À quand l’émergence?
Malgré les réformes axées sur le développement et l’émergence économique, le Maroc doit réaliser sa transformation structurelle et asseoir son modèle social pour prétendre à l’émergence. Retour sur le diagnostic du think tank Policy Center for the New South.
Dans une étude publiée par le Policy Center for the New South (PCNS) sur le diagnostic stratégique de l’émergence économique au Maroc, Moubarack Lo, Économiste en Chef du Premier ministre sénégalais, trace l’éventail des possibilités de marche vers l’émergence. Un questionnement est tiré d’emblée, celui des transformations à la fois socio-économiques et politiques qui doivent accompagner le processus de développement économique du pays. Mais à quel moment peut-on considérer qu’un pays est réellement émergent?
Performances satisfaisantes…
Selon l’auteur, le Maroc réalise une performance relativement satisfaisante «pour ce qui est de l’indice synthétique d’émergence économique (ISEME), avec un score qui s’élève à 0,55. Il se classe au second rang africain avec l’Afrique du Sud en tête et au 32ème rang mondial sur un échantillon de 104 pays». Il est dès lors considéré par l’auteur comme un pays dit «émergent». Interrogé à de nombreuses reprises sur l’émergence économique du Maroc, Ahmed Lahlimi Alami, Haut-Commissaire au Plan, a, quant à lui, toujours nuancé son propos sur la question, en expliquant que, n’étant pas encore un pays émergent, «il ne doit pas prendre pour exemple un modèle calqué sur ceux des pays qui se disent émergents», mais plutôt consolider la voie qu’il a empruntée à travers le renforcement de l’accumulation du capital physique, la valorisation de son capital humain, produire de la valeur ajoutée exportable et avoir le moyen de financer de manière endogène ses investissements. Au même moment, il est nécessaire de créer et de développer des secteurs producteurs à forte valeur technologique et des emplois décents. Selon l’étude de Moubarack Lo, le Maroc a enregistré ses meilleures performances au niveau de la «richesse inclusive» poussée en partie par une forte amélioration de l’espérance de vie et au niveau du dynamisme économique et cadre macroéconomique qu’il qualifie de «sain», avec tout de même un essoufflement de son rythme de croissance économique, montrant ainsi l’urgence d’une relance de la croissance du Maroc. Toutefois, ce qu’il faudrait valoriser ce n’est pas tant le statut de pays émergent mais plutôt l’évolution vers cet état. Un processus qui nécessite un certain nombre de prérequis dont notamment une croissance économique soutenue et durable (5% sur 20 ans ou autour de 10% sur un horizon temporel plus court de 10 ans), une démographie jeune en âge de travailler, des infrastructures aux standards internationaux, un engagement dans des réformes d’ouverture sur le reste du monde et sur une économie de marché, attirant ainsi les IDE et enfin une stabilité politique et institutionnelle.
Encore du chemin à parcourir
Cependant, pour Moubarack Lo, «la transformation structurelle du Maroc progresse timidement. Elle souffre d’une cadence lente de développement de l’industrie du pays avec une productivité relativement faible», et ceci comparativement à d’autres pays tels que la Tunisie. Le pari que le pays tente de relever est non seulement de faire évoluer ses secteurs traditionnels, mais aussi de diversifier son activité vers des produits et services à plus forte valeur ajoutée. Le Maroc peine à se déployer dans le segment des produits à haute technologie et se trouve donc placé sous le risque de ce que les économistes appellent «la trappe des pays à revenus intermédiaires». Dans ce sens, Elhadj Ezzahid, Enseignant-chercheur en Economie à l’Université Mohammed V de Rabat, explique que «la faiblesse de la productivité se traduit au niveau agrégé par l’absence ou la lenteur du rattrapage. Plus inquiétant encore, l’échec de l’amélioration de la productivité totale des facteurs (PTF) à un taux suffisamment élevé peut piéger l’économie dans la trappe des revenus intermédiaires bas». Dressant trois scénarios sur l’avenir de notre économie allant du tendanciel à l’accéléré, en passant par le schéma futur moyen, Moubarack Lo affirme que, sous l’hypothèse d’une forte dynamique des variables de richesse inclusive, de transformation structurelle et de bonne insertion dans l’économie mondiale, prises en compte dans les calculs de son indice, le scénario d’accélération ferait du royaume un pays «prédéveloppé dès 2025, avec un score de 0,813». Un canevas non retenu par l’auteur, qui privilégie plutôt le scénario moyen où le Maroc devient un pays émergé dès 2025, avec un score de 0,733 comparable à la situation de la Turquie de 2017, et dans la continuité en 2030, il deviendrait un pays prédéveloppé avec le score de l’Irlande de 2017 qui s’élevait à 0,836. Et enfin, à l’horizon 2040, il obtiendrait un score de 0,912 plus ou moins comparable à celui de la Chine de 2016.
Un scénario intermédiaire idéal
Pour parvenir à atteindre ce scénario, un certain nombre d’objectifs est à réaliser, notamment un niveau de vie représenté par un PIB par habitant (PPA) de 14.100 dollars en 2030, et de 22.960 dollars à l’horizon 2040 avec un niveau d’espérance de vie supérieur à 80 ans en 2030. Une perspective qui sous-entend un taux de croissance moyenne annuelle de 5% soutenue, avec un taux d’investissement de 35%, en partie par la mise en place de réformes d’amélioration du climat des affaires, une dynamisation de l’investissement domestique et surtout privé et une plus grande attractivité des investisseurs étrangers dans les secteurs clés de l’économie, tout en se servant au maximum sur le tissu économique domestique. De plus, il est nécessaire, pour l’aboutissement de ce schéma d’émergence, de parvenir à une «transformation structurelle plus profonde de l’économie avec l’émergence de plus de secteurs à forte valeur ajoutée», selon Moubarack Lo, ce qui implique une économie plus sophistiquée produisant des produits plus complexes, avec un niveau d’inflation toujours maîtrisé et un espace budgétaire plus important. Le but, obtenir un solde budgétaire respectant l’objectif de -2% au plus et la poursuite de la bonne gestion de la dette. Au niveau des équilibres extérieurs, une balance courante maîtrisée avec idéalement un solde positif. Autant de défis à relever par le Maroc dans son chemin vers l’émergence économique.