E-paiement et performance du service public
L’économie marocaine est bouleversée par une véritable révolution digitale. Une réelle opportunité pour l’administration de mener à bien son chantier de modernisation dans une double démarche d’optimisation de ses coûts et d’amélioration de la relation citoyen.
Dans un monde de plus en plus digitalisé, la course à la dématérialisation bat son plein. Et les flux financiers ne sont pas en reste. Que ce soit une simple transaction marchande ou le paiement multicanal d’une taxe fiscale, en passant par une télé-déclaration douanière, l’avènement du digital est une réalité au Maroc. Ce bouleversement pose justement la question du rôle des acteurs, notamment publics, dans le développement des services digitaux. Une thématique qui a été discutée par plusieurs experts et directeurs de transformation digitale d’administrations publiques lors d’une conférence organisée le 16 octobre par le Centre monétique interbancaire (CMI) et Economie Entreprises Live.
Le frein des mentalités
En effet, force est de constater que la volonté de dirigeants de certaines administrations est à prendre en exemple. Grâce à la dématérialisation de leurs services et flux financiers et l’adoption d’une approche multicanale, ces directions ont pu améliorer leur performance opérationnelle, accroître leurs ressources, accélérer et fiabiliser le traitement de l’information, améliorer la transparence administrative et la traçabilité et les rapprocher du citoyen et de l’entreprise. C’est le cas de la Direction générale des impôts (DGI), de la Conservation foncière (ANCFCC) ou de la Trésorerie générale du royaume (TGR) qui ont, par voie d’obligation, incité les usagers à basculer vers le paiement digital, entraînant avec eux tout l’écosystème public et privé. Pour Zouhair Chorfi, Secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances, département de tutelle de toutes ces administrations, qui a hérité au passage des prérogatives de la modernisation de l’Administration suite au dernier remaniement ministériel, «la modernisation de l’administration est au cœur de notre réflexion sur le nouveau modèle de développement. Notre ministère s’est lancé depuis quelques années dans une dynamique de simplification et d’harmonisation des procédures et en même temps de dématérialisation». C’est ce qui a permis à la TGR de réaliser d’importantes avancées. «Parmi lesquelles nous pouvons citer les différents services de paiement de taxes en ligne, la soumission des dossiers d’appels d’offres au sein du portail des marchés publics», énumère Aziz Bouazaoui, Directeur central des Ressources et du Système d’Information à la TGR. Et d’ajouter que l’objectif est d’aboutir à une dématérialisation totale. «Nous travaillons actuellement sur la facture électronique qui va nous prendre un peu plus de deux ans, c’est l’un des éléments qui va nous permettre d’aller vers une administration sans papier», poursuit-il. Un gain en papier mais également en effectif qui peut être redéployé vers des services à plus forte valeur ajoutée. C’est ainsi que la DGI n’a procédé à aucun recrutement massif durant les trois dernières années. Un modèle gagnant qu’il serait bon de généraliser à toute l’Administration… mais les choses ne sont pas aussi simples. «Les projets digitaux de dématérialisation ne sont un succès que s’ils sont portés par le leadership à la tête de l’institution publique ou privée. De nombreuses administrations, à l’inverse des directions du Ministère des Finances, n’arrivent pas à avancer sur leurs projets du fait d’une contrainte budgétaire», tempère Saloua Karkri Belkeziz, présidente de l’APEBI. Pour remédier à ces limites, plusieurs ingrédients doivent être mis en œuvre, à savoir la généralisation du haut débit à disponibilité de tous les citoyens, la formation des usagers, le maintien des talents aussi bien pour les opérateurs que pour les administrations publiques. Mais les contraintes techniques ne sont pas les seuls obstacles puisqu’il faut également composer avec les mentalités réfractaires au changement. «Nous sommes dans un domaine où l’on constatera nécessairement des résistances. Il faudra de ce fait un travail de fond dans le changement des mentalités et de l’état d’esprit», reconnaît Zouhair Chorfi.
Un travail de fond qu’il faudra faire rapidement vu que les choses évoluent à une vitesse grand V. «Il est inconcevable d’opter pour des projets digitaux dont l’échéance dépasse 2-3 ans. Le temps de commencer à les implémenter, la technologie sera déjà obsolète», avertit Mikael Naciri, directeur général du CMI. Avec l’expansion mondiale rapide de la technologie mobile, les opérateurs de réseaux mobiles, les gouvernements et les institutions financières, des grandes banques commerciales aux institutions de microfinance, reconnaissent et ont commencé à exploiter le potentiel des services financiers numériques (DFS). Ces modèles sont testés avec plus ou moins de succès dans le monde entier. A ce titre de nombreux pays ont été présentés durant la conférence comme des leaders dans leur domaine en matière de fournitures de services digitaux nous pouvons prendre l’exemple des pays scandinaves Norvège et Suède pour l’éducation et la santé, l’Inde pour la réduction de la pauvreté et la couverture généralisée d’Internet pour le développement des zones rurales, ou le Kenya avec son fameux M-PESA de Safaricom qui est probablement l’exemple le plus connu et le plus réussi des services bancaires mobiles. Son grand succès a déclenché une vague de start-up et de partenariats qui utilisent ce service pour fournir aux Kenyans d’autres services précieux, tels que les paiements des services publics, les comptes d’épargne et la micro-assurance.
Dématérialisation et inclusion financière
Mais rapidité ne doit pas rimer avec précipitation. Le plus important est de connaître exactement les besoins des utilisateurs afin d’identifier avec pertinence la finalité. «La vraie question est de savoir ce que l’on a à offrir concrètement aux usagers afin de les faire adhérer», insiste Yassin Sekkat, associé chez McKinsey. C’est l’exemple de l’expérience m-paiement lancée récemment. En effet, s’il s’agit uniquement de mettre en place une nouvelle infrastructure digitale, le succès ne sera pas au rendez-vous. Par contre, s’il y a une volonté politique d’en faire un plan stratégique au niveau national et d’augmenter le bien-être des citoyens, la greffe peut prendre. D’ailleurs, il existe une forte interaction entre les politiques d’inclusion économique et l’inclusion financière, dans le sens où les premières constituent en effet un écosystème nécessaire pour la promotion de la seconde qui permet d’accompagner et de favoriser la réalisation des objectifs d’inclusion économique. Le Registre national de la Population, en voie d’implémentation au niveau national, illustre bien cette démarche. «Nous parlons déjà d’identification faciale et de biométrie, il faut donc s’assurer que la réglementation suive et que les données personnelles des citoyens et entreprises soient protégées», indique Mehdi Kettani. Ce qui laisse présager un autre chantier titanesque à prendre en considération, celui de la cyber-sécurité.