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Sonarges sur le banc de touche

Entreprises mars 2019

Sonarges sur le banc de touche

Proie d’un blocage institutionnel, d’une absence de support juridique, de manœuvres politiciennes, et d’un business plan inadapté, entre autres erreurs de stratégie qui auraient pu la conduire à la faillite totale, Sonarges a fait preuve de résilience. Pourra-t-elle sortir la tête de l’eau ?

Associée, à tort ou à raison, à des histoires de «copains», l’image de la Sonarges se trouve entachée. Une donne qui ne reflète pas pour autant la réalité de sa gouvernance. Depuis sa création, la Société nationale de réalisation et de gestion des stades a évolué sous 7 ministres de la Jeunesse et des Sports. L’idée de sa mise en place a émergé à l’époque de Nawal El Moutawakel et s’est concrétisée pendant le mandat de Moncef Belkhayat. Mais, dès l’arrivée de Mohamed Ouzzine à la tête du département de la Jeunesse et des sports, elle a commencé une longue traversée du désert qui s’est poursuivie avec Mohand Laenser, Lahcen Sekkouri, Khalid Berjaoui (par intérim) jusqu’à l’actuel ministre Rachid Talbi Alami qui a enfin accordé de l’intérêt à ce parent pauvre du sport marocain «né handicapé». «Ouzzine a noyé la société dans une vacance de directoire de septembre 2013 à mai 2016», accuse une source qui connaît les rouages du département de la jeunesse et des sports. Ce n’est qu’en juin 2016 que Sonarges a vu la désignation par le Conseil de gouvernement de l’actuel Président de son Directoire, Abdelkader Roboa.

Partie du mauvais pied

Les problèmes de la Sonarges ne datent pas d’hier. Créée alors que les chantiers des terrains de Marrakech, Agadir et Tanger, prévus dans le cadre de la candidature marocaine à la Coupe du monde, étaient déjà lancés, la Sonarges commence dans l’urgence. «Sans qu’il y ait un cadre institutionnel ou contractuel qui la lie à l’Etat –il n’y avait ni contrat de délégation, ni convention de gestion, ni rien du tout–, la Sonarges faisait une gestion de facto des trois terrains », explique Abdelkader Roboa. Celui-ci ne cache pas que l’actuel directoire est en train de se rattraper à ce niveau. «On est en train de travailler sur une convention pour régulariser cette situation et repartir sur une bonne base», a-t-il confié à EE.

Dans cette veine, un observateur précise que la continuité du service public reste tributaire de la continuité de la mise en œuvre de la vision malgré les changements à la tête du département concerné. «Le rythme de l’actuel ministre est un peu lent, mais il est en train d’institutionnaliser les choses de sorte à ce que la  stratégie élaborée par le département soit, dès sa validation par le conseil du gouvernement, contraignante pour les futurs responsables», assure un responsable sous le sceau de l’anonymat tout en soulignant qu’un remplacement du ministre en place pourrait miner ces efforts et marquer un retour à la case départ.

Business model inadapté

Outre l’absence de support juridique, la Sonarges a adopté un plan d’affaires pour le moins ambitieux. Ce dernier comportait deux grandes incohérences du point de vue de l’actuelle présidence du directoire. La première est la sous-estimation des charges de fonctionnement des stades. «L’étude élaborée par le cabinet international Roland Berger a calqué les charges sur celles d’un terrain classique comme Sheikh Laghdaf de Laâyoune ou El Abdi d’El Jadida», indique Roboa. Tout en rappelant que le Maroc n’avait pas d’expérience dans la gestion des stades modernes, il a expliqué que le plan initial prévoyait 5 millions de dirhams par stade alors que la pratique a montré que les charges effectives oscillent actuellement entre 14 et 15 millions de dirhams. «Le budget annuel de la boîte, sans faire de développement ou d’investissement, tourne autour de 45 millions de dirhams», a-t-il précisé. Les 5 millions prévus ne collaient pas selon lui aux directives de la lettre royale adressée aux participants des Assises nationales sur le sport de 2008 –qui  a donné lieu au lancement de ce chantier – et qui avait, sur un ton sévère, critiqué l’état des infrastructures sportives en appelant à leur professionnalisation. Celle-ci impliquait la mise en place de pelouses naturelles, de stades annexes pour l’entraînement, des espaces VIP et hospitaliers, des loges où on peut accueillir des clients VIP, etc.

Recettes gonflées

Outre les charges sous-estimées, le business plan initial «complètement inadapté» prévoyait des recettes surestimées. La pérennité du modèle était mise en jeu dès le départ. On comptait sur des recettes de naming (parrainage dans lequel une société paye pour qu’une infrastructure porte son nom, ndlr), mais «comment faire du naming avec des stades quasi vides qui n’offrent pas de visibilité ?», s’est interrogé Roboa. «En plus du naming qui est tombé à l’eau, on prévoyait aussi des recettes importantes de tout ce qui est culturel et organisation de concerts payants (…) alors que la tendance dans tout le pays était la gratuité», a-t-il soutenu.

Même avec des recettes surestimées, le business model prévoyait des subventions. Ces dernières n’ont pas été débloquées dès l’arrivée d’Ouzzine qui a fermé les vannes. Pis, ledit modèle capitalisait sur le Grand stade de Casablanca. Devant être lancé en 2014, ce chantier qui nécessite 2,08 milliards de dirhams n’a pas encore vu le jour faute de mobilisation des fonds.

Interpellé à ce propos, Moncef Belkhayat considère que les difficultés de la Sonarges ont pour origine «la non application par le ministère de la Jeunesse et des Sports de la stratégie» qu’il a mise en place dont l’un des axes importants était justement l’exploitation du Grand stade de Casablanca.

«Notre stratégie était basée sur trois axes importants. L’étude du consultant international Roland Berger a démontré que le business model ne pouvait être viable qu’avec le lancement et l’exploitation du grand stade de Casablanca», confie l’ex-ministre à EE.

Belkhayat persiste

Mettant en avant «un souci de gouvernance», il a ajouté que les deux autres axes, à savoir l’intégration des clubs sociaux de proximité dans le modèle de financement et le paiement d’une redevance à la Sonarges par l’ensemble des équipes qui devaient bénéficier des services que ce soit clubs locaux ou l’équipe nationale n’ont pas été appliqués.

«C’est vraiment dommage parce que ça aurait pu nous apporter la discipline nécessaire pour pouvoir réussir», a-t-il déploré. Pour lui, le meilleur exemple pour étayer ses propos est le fait que «la Sonarges a fait la meilleure recette dans l’histoire de notre pays en un match lors de l’inauguration du stade de Marrakech». «Nous avons, en une soirée, réalisé 9,2 millions de dirhams de revenus», tient-il à rappeler. Cet élan a été freiné, car de son avis, «jamais le football ne se développera avec des billets à 30 dirhams».  Pointant du doigt l’aspect sécuritaire qui n’a pas suivi, il s’est insurgé : «Tant qu’on n’a pas pris des mesures radicales pour empêcher des gamins voyous d’accéder aux stades, jamais notre football ne se développera». Persistant dans ses choix, il considère que «le football doit être un spectacle pour que les classes moyennes et les classes riches puissent venir aux stades et payer 70 ou 80 dirhams le billet». Pour ce qui est de la mixité sociale, il estime qu’elle «doit avoir lieu à travers des sponsors qui financent le billet pour les pauvres».

Selon lui, il faut permettre aux stades de devenir de fait des endroits de spectacles et permettre à la classe moyenne  et la classe riche d’aller au stade capable de s’offrir un billet à 300 dirhams, voire à 1.000 dirhams. Le responsable du RNI estime que c’est compatible avec le pouvoir d’achat des Marocains.

La Sonarges résiliente

Pas du tout d’accord, le Président du directoire affirme qu’il «y a certes la question du pouvoir d’achat, mais il y a aussi la morosité du foot au Maroc et le peu d’engouement du public». Deux facteurs importants qui n’ont pas été pris en compte par l’étude de Roland Berger qui cherchait plutôt à proposer une «offre viable». D’après lui, malgré les anomalies du plan d’affaires initial, la Sonarges a assuré la continuité du service même pendant la vacance de la présidence du directoire qui a duré près de 3 ans.

Depuis son arrivée, Roboa a essayé de mettre de l’ordre dans la vie de cette entreprise publique. Le Conseil de surveillance se tient régulièrement à un rythme d’au moins deux fois par an pour entériner les décisions. Pour plus de fluidité, ledit conseil a érigé deux comités, à savoir un comité stratégie et investissement et un comité d’audit et des risques.

Dans son effort de régulation, il a commencé par la certification des comptes. «Il n’y avait que les rapports du commissaire aux comptes. Le Conseil de surveillance a donné quitus aux membres du directoire  en termes de gestion et on a régularisé quatre ans en un seul coup 2012, 2013, 2014 et 2015 », se rappelle-t-il avec fierté. 

Interpellé sur l’état des comptes, il a affirmé sans hésitation: «On a validé les rapports sans aucune remarque et sans aucune réserve». Pour lui c’était clean. Il assure, néanmoins, qu’il ne peut pas se prononcer sur la «mauvaise gestion qui est du ressort de la Cour des comptes».

Des arriérés à la pelle

Prise au dépourvu par une accumulation des arriérés qui s’élevaient à 54 millions de dirhams, la nouvelle présidence du directoire avait la difficile tâche de remettre de l’ordre. «Mais que faire avec des avis de coupures de l’ONEE, d’Amendis, de la Ramsa et de la Radema  (les fournisseurs d’eau et d’électricité), des procès dans les tribunaux…», se remémore non sans peine Roboa.

Premières démarches, ils ont mis les bouchées doubles et ont accéléré la cadence. Des protocoles d’accord pour le rééchelonnement de ses dettes ont été signés avec les créanciers qui poursuivaient la Sonarges en justice. Ses initiatives visant à gagner du temps se heurteront au manque de moyens. Le Conseil de surveillance du 14 juillet 2016 a acté le maintien de la continuité de service décidant de débloquer 10 millions de dirhams. Sauf qu’avec les élections du 7 octobre, cette décision est restée sans suite. Le ministre de tutelle, qui avait remporté son siège de député, était en incompatibilité. Bien qu’il ait continué à expédier les affaires, il ne pouvait pas débloquer des fonds. Ce qui est venu rajouter une couche, c’est que le gouvernement n’a été installé que 6 mois après. Blocage politique oblige. Résultat : sur les 10 millions de dirhams actés par le Conseil de surveillance et signés par le ministre, on ne débloquera que 2,5 millions en 2016.

Campagne de recouvrement

Quelle issue donc pour le directoire ? Ne manquant pas d’habilité, les équipes de la Sonarges lancèrent une campagne agressive de recouvrement. «On a pratiquement recouvré la moitié de nos dus. Ce qui nous a permis d’oxygéner la boîte », se souvient Roboa. Il s’agissait de plus de 21 millions de dirhams, soit beaucoup plus que la subvention. «Nous sommes allés plus loin en engageant des poursuites judiciaires à l’encontre du KACM et de la fédération de l’athlétisme», affirme-t-il pour dire que la direction a usé de tous les moyens pour rétablir l’ordre alors que ce n’était pas évident pour quelqu’un qui venait d’atterrir dans un poste.

L’autre difficulté qui se dressait devant la Sonarges était la déperdition des cadres. «Il n’y avait personne à la direction technique qui est le noyau dur de la Sonarges», évoque le responsable qui a pu arrêter l’hémorragie des ressources humaines et recruter des cadres, mais aussi des techniciens au niveau des stades pour maintenir le côté opérationnel.

Avec des procédés intelligents, comme la révision de certains marchés onéreux, le forage des puits comme à Marrakech pour l’arrosage des pelouses et le lancement de chantiers permettant une efficacité énergétique, pour alléger les factures, la Sonarges a pu rationaliser ses charges.

Le management de la société a également eu recours à des méthodes astucieuses pour arranger les choses sans avoir à mettre la main dans la poche. Avec l’Ittihad Riadhi de Tanger (IRT) qui avait une créance de plus de 6 millions de dirhams, il a conclu une convention avec la Commune de Tanger pour que celle-ci paye 4,4 millions de dirhams d’arriérés cumulés non payés à Amendis (qui gère la distribution d’eau et l’assainissement) pour le compte de l’IRT. Il a signé un PV de compensation avec le club, la commune et Amendis et pour le reste des créances du club de Tanger, Sonarges a acheté les droits de gestion de l’«affichage aire de jeu» qu’elle vend et efface avec des dettes du club.

«En 2018, le gouvernement a programmé les 51 millions d’arriérés. Il les a débloqués par tranche dont la dernière en décembre dernier. Ce qui a permis d’éponger 98% de toutes ses créances d’avant le 31 décembre 2017, nous a confié le Directeur administratif et financier de la Sonarges, Fikri Lehmame.

2018 a été l’année du redressement. «C’était une année exceptionnelle au niveau du déblocage des subventions et aussi au niveau des événements, on a eu le CHAN et la visite de la Task Force dans le cadre de la candidature du Maroc au Mondial 2026 qui a permis une mise à niveau des trois stades. On a commencé à regagner la confiance de nos fournisseurs », a-t-il poursuivi.

Scénario d’avenir

La question «comment assurer la pérennité de la société ?» s’impose avec acuité. Pour y répondre, la Sonarges a lancé une étude, toujours en cours, pour choisir un scénario pérenne d’exploitation. L’étude élaborée par le cabinet Deloitte, dont EE détient copie, propose quatre scénarios d’exploitation.

Un premier scénario consiste en le maintien du statu quo. Un second repose sur la valorisation des trois stades en plus de celui de Casablanca et l’élargissement de la vision de l’actif stade au-delà de l’enceinte afin de faire des stades un lieu de vie. Un troisième scénario vient s’ajouter à la conception du deuxième scénario en étendant l’élargissement du concept aux grands stades du Royaume tandis qu’un quatrième scénario va jusqu’à l’élargissement régional aux infrastructures sportives. Du point de vue du ministre de tutelle Rachid Talbi Alami, ces quatre scénarios étaient insuffisants. «Il a ainsi exigé un cinquième», selon Roboa.

Ce cinquième, qui consiste en une gestion pour compte de tous les stades abritant la Botola, s’est avéré non concluant et le comité de stratégie et d’investissement a fini par valider le scénario 3 après avoir passé au crible tous les scénarii.

Sur les raisons de son abandon, Roboa assure que le scénario 5 implique une explosion des subventions de l’Etat qui devraient, selon les projections, atteindre 110 millions de dirhams en 2025. Ainsi, la Sonarges a enfin trouvé une équation qu’elle optimise de jour en jour.  La mise en application du scénario 3 est en marche. La société devrait commencer prochainement la gestion des stades de Moulay Abdellah et de Fès. Ceci étant, la bataille du redressement n’est pas encore gagnée. De l’aveu de son management, «l’équilibre est fragile»