci pour dire que ce n’est pas parce que c’est la Chine qui a communiqué la première sur cela que c’est un point de départ chinois, ou que ce serait eux qui sont à l’origine de ce virus. Mais vous avez raison, avec toutes les théories du complot en vogue, les médias et les réseaux sociaux en ont conclu que c’est la Chine qui est à l’origine du virus, à plus forte raison quand ils s’en sont sortis très vite et que plusieurs discours conspirationnistes ont accusé ce pays d’avoir déjà en sa possession le vaccin.
On ne peut pas aussi les ignorer parce que ça influence l’opinion publique !
Pour lutter contre, la meilleure façon reste de communiquer de la façon la plus transparente et le plus tôt possible et de la façon la plus itérative possible pour convaincre les gens de la réalité et la vérité des choses. Aujourd’hui, nous ne le faisons pas au Maroc.
Si vous deviez vous faire vacciner, lequel des vaccins en cours de développement dans le monde choisiriez-vous et pourquoi ?
Puisque vous me posez la question du choix, je suis obligé de choisir. Ma première option serait pour un vaccin «conventionnel» à virus inactivé. Le virus, isolé, est inactivé au moyen d’un traitement chimique qui lui fait perdre toute agressivité. C’est la technique la plus éprouvée et ce depuis Pasteur en 1870. Lorsque l’on injecte ce fantôme de virus à une personne, elle va nécessairement développer une immunité, mais sans tomber malade. C’est le cas de tous les vaccins contre le choléra ou encore la typhoïde qui ont permis d’éradiquer de grosses épidémies à l’échelon mondial. Ce type de vaccins entraîne généralement une forte réponse immunitaire. Pourquoi le projet de Sinopharm auquel le Maroc a participé ne le serait pas?
Pour mon deuxième choix, j’irais vers les vaccins récents qui visent à injecter au patient un brin d’ADN, une séquence codée qui envoie des instructions contre le virus. Alors que la technique traditionnelle des vaccins consiste à injecter un virus inactivé (ou atténué) pour que le corps apprenne à s’en défendre, la technique de l’ARN messager consiste, elle, à envoyer un message à l’organisme sous la forme d’un morceau d’ADN, un code et pas le virus en lui-même. Son but est d’inciter l’organisme à fabriquer lui-même une fraction inactive du virus, puis les anticorps pour lutter contre ce virus. Les deux premiers vaccins à proclamer leur efficacité, mis au point respectivement par les laboratoires américains Pfizer et Moderna, sont basés sur cette technologie.
Et puis mon dernier choix serait pour le vaccin du duo AstraZeneca ou le vaccin russe Sputnik V qui est sur la même base. Ce sont des vaccins qui font porter par un autre virus «anodin» les protéines du virus contre lequel on veut immuniser. En produisant cette protéine, le patient va pouvoir développer une réponse immunitaire contre la protéine caractéristique du coronavirus. Là pour le coup, on créé une sorte d’OGM. Si on doit être craintif, c’est surtout de ce type de vaccin qu’il faut s’inquiéter. Mais je vais vous dire, si demain il n’y a pas de vaccin classique et qu’il n’y a qu’un recombinant AstraZeneca, je me ferai aussi bien vacciner avec.
Le choix premier du Maroc s’est porté sur le vaccin Sinopharm. Quelles sont ses promesses et ses inconnues, notamment avec le manque de recul nécessaire ?
En médecine, il y a un principe de base qui est l’évaluation du ratio bénéfice-risque. On pèse le bénéfice apporté par une action versus les risques que cette action induit sur la personne. C’est peser d’un côté ce qu’on gagne, et de l’autre ce qu’on perd. Ce que l’on perd, c’est avoir des effets secondaires plus importants qu’attendus chez la personne inoculée, ou même faire la maladie dans un cas extrême. C’est toujours possible si le vaccin n’a pas été suffisamment atténué. De l’autre côté par contre, c’est de gagner une immunité même si elle n’est pas personnelle, si nous-mêmes nous ne développons pas assez d’anticorps pour lutter contre la maladie, cela fera en sorte que la pénétration du virus sera ralentie ou même arrêtée.
Maintenant, si on n’a pas encore le recul nécessaire, c’est un peu la responsabilité du gouvernement de peser d’un côté les risques d’utiliser ce vaccin. Parce qu’il faut trois années pour développer un vaccin, et là on réduit ce parcours de 3 ans sur une seule année. Il n’y a donc pas assez de recul et l’efficacité à long terme sur d’éventuels et hypothétiques effets secondaires après une année ou deux années des injections.
En restant sur le vaccin de Sinopharm que nous allons recevoir d’ici peu, la phase du test pour la Chine est clôturée et la firme chinoise a inoculé près d’un million de personnes. Mais c’est un million sur plus d’un milliard d’habitants. Qui nous dit qu’une fois qu’ils arrivent à 20 millions ou 200 millions de personnes, d’autres effets secondaires n’apparaîtront pas? C’est au fur et à mesure que l’échantillon va grossir que l’on peut faire apparaître certains effets indésirables. Il faudra donc appliquer une pharmacovigilance renforcée pendant et après la campagne de vaccination, de façon à identifier des effets indésirables qui n’auraient pas été remarqués pendant les essais cliniques. Le Maroc est rompu à ce genre d’exercice depuis 50 ans.
Avoir un seul vaccin sera-t-il suffisant pour toutes les formes de virus en circulation ?
Tous les virus mutent, quels qu’ils soient. Maintenant, certains mutent plus rapidement que d’autres et ces mutations sont plus ou moins importantes et modifient de façon plus ou moins importante l’agressivité du virus et les protéines de surface du virus. Donc effectivement, à ma connaissance, il y a trois ou quatre sérotypes du virus qui ont été identifiés et les vaccins en cours de développement doivent normalement agir sur les quatre. Une sorte de panaché des sérotypes de ce virus inactivé doit pouvoir induire une immunité pour les virus en circulation.
Maintenant, quand on aura vacciné la population dans les prochains jours, peut-être qu’en 2021 un nouveau sérotype apparaîtra. Bien sûr, il ne sera pas complétement différent sinon ce sera un nouveau virus. Mais il sera un proche parent et nous aurons contre cette nouvelle forme de coronavirus une protection partielle. Sinon, l’Organisation mondiale de la santé gère, avec les organismes de santé des pays à travers le monde, un système de surveillance du virus. Chaque année, on va prélever des échantillons et vérifier s’il n’y a pas un nouveau sérotype qui apparaît dans plusieurs cas différents et en nombre. Eh bien, ce nouveau type fera partie de la recette pour préparer les nouveaux vaccins pour la saison de l’année suivante C’est quelque chose d’assez rodé et c’est ce qui se fait pour la grippe saisonnière qui est le virus qui mute le plus. C’est pour cela que nous attendons tous les ans le vaccin de la grippe en octobre qui inclut les nouveaux sérotypes, car si on prend celui de l’année dernière on ne sera pas bien couverts. Donc au pire, ce sera le même process pour le coronavirus.
La campagne imminente de vaccination est un chantier monumental. Connaît-on déjà la stratégie de déploiement du vaccin ?
Ce que je peux vous dire c’est que cela fait plus d’un mois que les équipes sont mobilisées au ministère de la Santé, également au niveau de l’Intérieur et des Forces Armées Royales, pour mettre en place un plan opérationnel. Selon le schéma actuellement à l’étude, l’opération de vaccination sera nationale, mais sa gestion se fera à l’échelon local et régional. Les équipes locales œuvrent à lister la définition des besoins, identifier les ressources à mobiliser, les moyens de mobilité ainsi que les partenaires potentiels. Je sais également que de très nombreux fournisseurs d’équipements médicaux ont déjà été sollicités il y a quelques semaines pour formuler des offres de service pour tout ce qui est enceintes réfrigérées, réfrigérateurs, glacières, et tout le matériel d’injection pour la campagne. Ceci pour dire que la mobilisation est déjà là pour le déploiement de la campagne. La date de démarrage dépendra, bien sûr, de la validation du vaccin et de sa fabrication.
Le Maroc est rompu aux campagnes vaccinales, mais 3 contraintes compliquent cette fois la tâche: la compression du calendrier, doses administrées par personne à un mois d’intervalle, et la réfrigération à basse température…
Le Maroc est en effet rompu à ce genre de campagnes, on en fait depuis très longtemps et c’est d’ailleurs un des principaux succès du système de santé marocain. Mais on peut considérer que 10 millions de personnes à vacciner en quelques semaines avec 2 doses injectées à 3 ou 4 semaines d’intervalle, c’est quelque chose qui peut poser problème par rapport aux campagnes habituelles. Mais faisons un calcul très simple. La première vague va se faire avec 10 millions de vaccins, soit 20 millions de doses. Il faudra vacciner 10 millions de personnes en 2 mois, à raison de deux injections par personne, ce qui fait 10 millions de passages/injections par mois. Il faut mettre cela en rapport avec le nombre de centres de santé et d’hôpitaux publics. Nous en avons 28.830 dans le pays. Si la vaccination se fait dans tous ces centres, cela ne représente que 14 personnes par centre. Si l’on considère le public et le privé, le nombre va tomber à seulement 11 personnes par jour et par centre, cabinet médical et clinique. J’espère que le ministère ne fera pas encore l’erreur d’exclure le privé et l’associera dès le départ.
Mais bon, ce n’est jamais organisé comme cela. J’imagine que tout le monde ne peut pas être impliqué pour vacciner. Sinon cela va être un cauchemar logistique si on veut distribuer des vaccins dans tous les hôpitaux, toutes les cliniques et tous les cabinets médicaux, … je pense qu’il y aura des centres, hôpitaux, cliniques désignés, formés, supervisés et alimentés en vaccins pour faire cette vaccination. Là on peut faire un autre calcul, si on considère qu’un centre de vaccination travaillera 7 heures par jour, du lundi au samedi, avec deux minutes de passage par personne à vacciner, ce qui est suffisant, on aura à mobiliser 7% seulement des centres et hôpitaux publics pour réaliser le programme vaccinal.
Par contre, le challenge c’est d’avoir suffisamment de véhicules pour transporter et livrer le vaccin. La question de la logistique, notamment du respect des chaînes de froid, est un point auquel il faut accorder beaucoup d’importance. Il faudra aussi mettre en place l’application informatique pour faire le suivi des cas, et comment relancer les personnes qui ont fait la première injection et qui ne sont pas revenues pour la deuxième… mais je pense qu’avec le maillage territorial qu’a l’administration avec les Moqadems et les Chioukhs, il ne faut pas être trop inquiet sur la réussite de l’opération.
Le risque de contagion, avec le souci de la distanciation, vient compliquer la donne aussi…
Oui, c’est sûr. Cela peut entraîner des attroupements et le problème de la distanciation peut se poser. Mais c’est possible de mieux s’organiser. C’est pour cela que j’ai fait le calcul avec 11 personnes seulement, et avec les 7%, cela fera 200 personnes à vacciner par centre et par jour. Peut-être que la réponse des ministères de la Santé et de l’Intérieur ira vers un maillage de façon à ce qu’il y ait suffisamment de centres et de proximité géographique, parce que l’accessibilité est importante aussi pour encourager les gens à se faire vacciner.
S’ils doivent faire deux heures de route pour aller se vacciner, il y a des chances pour qu’ils n’y aillent pas. Mais en même temps, il faut avoir un nombre suffisant de cas par centre pour justifier la mobilisation et impliquer la logistique de transport des vaccins.
Comment se fera l’identification des groupes cibles prioritaires?
Il a déjà été annoncé dans le discours de SM le Roi relatif au vaccin qu’il y aura des personnes prioritaires. Les premiers à être vaccinés seront des groupes à risque ou vulnérables, notamment les professionnels de santé, les agents de sécurité, les enseignants, les personnes atteintes de comorbidités, celles âgées de plus de 65 ans… une grande majorité de ces personnes est identifiée par la profession. Aussi, les personnes avec des maladies préexistantes comme les diabètes, les hémodialysés, les cancéreux… et qui sont suivis dans les centres de santé publics avec le Ramed. Tous ces gens-là sont connus au niveau des délégations avec leurs identités et leurs coordonnées car ils sont inscrits à des programmes financés par le ministère. Ils peuvent être touchés, alertés et appelés pour se présenter aux centres de santé. Et puis enfin, il y a tous les salariés qui relèvent de l’AMO, CNSS ou CNOPS, qui eux, lorsqu’ils ont une maladie chronique, comme celles qu’on vient de citer, ils ont souvent un dossier de longue maladie ALD-ALC (affection de longue durée – affection longue et coûteuse). Ils sont connus là aussi au niveau des caisses de l’assurance maladie au niveau de la CNOPS, la CNSS et de l’ANAM et c’est très possible de les identifier.
La data population-cible n’est pas disponible en entier, parce qu’il y a des gens qui ne sont pas assurés et qui ne sont pas ramedistes. Cela fait un tiers de la population à peu près. Ces personnes vont chez des médecins traitants au niveau libéral, c’est là où il faut associer les cabinets libéraux, ils connaissent leurs fichiers de patients à risque. Raisonné comme cela, les 10 millions de doses peuvent être rapidement et facilement consommées.
Quel est le seuil à franchir pour une immunité collective au Maroc ?
Je voudrais quand même relativiser une chose, pour les vaccins-candidats de la Covid-19, on parle de taux d’efficacité de 90 ou 94%. On parle ici d’efficacité personnelle, c’est-à-dire individu par individu, mais pour que cela soit efficace à l’échelon de la société, il faudra qu’il y ait un assez grand pourcentage de la population qui soit vaccinée pour enrayer l’épidémie. Pour ce qui est du Maroc, si on veut arrêter l’épidémie et reprendre une vie tout à fait normale, il faut qu’on vaccine 80% de la population, c’est-à-dire environ 28 millions de personnes en 2 injections, ça nous fait 56 millions de doses. Pour l’instant, on en a 20 millions qui sont commandées. Vacciner autant de monde ne sera pas faisable d’un seul coup. Il est clair que la vaccination se fera par vagues en fonction de la disponibilité des doses qui pour le début seront 100% importées. Même si aucune production locale n’est annoncée officiellement pour le moment, il y a un projet de production locale avec Sinopharm pour le Maroc mais également pour l’export vers un grand nombre de pays africains. D’où le contrat avec Sinopharm, le laboratoire privé marocain Sothema et le gouvernement marocain.
Le vaccin sera-t-il gratuit ?
Oui, très certainement. Parce que finalement, le but c’est que toutes les personnes désignées prioritaires puissent accéder au vaccin, et que l’argent ne soit pas une limite. En termes d’éthique, ce n’est pas acceptable. Et puis l’Etat fait un calcul très simple là aussi. D’un côté, je peux payer aujourd’hui un vaccin 20 dollars par personne pour vacciner et protéger la population. Sinon, demain, je paierai 5.000 DH par jour pour la réanimation d’un malade, je paierai des indemnités de chômage pour les gens qui seront à l’arrêt de travail, j’aurai moins d’impôts parce que je percevrai moins… le calcul est vite fait. En termes d’économie de santé, on est très largement gagnants d’offrir un vaccin gratuitement que de le faire payer.
A votre avis, qu’est-ce qui pourrait limiter les bénéfices attendus de cette vaccination ?
On va faire un peu de politique de fiction. Le premier serait qu’il apparaisse, après les premières vaccinations, des effets secondaires majeurs qui seraient apparus en Chine, puisqu’ils ont commencé à vacciner bien avant nous et en très grande quantité. Cela causera un coup d’arrêt à la vaccination en attendant d’y voir plus clair. Ce risque existe pour le vaccin de Sinopharm comme pour les autres vaccins. Et puis le 2e qui est à mon avis le plus probable qui risque d’arriver, c’est le manque d’adhésion de la population. Là, pour le coup, je pense que c’est une menace sérieuse. Il faut que la communication change de braquet, comme on dit dans le jargon des vélos. Il faut que le Maroc accélère la mise en route de sa stratégie de communication et fasse preuve de transparence pour l’adhésion d’abord des professionnels, c’est aussi important, et ensuite de la population.
En cas de non adhésion, peut-on obliger les gens à se faire vacciner ?
Le gouvernement a la possibilité de l’imposer et de le rendre obligatoire. C’est une chose prévue dans la réglementation marocaine. C’est même accepté à l’international dans le cadre d’une pandémie où l’intérêt personnel s’arrête devant l’intérêt collectif de la société. Si quelqu’un ne veut pas se faire vacciner, en refusant il devient une menace pour les autres. L’Etat peut obliger le citoyen à se faire vacciner sous peine de pénalité. Cela existe dans tous les pays, ce n’est pas spécifique au Maroc.