Thomas Cook, what else?
Au final, la chute de Thomas Cook n’aura rien coûté aux opérateurs marocains. Néanmoins, le risque d’une autre onde de choc est bien là.
La faillite de Thomas Cook a fait des ravages dans le tourisme mondial et le Maroc n’a pas été épargné par l’onde de choc. Les premières estimations évoquent une ardoise de 200 millions de dirhams rien que chez les hôteliers et une cellule de crise a été créée au niveau du ministère de tutelle. Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du tourisme, contacté par EE, réduit cette ardoise de moitié. Il explique que «la perte ne dépasse même pas les 100.000 dirhams, après analyse des données. Nous devons nous estimer heureux. La perte au Maroc n’est pas aussi importante que dans les autres pays». Quant au manque à gagner, il demeure important. En effet, Marbian Technologies, spécialiste espagnol de l’intelligence dans le domaine du tourisme, recense, sur la base des données de septembre, 32.639 sièges d’avions perdus sur la période s’écoulant de septembre 2019 à août 2020 et qui étaient destinés à l’aéroport de Marrakech, sans oublier qu’à l’occasion du World Travel Market à Londres en 2017, l’ONMT avait signé un accord prévoyant l’accueil de 400.000 clients par an de Thomas Cook à l’horizon 2020, selon les sources de Médias24. Pour Ali Ghannam, consultant spécialisé dans le tourisme, «l’impact de la chute est toujours là, petit ou non il faut le mesurer. La mesure de l’impact doit être faite par la cellule de veille. Les opérateurs qui travaillaient avec Thomas Cook connaissaient sa situation et la cellule de veille doit, hormis l’évaluation, alerter la profession au moment opportun pour éviter qu’un tel scénario se répète».
Le risque toujours là
Sachant qu’à l’international, après la chute de Thomas Cook, les questions se posent sur l’éventualité de la chute d’un autre tour-opérateur indien, tout aussi ancestral, qui est Cox & Kings. Ce dernier affichait en septembre une dette de 500 millions de dollars, dont 100 millions en dette à court terme. Après avoir cessé ses activités en Australie et en Nouvelle-Zélande courant septembre, la filiale américaine de cet important tour-opérateur a cessé toute activité à la mi-octobre. «Tout comme Thomas Cook n’était pas disposé à apporter les changements nécessaires pour survivre, nous, le secteur du voyage, devons faire preuve de franchise et de transparence en veillant à ce que cela ne se reproduise plus jamais. L’industrie, y compris Airline Insolvency Review (la révision des compagnies aériennes en situation d’insolvabilité, ndlr), doit modifier ses comportements en matière d’utilisation et de perception de l’argent des clients», lâchait le directeur général d’Abta, Association des agences de voyages britanniques qui regroupe 1.200 membres, Mark Tanzer, lors de la Travel Convention qui a pris place au Japon, tel que rapporté par www.travelweekly.co.uk. Mais si Kabbaj relativise l’impact d’une chute de Cox & Kings eu égard à sa taille comparativement à celle de Thomas Cook, le risque est tout de même là! Selon Lahcen Haddad, ancien ministre du tourisme, «cette chute (de Thomas Cook, ndlr) ne sera ni la première ni la dernière. Il y en a eu par le passé et il y en aura dans le futur. Parce qu’il y a une mutation de l’industrie qui s’oriente vers plus de digitalisation et vers plus de dynamic packaging (qui offre plus de liberté aux voyageurs pour construire leurs propres packages, ndlr). Il y a aussi de nouveaux arrivants comme Booking, qui sont plus agressifs». L’ancien ministre ne manque pas, par ailleurs, d’appeler la profession à considérer cette chute comme une opportunité pour aller chercher les clients de Thomas Cook qui s’élèvent à 3 millions, pour en piocher 300.000 ou 400.000 clients. Cependant, le risque est bien réel alors que l’ONMT continue de s’engager auprès des grands.
Que des grands
En effet, au cours des dernières années l’ONMT a signé des partenariats avec les plus grands tour-opérateurs, dominants dans leurs marchés. Il s’agit en l’occurrence du polonais Itaka en 2016, de l’allemand FTI en 2017 et de sa filiale française en 2018, et plus récemment avec NG Travel, 6e tour-opérateur français et 2e au Maroc après TUI, sans oublier le puissant tour-opérateur chinois CTrip avec comme objectif d’attirer à terme 500.000 touristes chinois par an sachant que les arrivées se situent actuellement à 132.000. Par ailleurs, TUI, plus grand tour-opérateur mondial, devançant de loin Thomas Cook, dispose de son côté d’une dizaine de filiales et de 4 joint-ventures au Maroc avec à la clé au moins une dizaine d’hôtels et une agence de sa compagnie aérienne, TUI Fly, opérationnelle depuis 2018. Certes, ces opérateurs ne présentent aujourd’hui aucun problème financier mais le risque est bien là. Rien que la dépendance à des tour-opérateurs de cette taille est un risque en soi. Dominant le marché, ils peuvent orienter à leur guise la clientèle vers une destination, occultant ainsi une autre. Pour les professionnels marocains ce risque est désormais bien minime en raison de la réduction de l’exposition de la destination à ces opérateurs. Selon l’ancien ministre du Tourisme, «le Maroc n’est pas une destination tour operating. Le tour operating ne représente que 20% de ce que nous faisons». Un constat partagé par Kabbaj qui précise que le Maroc est de moins en moins dépendant des tour-opérateurs. «Nous sommes actuellement à 15% ou 20% (part de marché des tour-opérateurs au Maroc, ndlr) alors qu’il y a une décennie nous étions à 100%. C’est le Web avec l’arrivée de Booking qui nous avait fait changer de cap», poursuit Kabbaj. Pour Lahcen Haddad, le Maroc est une destination qui est plutôt individuelle, d’autant plus que les opérateurs travaillent sur des niches et avec de petites agences. «Le tour operating ne constitue donc pas le plus gros du business», insiste l’ancien ministre avant d’ajouter que «c’est normal qu’on veuille les grands parce qu’ils sont intégrés et capables d’acheter des allotements (quantité de chambres attribuées sur contrat par un hôtel à un voyagiste, ndlr). Comparé à d’autres destinations, notamment l’Egypte ou encore la Tunisie, qui sont des destinations tour operating par excellence, le risque reste modéré». De même, Ali Ghannam, consultant dans le domaine du tourisme, estime qu’«étant à un degré de maturité du secteur, on capte des voyageurs en dehors du circuit des tour-opérateurs» précisant qu’ «une stratégie de commercialisation ne peut être basée sur un seul canal. Tout client supplémentaire est le bienvenu peu importe le canal et tous les canaux sont bons à prendre. On le dit bien, il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier mais n’empêche, signer avec les grands du monde n’est pas une mauvaise chose en soi. Avec les grands on attire du volume». Le consultant ne manque pas, par ailleurs, de rappeler qu’«historiquement le tourisme s’est développé avec le tour operating avec l’ouverture des ciels et ces tour-opérateurs ont un business model qui tourne autour de l’intégration aérienne, de transport et d’hôtellerie». D’ailleurs, après la chute de Thomas Cook, TUI est le dernier voyagiste répertorié à intégration verticale en Europe, selon un article de Skift.com.
Aucun TO marocain international
Mais si le tour operating a été aussi vital pour le tourisme, il y a lieu de souligner que «nous n’avons pu développer des tour-opérateurs nationaux qui s’installent à l’étranger, comme c’est le cas en Turquie. Celle-ci dispose de tour-opérateurs installés sur les marchés russe et allemand qui commercialisent la destination turque in situ. Nous n’avons pas encore ce genre d’investisseurs capitalistes avec une grande connaissance des marchés qui vont s’installer ailleurs et commencer à vendre la destination Maroc», déplore Haddad qui estime, tout comme Ghannam, que la raison de cette absence est le manque d’une taille critique chez les opérateurs marocains. L’ancien ministre temporise tout de même en soulignant qu’aujourd’hui nous n’avons plus réellement besoin de tour-opérateurs installés ailleurs alors que l’industrie se dirige vers la digitalisation et la personnalisation du voyage.
Le risque du low-cost
Néanmoins, l’ancien ministre ne manque pas de rappeler que si le marché marocain se montre résilient face aux tour-opérateurs, il l’est moins devant les compagnies aériennes low-cost. L’exemple de Ryanair étant le plus emblématique, la compagnie représente entre 2 millions et 2,7 millions de passagers. «S’il lui arrive quelque chose ou que nous soyons en conflit, c’est un risque énorme (auquel il faudra faire face, ndlr)». Sauf que les problèmes pour Ryanair sont déjà de mise. Avec le report de livraisons de Boeing qu’elle attendait, la compagnie a décidé de fermer des bases aéroportuaires et de réduire son activité sur certaines liaisons aériennes dès ce mois de novembre. Une décision qui devrait coûter à quatre destinations dans le marché espagnol quelque 1,4 million de sièges d’avions selon les données de Marbian Technologies. Le Maroc n’a donc qu’un seul choix, celui de développer et soutenir son industrie low-cost, à l’image d’Air Arabia.