Vous avez dit confiance?
Les dernières mesures proposées par le projet de loi de Finances répondent à l’urgence d’une situation plus qu’à une démarche de construction des conditions d’une véritable relance. Décryptage.
«Nous voulons passer le message à l’ensemble des Marocains d’une part et aux investisseurs d’autre part, qu’ils soient entreprises ou personnes physiques, que nous voulons entamer l’année 2020 avec un nouvel état d’esprit et une nouvelle relation de confiance établie entre l’administration et le citoyen». C’est ainsi qu’a conclu Mohamed Benchaaboun, ministre de l’économie et des finances, la présentation des mesures phares du projet de loi de Finances (PLF) 2020. Durant sa présentation, il a plusieurs fois insisté sur l’ambition du PLF pour que «la confiance soit un véritable chapitre». Pour ce faire, 6 mesures sont censées «créer une rupture positive dans le sens d’une nouvelle impulsion à la dynamique d’investissement, à la croissance économique et également au renforcement de la confiance. Pas forcément dans cet ordre», a-t-il précisé. Il semble donc que le gouvernement ait un nouveau mantra: le renforcement de la confiance. Il est vrai que les signaux de perte de confiance se sont multipliés ces derniers mois (voir EE du mois d’octobre 2019) et que le PLF était particulièrement attendu sur ce sujet. Ainsi une batterie de mesures a été annoncée. Comme largement repris dans la presse, les plus polémiques concernent l’amnistie fiscale aussi bien pour les personnes physiques détentrices de cash que celles concernant les détenteurs de biens et d’avoirs à l’étranger. «La première mesure dérogatoire est celle de la régularisation volontaire de la situation d’un certain nombre de personnes physiques qui disposent d’avoirs liquides, qui peuvent les déposer au niveau du système bancaire et avoir un quitus fiscal en face au niveau de l’IR en payant 5% de retenue à la source par le système bancaire», énumère ainsi Benchaaboun. Et d’ajouter: «La deuxième mesure concerne tout ce qui a trait aux revenus fonciers, les loyers. Il y avait déjà une mesure introduite l’année dernière de paiement de 10 à 15% d’impôts sur les revenus locatifs, il s’agit de régulariser le passif de ces personnes physiques et nous avons mis une contribution libératoire pour démarrer une nouvelle ère, en tout cas on l’espère, de conformité fiscale». Une tentative du gouvernement de mettre fin à des pratiques informelles générant notamment du cash. Le gouvernement a aussi décidé la «reconduction de la mesure de 2014 pour les détenteurs d’avoirs à l’étranger. Elle concerne les Marocains ayant une résidence fiscale au Maroc», annonce Benchaaboun tout en précisant que le recours à cette mesure s’est fait dans un contexte particulier. «Elle tient compte du fait que le Maroc a signé des accords pour l’échange automatique des données avec les pays de l’OCDE. Et ça va rentrer en application à partir de 2021. A partir de cette date, pour des personnes qui détiennent de l’argent, des comptes bancaires ou des biens meubles ou immeubles, l’information va arriver au Maroc sans le demander», prévient-il.
Perte de crédibilité
Ces mesures qui prévoient des contributions libératoires, donc une amnistie fiscale pour les fraudeurs cherchent donc un rapatriement de cash au niveau du système bancaire mais aussi une manne budgétaire pour l’Etat. Si les objectifs pécuniaires n’ont pas été divulgués, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de la quatrième fois en moins de 5 ans que le gouvernement se montre «coulant» vis-à-vis des fraudeurs.
En 2014 déjà, l’amnistie fiscale concernant les avoirs à l’étranger a permis selon les sources gouvernementales de rapatrier 27,8 milliards de dirhams. S’en est suivie une autre concernant les étrangers résidents fiscaux au Maroc en 2016 qui a engrangé près de 1 milliard de dirhams, une mesure qui sera étendue en 2018 aux binationaux marocains qui se sont installés au royaume. La même année, des négociations ont été entamées avec certaines professions libérales comme les médecins, les avocats etc. pour payer des contributions libératoires et fixer ainsi un seuil minimal de leur participation à l’assiette fiscale. S’en est par la suite suivi le bras de fer entre l’Etat et les commerçants qui a fini par un recul du gouvernement et une retraite anticipée du directeur général des impôts, Omar Faraj, porteur d’un discours ferme d’égalité devant l’impôt. La multiplication des amnisties ne les vide-t-elles pas de leur sens premier (l’exceptionnalité) et n’affaiblit-elle pas aussi la crédibilité de l’Etat, notamment face à la fraude et l’informelité financière?
«C’est une initiative louable et une opportunité pour l’Etat d’assainir la situation tout en permettant aux personnes de se conformer à la loi à moindre frais. Aujourd’hui c’est un préalable pour l’Etat afin de sévir. Et il sera de toutes manières obligé de le faire dans le cadre des conventions internationales», affirme l’économiste Abdelouahed El Jai, vice-président du Centre d’étude et de recherche Aziz Belal (CERAB). Déjà classé sur la liste grise des paradis fiscaux de l’Union Européenne, le Maroc figure parmi les pays où la pression fiscale sur un petit nombre de contribuables est la plus forte.
Démonétiser le dirham
C’est aussi un pays où l’informel est roi et où les transactions en cash dépassent les 90% de l’ensemble des transactions selon Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al Maghrib (BAM). Bien que ce dernier ait assuré lors d’une interview accordée à Bloomberg que cette amnestie soit celle de la dernière chance, il se trouve que d’autres pays ont testés des solutions plus radicale pour lutter contre la circulation du cash et ses implications en termes d’économie informelle, de corruption et de potentiel de fraude. La Corée du Sud a par exemple décidé de devenir une «coinless economy» en supprimant en 2017 les pièces monétaires en les remplaçant par des cartes de paiement et le mobile payement. L’Inde a été encore plus radicale en supprimant les billets de 500 et 1.000 roupies qui constituent les billets utilisés dans plus de 86% des transactions monétaires. En 2016, plus d’un milliard d’Indiens ont durant deux mois changé leurs billets contre de nouveaux de 2.000 roupies. Une mesure qui selon plusieurs rapports n’était pas très bénéfique puisque le système bancaire n’a pu capter que 1% de la masse monétaire supplémentaire, mais ça a donné un coup de fouet à la bancarisation et au développement des applications de paiement en ligne. Finalement, à cause de la mauvaise préparation de la mesure, plus de 99% des billets concernés ont été échangés par divers moyens rendant la mesure inefficace voir coûteuse puisqu’elle a engendré une perte de près d’un point de PIB au sous-continent. Plus récemment au Kenya, la démonétisation du billet de 1.000 shillings a été mieux préparée et n’a pas suscité autant de remous qu’en Inde et a probablement été un plus grand succès. En donnant un délai de 4 mois pour changer les billets, la banque centrale kenyane, qui a clairement indiqué que l’action visait la lutte contre la corruption et les flux de capitaux illégaux, a pu échanger près de 96% de billets en circulation dont plus de 12% ont été transformés en dépôts bancaires. Plus de 4.600 opérations de blanchiment d’argent sale ou d’origine douteuse ont été détectées et pour lesquelles des enquêtes judiciaires ont été engagées.
Au Maroc 95% des transactions se font en cash. En 2018, près de 1,7 milliard de billets étaient en circulation pour une valeur de 245 milliards de dirhams. Un chiffre en hausse de 7% par rapport à 2017 selon les statistiques de la banque centrale et qui risque d’augmenter encore selon les inquiétudes exprimées dernièrement par le Wali de BAM. 82% des cartes bancaires servent à sortir du cash des GAB. 72% de ces billets sont constitués de la coupure maximale de 200 dirhams. Une démonétisation des billets de 200 dirhams pourrait être couplée à l’amnistie sur le cash la rendant plus efficace. Une sorte de bâton accompagnant la carotte fiscale. «Il faut une volonté politique très forte pour ça. A un moment où on cherche à rétablir la confiance, ça risque de créer un vrai mouvement de suspicion vis-à-vis des intentions de l’Etat. Et ce n’est pas par mimétisme que nous allons régler les problèmes. Cela sans parler du coût économique de changer des billets». Un simple calcul peut déterminer que le coût d’impression d’une nouvelle série de 200 dirhams ne coûtera pas plus de 500 millions de dirhams. Coûtant entre 20 et 40 centimes par billet, et détenant l’outil industriel et le savoir-faire puisque des séries de nouveaux billets sont une chose assez usuelle dans l’économie marocaine, une mesure de la sorte pourrait non seulement booster le développement et le déploiement des solutions de paiement mobile d’autant plus que le pays est en train de parler d’un nouveau modèle de développement. Un modèle où l’investissement dans les nouvelles technologies et les technologies durables devrait être un pilier. De plus, une mesure forte pourrait justement booster le capital confiance dans l’action du gouvernement vis-à-vis de l’équité fiscale et l’égalité devant la loi.
Le financement problématique?
Quoi qu’il en soit, les mesures annoncées par le gouvernement ressemblent plus à une réaction face à l’urgence d’une situation qu’à une vision et une démarche réfléchies. Il est vrai que la présentation du projet de budget s’est faite le lendemain d’un remaniement ministériel, (une pratique devenue courante dans les annales politiques marocaines), mais le manque de créativité et d’audace est palpable. Il en va de ainsi de la mesure visant l’entrepreneuriat des jeunes, notamment diplômés, pour laquelle l’argentier du royaume a promis le déblocage d’une enveloppe budgétaire de 2 milliards de dirhams dès 2020 sur une durée de trois ans. Une mesure, selon Benchaaboun, «destinée à l’appui aux jeunes diplômés porteurs de projet, l’accès au prêt bancaire pour financer des projets de PME, notamment exportatrices, mais également au secteur informel». Et d’ajouter: «Sa Majesté a insisté sur le fait que le système bancaire puisse accompagner certains types d’entrepreneurs dans leur projet d’investissement et dans leur cycle d’exploitation. Des réunions ont été tenues avec le système bancaire et la banque centrale pour assoir ces mécanismes… ». 6 milliards de dirhams sur trois ans vont donc être dédiés à cette mesure. Mais l’entrepreneur, jeune, a-t-il réellement besoin de financement? Pas toujours. «Si on se réfère à l’expérience dite des jeunes promoteurs des années 1990, 40% des jeunes financés allaient de toute manière l’être par le système bancaire. Il s’agissait de médecins, de dentistes, de pharmaciens ou d’autres diplômés qui prétendaient à des professions libérales», affirme Abdelouahed El Jai à l’époque cadre à la banque centrale ayant particulièrement suivi l’opération. Et d’ajouter: «Cela s’est par ailleurs soldé par un échec dans la mesure où cette démarche a été considérée comme étant une aide à fonds perdu de la part de l’Etat, ce qui n’a pas vraiment constitué une incitation à l’effort ni au remboursement puisque les cas d’impayés ont presque atteint 50% des crédits octroyés». Une démarche top down comme d’autres programmes, notamment via des activités génératrices de revenus de l’INDH, sévèrement critiqué par les rapports d’évaluation de l’Observatoire du Développement Humain ou encore les activités liées au microcrédit.
Soft skills
Pour sa part un haut responsable d’une banque d’investissement adossé à un des leaders de la place reconnaît que, «dans les études qui sont lancées au Maroc sur les problèmes de l’entrepreneuriat, l’accès au financement arrive en première place, mais sur le terrain, le son de cloche est différent. D’ailleurs, quand on regarde les divers programmes existants, qu’ils soient privés ou publics, et qui visent justement le financement, ce sont des échecs». Et d’ajouter: «Les projets que nous rencontrons ne sont pas mûrs ni bien montés pour être bancables. Et même quand il y a accompagnement, les déblocages des financements ne sont pas automatiques, les banques ne sont pas outillées pour financer ce genre de projets. De plus la capillarité des programmes d’accompagnement n’est pas très large, ce qui fait qu’on rate souvent notre objectif». Et d’ajouter, «parfois, il s’agit de problème de commercialisation et non pas d’investissement, ce sont donc des problèmes qui peuvent être accompagnés par un financement de cycle de production, mais après? si on n’arrive pas à ventre? C’est souvent le cas de coopératives ou d’associations ou de toutes petites structures avec lesquelles le système actuel ne sait pas travailler». Ainsi, notre haut cadre avance l’idée de la nécessité de synergie: «Il faut mettre en place des écosystèmes, comme par exemple mettre ensemble des startups spécialisées dans la commercialisation de produits du terroir ou de l’artisanat qui s’occupent de la partie en aval d’une ou de plusieurs coopératives qui savent produire localement. Internet est un formidable outil à exploiter pour ça». C’est le même son de cloche de la directrice d’investissement d’une grande structure de la place. Pour elle, «les entrepreneurs qui arrivent à un stade où leur projet a besoin de financement sont relativement peu nombreux et suffisamment bancables pour les nombreux dispositifs qui ont été mis en place depuis quelques années. Ce qui manque c’est de doter les jeunes qui veulent se lancer dans l’entreprise d’une méthodologie d’entreprendre, pour les amener vers l’entrepreneuriat structuré. De plus, le secteur bancaire n’est pas outillé pour accompagner ce genre de structures très risquées, ce qui rend leur accès au crédit problématique et trop cher. Les banques demandent trop de garanties personnelles car elles n’ont pas de mécanisme de recours pour traiter des risques élevés du fait de la défaillance de la justice».
Par ailleurs, un des sujets les plus récurrents à côté du financement ce sont les délais de paiement. «Le problème de la TPME et la PME, c’est avant tout un problème de délais de paiement. Nous bridons notre croissance en attendant d’être payés, surtout quand il s’agit de contrat avec des établissements publics», affirme ainsi Mohammed, chef d’une TPME dans les médias. Et d’ajouter: «A la limite, nous scrutons plus les changements à la tête des établissements publics que ceux des ministres, car pour nous ce sont les établissement publics les plus grands émetteurs de marchés». Pour lui, focaliser sur le financement put être positif, mais pas toujours efficace. «Confier ce genre d’outils aux banques est contradictoire parce que la banque et le dispositif public se phagocytent mutuellement. Par exemple, il n’y a pas de complémentarité entre les lignes de la Caisse Centrale de Garantie (CCG) et les produits bancaires classiques. Souvent ton banquier te demande de choisir entre l’un des deux au risque de perdre une relation privilégiée construite avec lui. De plus, ce ne sont pas des mécanismes fluides. Il y a beaucoup de bureaucratie qui peut les rendre très peu attractives pour les jeunes entrepreneurs. Au final au lieu de se casser la tête à monter un dossier de plusieurs kilos, on préfère trouver des solutions alternatives».
L’informel roi
Et des solutions alternatives, il y en a dans le secteur informel, ce qui fait dire à notre responsable dans une banque d’investissement que «ce n’est pas avec des solutions de financement que l’Etat arrivera à intégrer des jeunes. C’est en changeant de manière d’approche. Les entreprises dans l’informel font dans le trafic de factures, leur chiffre d’affaires est erratique, leur business model très agile, elles ne peuvent pas travailler avec les banques telles qu’elles sont structurées aujourd’hui». Or, du côté du gouvernement, c’est business as usual: «Nous sommes en train de parler de ce qui est appelé le small business act» rappelle Benchaaboun. Une annonce qui n’en est pas une, car qu’on parle de small business act, de la charte sur l’investissement ou de la loi sur le crowdfunding (financement participatif), ces textes tardent toujours à sortir alors que l’environnement évolue rapidement. Des lois qui peuvent faire doublon avec les mesures qui doivent être prévues dans un autre texte législatif: la loi-cadre sur la fiscalité. Ce dernier, dont la mouture est entre les mains du SGG selon l’argentier du royaume, doit selon la même source voir le jour durant cette législature. un autre texte à s’ajouter dans un mille-feuille législatif compliquant d’autant la prise d’initiative à même de redonner réellement confiance dans la capacité du gouvernement à être réactif et trouver des solutions concrètes. Des réponses en phase avec les pratiques courantes de l’économie marocaine qui est, comme ça été démontré par la grève des commerçants, bien loin du formalisme dans lequel veut la placer l’inflation de textes règlementaires