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le virus de la misère

Enquête octobre 2020

le virus de la misère

Alors que le Maroc cible une protection sociale inclusive et non excluante, le virus s’est révélé l’allié de la misère structurelle, en donnant aux inégalités sociales une dimension plus insupportable.

Il faut une dose de cécité politique impressionnante pour ne pas voir la précarité structurelle de la population marocaine. Au premier abord, rien ne paraît plus facile à saisir. Elle se présente à nous en images brutes: les rues des villes voient augmenter chaque jour le nombre des mendiants de tout âge, des enfants abandonnés, des immigrés accablés, des femmes démunies, des vieillards sans ressources… beaucoup sont abrutis par le dénuement le plus cruel, certains se montrent agressifs. D’autres jeunes, réduits au chômage et marginalisés, recourent à la violence et aux agressions. Ces désœuvrés attaquent les passants et les autorités, provoquant l’inquiétude des citoyens. «L’incivisme et l’insécurité polluent l’espace public», s’indigne non sans raison le café du Commerce. Sur les réseaux sociaux, des gens reportent la situation précaire dans laquelle ils végètent, alors que des internautes s’échangent les cachets élevés des hauts fonctionnaires et les primes dont ils bénéficient, jugées intolérables dans un pays où les inégalités sociales ont été élevées durant la dernière décennie à 39,5%, selon la Banque africaine de développement (BAD), dans son récent rapport sur les perspectives économiques en Afrique du Nord. Une démarcation qui nuit encore plus au tissu social et à la cohésion.

Le grand soir
La précarité est également visible à travers les indicateurs économiques. Le diagnostic est tombé et il est formel: l’état de santé de l’économie marocaine se détériore. Zéro croissance au 1er trimestre 2020 et une contraction de 6,3% sur l’année. Une contre-performance qui serait accompagnée par un creusement du déficit budgétaire à 7,4% du PIB, pronostique le Haut-commissariat au plan (HCP). La crise sanitaire et son corollaire économique ont déjà causé des dégâts considérables sur le marché du travail. Durant le 2e trimestre de l’année en cours, le taux de chômage a atteint 12,3%, en augmentation de 4,2 points par rapport à l’année précédente, selon la banque centrale marocaine. Près d’un million de personnes sont depuis à la recherche d’un emploi. Surtout dans le monde rural qui cumule tous les déficits. Pour assombrir le tableau, le Maroc subit une sécheresse sévère qui affecte directement son rendement agricole. Un triste record qui précipite un grand nombre de familles dans la misère. La proportion de personnes vulnérables à la pauvreté est attendue de passer de 17,1% de la population en 2019 à environ 19,87% fin 2020, soit 1,058 million de personnes additionnelles, selon le HCP. Ces nouveaux venus à la misérabilité sont majoritairement des travailleurs du secteur informel, qui représentent la grande majorité des Marocains actifs. «80% des emplois au Maroc sont informels», relève Bank Al-Maghrib dans son rapport annuel. Leurs emplois sont tous essentiels. Ils vont du ramassage des ordures à la vente au détail, de la restauration au transport, en passant par les travaux ménagers. Ces boulots ne sont pas soumis à la législation du travail et échappent à l’impôt ainsi qu’à la protection sociale. Aujourd’hui, sans job et sans indemnisation, leur situation post-Covid est encore plus critique, et ce, quel que soit leur secteur d’activité. Déjà que le Maroc est moins bien nanti en matière de couverture des risques sociaux encourus par la population. Selon la dernière étude Euler Hermes/Allianz, le Maroc se trouve très bas dans l’échelle des couvertures de risques sociaux, 90e pays sur 102. C’est dire qu’une énorme augmentation des inégalités est très probable. Plus d’austérité après cette crise signifiera plus de soulèvements, plus d’inégalités et plus de grabuge social.