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Une alliance mitigée !

Enquête juillet 2020

Une alliance mitigée !

A la veille de l’élection du nouveau président de la BAD, le jeu des alliances entre clans concurrents, pays francophones Vs anglophones, demeure à l’ordre du jour. Du côté de Rabat, certains éléments laissent croire à une guerre en sourdine entre le Maroc et la BAD.

Au-delà de l’iceberg. «Au moment de la guerre civile qui avait éclaté au début du siècle en Côte d’Ivoire, le Maroc et la Tunisie se sont portés candidats pour accueillir le siège de l’institution panafricaine. Sur proposition de l’ONA, l’ancêtre d’Al Mada, la holding royale, le Maroc partait gagnant pour abriter la BAD dans l’une des tours jumelles Twin Center, à Casablanca. Notamment que la bâtisse était une des rares infrastructures sur le Continent qui répondait aux exigences de l’institution financière. Le Maroc a fini par de se rétracter. Le roi Mohammed VI aurait émis des réserves sur cette opération par égard pour la Côte d’Ivoire, un allié indéfectible du Maroc. Finalement, c’est la Tunisie qui avait obtenu le transfert du siège social de la banque de développement. Un rétropédalage qui avait jeté un petit froid dans les relations entre le Maroc et la BAD, relève l’économiste Mehdi Lahlou. Déjà que, bien avant, la nomination du Marocain Omar Kabbaj à la tête de la BAD, pour y «remettre de l’ordre», avait froissé bien des susceptibilités, causant quelques adversités envers le Maroc. En effet, bien que l’ère de l’ouragan Kabbaj, marquée par les réformes et la restructuration, n’ait enregistré aucun scandale, les conditions dans lesquelles ce dernier est parti en disent long… Pour un fonctionnaire international de son calibre, le président Kabbaj avait quitté, au terme de son mandat, l’aéroport sans protocole diplomatique dû à son rang, comme «Monsieur tout-le-monde».
Adesina, une relation duale avec le Royaume
L’actuel président, Akinwumi Adesina, entretient une relation duale avec le Maroc. Dans ses déclarations publiques, il tient un discours laudateur vis-à-vis du Royaume. Mais en coulisse, il ne se gêne pas de partager son regard critique quant au soutien privilégié de la BAD pour le Maroc. Le 8e président de l’instance panafricaine, aux commandes depuis 2015, estimerait que le développement du Maroc s’appuie trop sur le recours à l’endettement, notamment auprès de la BAD. Et pour cause. La BAD est une manne dans laquelle le Maroc puise depuis belle lurette au point qu’il est son premier client avec un encours des crédits de 4 milliards de dollars, déboursés en 2019. Au moment de ces déclarations, la banque passait par la nécessité de ralentir le rythme de croissance de ses prêts. L’encours de ses crédits est passé de 17,83 milliards de dollars en 2015 à 26,3 milliards de dollars à fin 2018. Une montée soutenue par la dette, dont le stock est passé de 22,8 milliards de dollars en 2015 à 33,365 milliards en 2018. Or le Conseil d’administration de la BAD a plafonné l’encours total de la dette de la Banque à 100% du «capital utilisable». À l’époque, où le capital de la BAD était de 93 milliards, et le Maroc avait cumulé 11 milliards de dollars de prêts pour financer (depuis 1978) quelque 170 opérations. Exigences prudentielles obligent, Adesina ramenait sur la table la limite des prêts en faveur d’un pays BAD qui est de 15% des fonds propres de la banque. Mais aussi le souci de la diversité des risques de la banque par secteurs, par zone géographique et par créancier. Aujourd’hui, l’augmentation de 125% du capital général de la BAD, passant de 93 milliards à 208 milliards de dollars, à l’horizon 2030, soit 115 milliards de dollars supplémentaires, permet de dépasser ces contraintes. Derrière la position du Nigérian un tantinet hostile, se cache un rapport de force entre les pays africains anglophones Vs francophones avec le scénario de l’émergence de nouveaux lions comme le Maroc, la Côte d’ivoire ou le Sénégal. En effet, selon une de nos sources, en plus de pointer du doigt le Maroc au sujet de la récurrence des prêts que la banque accorde à ce dernier, Adesina qui privilégie ses rapports avec l’Afrique anglophone n’apprécierait pas la position du Maroc dans la coalition des francophones avec sa probable adhésion à la Cedeao (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).

Abuja-Rabat : une relation fragile !
Le Nigeria à travers son actuel Président, Muhammadu Buhari, a adopté une posture plus conciliante par rapport au Maroc concernant certains sujets politiques, en restant tout de même intransigeant sur certaines questions, notamment l’affaire du Sahara. En février dernier, le Président Buhari a réaffirmé la position ferme et solidaire de son pays en faveur du Polisario. Sinon, «depuis maintenant quelques années, il n’y a pas eu d’évolution négative dans la relation avec le Nigeria», nous confie à ce sujet Abdou Diop, Managing Partner de Mazars. Il faut d’ailleurs rappeler que cette relation n’a pas toujours été ainsi. Les frictions entre le Royaume chérifien et l’ex-président Goodluck Jonathan ont été très vives, en particulier lors de la présidentielle de 2015.
Le candidat nigérian avait à l’époque déclaré qu’il avait eu «une conversation téléphonique avec le monarque marocain». Ce que le Maroc a nié précisant que Goodluck Jonathan avait souhaité s’entretenir par téléphone, le 6 mars, avec le roi Mohammed VI, mais que le souverain marocain n’avait «pas jugé opportun d’accéder à cette demande». C’est donc depuis le départ de ce dernier qu’une certaine accalmie s’est installée au niveau des relations entre les deux pays. D’autre part, sur le plan économique, une compétition silencieuse existe entre les deux titans africains. Cela s’est démontré avec la volonté du Maroc d’intégrer l’espace Cedeao. Malgré les efforts du Maroc, Abuja s’est opposée à sa demande d’intégration au sein de la Cedeao. «Et en tant que principal bénéficiaire de cette zone de libre-échange (il contrôle ainsi 40% des échanges commerciaux régionaux), le Nigeria craint de voir son influence régionale menacée par cette nouvelle intégration. Enfin, en tant que principale puissance industrielle régionale, le Nigeria craint la concurrence des entreprises marocaines», explique Yousra Abourabi, Professeure de sciences politiques à l’Université internationale de Rabat, dans une Tribune publiée sur Jeune Afrique.