La douane tombe sur les marques
Mouvement de panique chez les importateurs de marques. La campagne d’investigation lancée par la Douane, il y a quelques mois, pourrait bien déboucher sur de nouveaux redressements. Retour sur les dessous d’un micmac fiscal.
La pilule n’est toujours pas passée chez les tabatiers. Redressés il y a quelques mois pour un montant de près de 500 millions de dirhams par la Douane, les fabricants et importateurs de cigarettes doivent désormais composer avec une nouvelle méthode de calcul pour leurs déclarations douanières. Dorénavant, leur valeur devra intégrer les royalties qui sont stipulées dans le contrat établi avec le fabricant. «C’est une lecture appropriée de l’article 20 du code des douanes qui voudrait que l’on intègre les royalties ou ce qu’on appelle les redevances de licences au sein de la valeur en douane. Ceci dit la tâche est un peu plus complexe, raison pour laquelle cela n’a jamais encore été pris en considération», nous explique Nabyl Lakhdar, directeur général de l’Administration des douanes et des impôts indirects (ADII). Et d’ajouter: «Lorsque vous avez une importation ou une valeur en douane, ce n’est qu’au moment de la vente du bien ou produit que la redevance ou les royalties sont constatées. Elles constituent, de ce fait, un pourcentage sur les ventes. L’idéal aurait été d’intégrer les royalties, dès le départ, à la valeur en douane».
Entre 2% et 8% de royalties
Tout avait commencé par des doutes de fraude. De fait, la douane marocaine ne taxait pas les royalties, qui étaient soustraites de la valeur en douane, mais certains opérateurs en profitaient et minoraient, avec la complicité du fournisseur, la valeur des produits importés. Ce schéma étant pratiqué par les sociétés exploitant une franchise avec le but de payer moins de droits de douane et de TVA. Ce qui représente un manque à gagner important pour les caisses de l’État. Les services de la Douane ont donc effectué une enquête en commençant par le secteur du tabac. Officiellement parce qu’il était déjà dans le viseur suite à l’augmentation de la fiscalité et du refus de certains distributeurs d’augmenter leurs prix. Mais certaines sources proches du dossier affirment que les soupçons ont été éveillés par une plainte de certains opérateurs du secteur déplorant les pratiques de concurrence déloyale, entre les importateurs de franchises et les opérateurs produisant localement. Suite à cette investigation, la majorité des opérateurs du secteur a fait l’objet de redressements fiscaux d’une somme s’élevant à près d’un demi-milliard de dirhams, dont 350 millions ont été versés par North Africa Tobacco Company (NATC), filiale de Japan Tobacco International, distributeur des marques Winston et Camel.
Les distributeurs du secteur sont en effet tenus d’acquitter les redevances et droits de licence relatifs aux cigarettes, soit directement soit indirectement, en tant que condition de la vente de leur rouleau de tabac, dans la mesure où lesdites redevances n’ont pas été incluses dans le prix effectivement payé ou à payer. Ces droits de licence comprennent, en partie, les paiements effectués au titre des brevets, marques de fabrique ou de commerce et même droits d’auteur. L’enquête avait donc pour but de pourchasser des possibilités de fraudes liées à l’assiette des droits de douane et de la TVA. Les royalties constituent une redevance que les franchisés doivent verser au maître franchiseur en contrepartie des droits d’exploitation de leur marque ou enseigne. De plus, selon les secteurs, la somme des royalties en franchise peut être fixe ou variable, et également modifiée, mais doit être versée régulièrement au franchiseur par l’entreprise exploitant la marque. Son montant varie entre 2 et 8% du chiffre d’affaires. D’ailleurs, il faut rappeler que l’Office des changes n’autorise pas de royalties excédant ce barème.
Les industries pharmaceutique, cosmétique et textile dans le viseur
Quant à l’administration douanière, l’une des missions est le contrôle d’éventuels dépassements, en matière d’infraction de change. Lorsque l’administration des douanes doute de la véracité ou de l’exactitude des renseignements, pièces ou déclarations présentés aux fins de la détermination de la valeur en douane, elle peut demander à l’importateur ou au déclarant de lui communiquer des justificatifs complémentaires y compris des documents ou d’autres éléments de preuve attestant que la valeur déclarée correspond au montant total effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées. «Les opérateurs ont été redressés pour ce qui a précédé. D’ailleurs, les services juridiques desdits opérateurs du secteur ont admis, de manière spontanée, l’effectivité de cette taxe. Il faudrait que l’ensemble des entreprises qui versent des royalties ou redevances de licence s’acquittent des droits de douane correspondants», précise Nabyl Lakhdar qui souligne qu’un système à deux niveaux a été mis en place pour décrire de manière schématisée le processus de paiement des redevances de licence. «Nous commençons d’abord par une avance au moment de l’importation et nous appliquons par la suite une régularisation en fonction des ventes», ajoute le DG de l’ADII.
Suivant la même démarche, d’autres secteurs sont dans les radars de la Douane et feront l’objet d’un redressement prochain. Ceci pourrait concerner le secteur de l’industrie pharmaceutique qui dispose notamment de brevets pour les médicaments, ainsi que la distribution, le textile, le cosmétique, etc. Abdelkader Boukhriss, Directeur du département fiscal à la Société Fiduciaire Maroc, nous explique que «durant ces dernières années, les filiales de multinationales basées au Royaume ayant subi un contrôle fiscal ont systématiquement été redressées au titre des prix de transferts. Les entreprises qui ont documenté leur politique de refacturation intragroupe ont pu défendre leur dossier. Celles n’ayant pas de manuel régissant les prix de transfert se sont quant à elles exposées aux redressements qu’effectuent les contrôleurs fiscaux», notamment à travers l’article 213 du Code Général des Impôts. En effet, le vérificateur qui soupçonne que les bénéfices d’une filiale d’un groupe étranger sont indirectement transférés (par exemple par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente ou par tout autre moyen) peut rapporter ces bénéfices au résultat fiscal et les taxer. D’ailleurs, un des phénomènes qui se manifeste, à la suite de quelques enquêtes, est celui de la sous-déclaration qui serait éventuellement pratiquée en concertation avec le fournisseur.
Toutefois, cette sous-facturation constitue un manque à gagner pour le Trésor. Le paiement des importations à travers une partie des redevances de franchise n’est pas le seul bémol qui pourrait advenir. Certains importateurs versent plus que le montant des royalties. Le différentiel représente la partie de la transaction minorée. La différence est finement versée sur un compte bancaire à l’étranger. Une technique qui permettrait à certains opérateurs de posséder des avoirs à l’extérieur. Mais avant tout cela, le franchisé doit régler au propriétaire de la marque des droits d’entrée sans lesquels il ne peut entamer une quelconque activité. Aujourd’hui, il existe un dispositif qu’on appelle l’accord préalable ou l’accord sur les prix de transfert (APP). Cet accord offre aux filiales de groupes internationaux installés au Maroc la possibilité au préalable de saisir l’administration fiscale marocaine pour valider un accord et inclut un recours en cas de règlement des différends. Les opérations faisant l’objet de l’APP doivent être de nature transfrontalière et peuvent cibler une ou plusieurs transactions concernant des biens, services ou éléments incorporels. Cet instrument ne permet pas à l’administration fiscale de redresser les prix d’une filiale de multinationale qui a conclu un APP pendant toute la durée de l’accord, qui peut atteindre trois à quatre ans.