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L’occasion en Panne de structuration

Economie juin 2019

L’occasion en Panne de structuration

Le marché des voitures d’occasion pèse 3,5 fois celui des voitures du neuf. Un gisement énorme qui attire de plus en plus les concessionnaires.

Le marché de l’occasion est de plus en plus attractif. Peu structuré, et portant les concessionnaires s’y positionnent de plus en plus. Dernier en date, Global Occaz, filiale de Bugshan qui détient la carte Hyundai au Maroc, qui a ouvert courant avril dernier, emboîtant ainsi le pas à Renault qui a ouvert une filiale dédiée en juillet 2018. Il faut dire aussi que c’est un business juteux. Les statistiques du ministère du transport révèlent que l’année 2018 a enregistré 590.310 mutations contre seulement 177.359 de véhicules neufs. Autrement dit, le marché de l’occasion représente 3,5 fois le marché du neuf ! Ces volumes de transactions sont par ailleurs amenés à évoluer davantage dans les années à venir compte tenu du faible niveau d’équipement des Marocains. D’après Nizar Abdellaoui, fondateur de Kifal Auto, marketplace dédiée à la voiture d’occasion, «le taux d’équipement automobile au Maroc est estimé à moins de 100 voitures pour 1.000 ménages, ce qui est très faible même par rapport à l’Algérie ou la Tunisie qui sont autour de 150 et 200 voitures pour 1.000 ménages respectivement. Autrement dit si on veut atteindre le taux de nos voisins on doit augmenter de 50% à 100% la taille du parc, ce qui est énorme». Et justement, le parc à la route à fin 2018 était de 4.311.844 véhicules. Avec les 590.310 mutations, c’est pratiquement 14% du parc total qui change de propriétaire chaque année. 

Un marché juteux

Prendre une part dans ce marché reviendrait à s’assurer des revenus additionnels, ce qui expliquerait l’engouement grandissant des concessionnaires, mais pas seulement. Selon Denis Rivet, directeur véhicules d’occasions chez Groupe Renault, c’est aussi un moyen de capter davantage de clientèle pour les voitures neuves. Le professionnel explique que cette démarche est souvent complétée par la reprise de voitures. En effet, avec cette approche c’est un processus de service après-vente dans la durée. Pour Rivet, il est important de proposer à ses clients la possibilité de reprendre leurs voitures achetées chez Renault pour leur proposer une nouvelle. De même, le fait de reprendre des véhicules d’autres marques permet de capter les clients de ces mêmes marques puisqu’ils rachètent généralement un véhicule neuf de la maison. Hicham Benouna, directeur de Global Occaz, partage la même vision et affirme qu’il n’y a au contraire «aucun risque de cannibalisation. Ça permet plutôt de fidéliser le client». Au-delà de la fidélisation, ces véhicules repris et retapés dégagent des plus-values assez importantes. Selon Abdellaoui, «une voiture reprise à 100.000 dirhams serait revendue au moins à 125.000 ou 130.000 dirhams». En effet, aucune règle ne dicte les prix sur le marché de l’occasion, chacun y va de son appréciation. Pour résoudre ce problème, la marketplace s’appuie sur un algorithme qui passe en revue l’ensemble des prix proposés sur Internet pour un modèle donné et calcule un prix moyen. Abondant dans le même sens, Hicham Kharrou, directeur général de Chaabi LLD, explique qu’une «baisse des prix générale est constatée uniquement quand il y a un retour massif sur une catégorie de véhicules avec des volumes conséquents (retour de 500 véhicules voire plus concernant le même modèle). Hormis ce fait, il est à noter qu’une part du marché de l’occasion se fait dans le noir, ce qui rend difficile d’avoir une idée très claire sur les prix réellement pratiqués. Les prix affichés sur le marché sont essentiellement des prix d’offre. Il n’est donc pas possible de savoir à quels prix les ventes sont effectivement conclues».

Acteurs peu structurés

En effet, une bonne partie du business échappe à ces professionnels. Benouna estime que l’informel représente 95% du business des voitures d’occasion, tandis que Rivat avance que la part des professionnels structurés dans le business ne dépasserait pas les 2%. Et si une bonne partie de ce business reste dominée par les particuliers, dont la part est difficile à estimer, le reste est partagé entre les garagistes plus ou moins structurés et les revendeurs, dits «semsars», qui travaillent dans le noir. La profession reproche à ces deux dernières catégories des pratiques qui frôlent l’illégalité. Réaliser de mauvaises réparations ou même trafiquer le compteur seraient des pratiques assez répandues. Si ces pratiques sont décriées par les professionnels, ils ne remettent pas en cause la nécessité de la pertinence d’une variété de l’offre. Pour Rivat, la professionnalisation du secteur ne veut pas dire que les professionnels vont capter tout le marché. «Sur les 300.000 mutations en France, les professionnels réalisent 30%», explique le professionnel, pour qui la vente de particulier à particulier continuerait à exister au Maroc tout comme partout dans le monde. Selon lui elle permet de répondre à une demande de budget qui n’est même pas proposée par les professionnels. Dans le cas de Renault, des voitures d’occasion à 40.000 dirhams, 50.000 dirhams ou 60.000 dirhams ne figurent pas dans ses stocks.

A la recherche de «garantisseurs»

En plus de l’absence de véhicules d’occasion adaptés aux petits budgets, les particuliers se heurtent souvent à l’absence de garanties adossées à ces véhicules. Pour y remédier et rendre l’offre plus attractive, les concessionnaires tout autant que les loueurs (LLD) offrent des garanties en fonction de l’âge du bien et du kilométrage parcouru par le véhicule. Chez Renault par exemple, il existe 3 garanties de 6, 12 et 24 mois qui couvrent plus au moins les mêmes éléments de vétusté que les garanties du constructeur à l’exception de celle sur les pièces d’usure. Pendant cette période, le véhicule est garanti comme un neuf. Le problème qui persiste néanmoins est qu’il existe peu de «garantisseurs» pour couvrir les voitures d’occasion en raison notamment du faible nombre des voitures d’occasion, déplore Rivat. Ce dernier explique que la faiblesse du nombre de garantisseurs est induite par le fait qu’ils ont peu de recul sur le marché de l’occasion, mais surtout pour évaluer le risque. «Pour pouvoir assurer un véhicule d’occasion il faut que la compagnie sache comment il a été remis en l’état par le professionnel. Elle doit prendre connaissance de ce qui a été fait en termes de sécurité, entre autres, or tout cela est difficile à contrôler. Quand il y aura suffisamment de professionnels installés, ça sera en fonction des primes versées et des primes reçues. Ce n’est que là qu’ils pourront évaluer le risque et améliorer les garanties à terme», précise le professionnel.

L’immatriculation de trop

Néanmoins, la garantie ne semble pas l’unique frein au développement et à la structuration de la profession. Un autre obstacle, cette fois d’ordre réglementaire, demeure de taille. En effet, si au niveau de la réglementation, le problème d’une double taxation de la TVA est réglé, celui de l’immatriculation du véhicule d’occasion persiste. Bien qu’ils ne soient qu’intermédiaires, les concessionnaires sont obligés d’immatriculer les véhicules d’occasion rachetés en leur nom avant de les immatriculer une deuxième fois au moment de la cession au nom de l’acquéreur. Une double immatriculation inutile aux yeux des professionnels et qui complique la reprise et revente des voitures surtout quand il s’agit d’opération de buy back (technique promotionnelle qui consiste pour le vendeur à s’engager à reprendre le produit acheté pour une partie de sa valeur quelques années plus tard lors d’un nouvel achat de nature identique chez le même vendeur, ndlr), déplore Rivat. Ce genre d’opération porte généralement sur une centaine de véhicules. «Imaginez la réalisation d’un contrôle technique et l’immatriculation de 300 véhicules», s’exclame le directeur. Bien que contactée à ce sujet par la profession, l’administration ne semble pas être attentive à cette doléance. Pourtant, selon les professionnels, elle est nécessaire pour la structuration du secteur et par ricochet, de garantir la sécurité du parc roulant. Sécurité à laquelle tient tant l’administration.