A quand un autre électrochoc ?
Depuis le 10 juin 2020, la perception du Maroc sur les principales places financières internationales ne cesse de se dégrader. Cette hausse du risque pays s’est confirmée par la dernière revue de l’agence Fitch qui a baissé la notation du Maroc de BBB neutre à BBB négatif. A en croire plusieurs analystes étrangers, de sérieux doutes persistent sur la capacité de notre pays à contenir les impacts de la crise et faire face à la perte massive d’emplois que le Centre Marocain de Conjoncture estime à deux millions. A cela s’ajoutent les failles apparentes dans la stratégie de confinement et qui dénotent de sérieux soucis de gouvernance. Le vrai risque aujourd’hui est que le Maroc perde son statut investment grade.
Mais en ces temps de fortes incertitudes avec très peu de visibilité, il faut tout de même réussir à rassurer en se projetant dans l’avenir, tout en gardant un œil sur le rétroviseur, l’occasion idoine de faire le point sur ces 21 années de règne.
Rappelez-vous, c’était en 1999, à 36 ans Mohammed VI succède à son défunt père. Il était à l’origine d’une véritable «révolution du Roi et du Peuple» basée sur l’ouverture, l’écoute et la proximité avec les citoyens. C’est ainsi que la Monarchie a réussi à assurer la transition et fédérer toutes les forces vives du pays autour d’un projet: construire un pays moderne en phase avec son époque. Cette intelligence émotionnelle dont avait fait preuve le nouveau Monarque a aussi réussi à mobiliser l’élite économique qui a cru dans cette nouvelle page de l’histoire. Très rapidement le Maroc s’est lancé dans une véritable movida qui a rassuré l’opinion internationale.
Un pays sans richesses pétrolières qui grâce à une meilleure gouvernance et un règne foncièrement axé sur l’humain a réussi à moderniser ses instances, et devenir une véritable puissance à l’échelle du continent africain. Nos alliés historiques (France, Espagne, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis) ne nous regardaient plus du même œil. Par curiosité sans doute, même le président étasunien George W. Bush avait fait au Maroc une demande de visite officielle à Rabat, la première du genre dans l’histoire, programmée à quelques jours de la tenue du G8 à Evian en juin 2003. Une visite qui sera déprogrammée à la demande du Maroc (…)
Puis vint la crise mondiale de 2008 qui, il faut le dire, a été sous-estimée par nos dirigeants qui n’étaient plus en contact avec la réalité du pays. Sans doute aveuglés par la croissance des dix glorieuses (2001-2010), ils s’étaient installés dans une bulle refusant de voir qu’à quelques kilomètres du Maroc les économies s’effondraient.
Le printemps arabe viendra compliquer la donne. Pour protéger le pays, le Roi a sorti son joker, un projet de Constitution dont il avait esquissé les grandes lignes en personne quelques années plus tôt. Et, grosse déception, quelques mois plus tard, les Marocains voteront pour les islamistes. La Monarchie entamera alors un repli tactique, histoire de faire comprendre qu’elle laissera la démocratie faire ses premiers pas et qu’elle restera en observateur.
Le Maroc s’installera alors dans une sorte de cohabitation difficile qui accentuera les blocages institutionnels, impactera la gouvernance publique et ralentira la croissance. Une véritable guerre souterraine animera la vie politique pendant près de huit ans entre la technostructure de l’Etat et le PJD faisant perdre au pays l’opportunité de gérer les affaires courantes avec pragmatisme.
Tout au long de ces 21 ans de règne, la Monarchie a joué un rôle d’éclaireur, d’arbitre et a su garantir une stabilité que beaucoup de pays envient au Maroc. Mais elle gagnerait tout de même à se réinventer en provoquant un électrochoc pour enclencher une dynamique de la même ampleur que celle du début du règne.