Le mica m’a tué !
Le retour des sacs en plastique est de plus en plus pesant. En dépit du doublement de ses prix sur le marché noir, le sac en plastique demeure plus compétitif que le sac en papier. 80% des opérateurs qui s’y sont spécialisés au lendemain de l’interdiction ont déjà fermé boutique.
En pleine euphorie environnementale, avec l’organisation de la Cop22, le gouvernement avait fait le choix de supprimer les sacs en plastique communément dits mica via l’opération «zéro mica». Une démarche que beaucoup ressentent comme un excès de zèle plutôt qu’une décision mûrement réfléchie. D’autant plus qu’entre la date de publication de la loi interdisant ces sacs et son entrée en vigueur, seul un délai de six mois était prévu. Dans la foulée, les sociétés fabriquant les sacs en plastique se sont retrouvées obligées de fermer boutique ou de changer d’activité, sous peine de se retrouver dans l’illégalité. La loi n°77-15 entrée en vigueur le 1er juillet 2016 interdit en effet la fabrication, l’importation, l’exportation, la détention en vue de la vente, la mise en vente ou même la distribution à titre gratuit des sacs en plastique avec ou sans poignées, qui sont fournis à titre onéreux ou gratuit aux consommateurs dans les points de vente de biens, de denrées ou de services, destinés à l’emballage de leurs marchandises. «Avec l’initiative de zéro mica, le «mica» dans le secteur formel n’existe plus. Plusieurs dispositifs ont été mis en place qui ont fait que toutes les entreprises du formel, se sont soit converties, soit ont arrêté leur activité», explique Nabil Saouaf, directeur de la Fédération Marocaine de Plasturgie. Tout ce qui reste concerne l’informel, ajoute notre source. Un informel qui s’est d’ailleurs très bien développé. D’où l’existence encore de sacs en plastique dans les souks et les petits marchés.
Cette ténacité se fait de plus en plus ressentir au point que plusieurs opérateurs sondés pointent du doigt le retour de l’informel plastique de manière à envahir le marché plus fortement qu’avant l’opération zéro mica. Pour Mounir El Bari, président de la Fédération des industries forestières, des arts graphiques et de l’emballage, «malgré l’opération zéro mica, les sacs en plastique sont revenus, alors que les opérateurs avaient déjà réalisé beaucoup d’investissements. Le hic c’est qu’il est impossible que le sac en papier soit moins cher que le sac en plastique, sauf s’il y a une subvention pour les accompagner».
Le papier peu compétitif
Un opérateur, ayant requis l’anonymat, précise d’ailleurs que «le sac en plastique demeure plus compétitif en étant moins cher que le sac en papier de 20% à 30%. Pour une même contenance de 2 à 3 kilos, le sac en plastique ne coûte que 6 centimes alors que le sac en papier en coûte 20». Pourtant les commerçants s’offusquent du doublement du prix des sacs en papier alors qu’ils sont également menacés par les sanctions de la loi. Il faut dire que les habitudes ont la peau dure, et le consommateur lambda préfère que sa marchandise soit emballée dans du sac en plastique gratuit. Changer ces habitudes passerait par une sensibilisation des Marocains aux dangers de l’usage du plastique. Cette forte compétitivité du plastique et son inscription dans l’ADN des mœurs marocaines a eu raison de 80% des opérateurs ayant choisi de s’orienter vers les sacs en papier après la loi 77-15, précise un opérateur. Afin de survivre, cet opérateur oriente près de 85% de sa production à l’export, essentiellement en Europe. La demande locale qui lui est adressée ne représentant que 15% de sa production. Une demande qui émane des grandes surfaces, magasins ou encore pâtisseries, mais qui reste tout de même très faible compte tenu des autres alternatives offertes. Pourtant, les opérateurs ayant fait le choix du papier ont représenté 47% des 15 entreprises bénéficiaires du fonds de soutien à la reconversion, doté de 200 millions de DH.
Le mica, une menace pour tous
Selon Saouaf, certains opérateurs ont su se positionner sur des niches comme le sac en polypropylène non tissé, le sac en polypropylène tissé ou encore en papier. «Ce sont de nouveaux entrants et tous n’ont pas trouvé ce qu’ils attendaient en termes de marché pour leurs produits. Sans compter que la non disparition du mica a bloqué leur business ainsi que l’amortissement de leurs machines», précise le directeur de la Fédération. À l’en croire, le niveau de blocage est difficile à estimer et diffère d’une niche à l’autre parce que la substitution s’est faite par plusieurs matériaux. «La demande est la même sur toutes ces alternatives. Mais des freins à leur développement continuent d’exister». Ainsi, à l’informel s’ajoute l’indisponibilité de la matière première pour le papier et la concurrence entre propylène tissé et propylène non tissé. Un aveu d’échec de la substitution des sacs en plastique ? «D’une manière générale, on peut dire que la substitution a réussi beaucoup plus par la diversification des emballages. Avant il n’y avait que le sac en plastique dans certaines niches, aujourd’hui, ce sac issu de l’informel coexiste avec le papier, le propylène tissé et non tissé, le verre ou encore le thermoformage», poursuit Saouaf. Cette diversification a fait que le sac plastique a perdu de son marché. D’ailleurs, l’importation de la matière première nécessaire à la fabrication des sacs en plastique a baissé de 50% (35.000 tonnes) entre 2015 et décembre 2018. Par ailleurs, sur l’année écoulée, les contrôles menés par les ministères de l’Industrie et de l’Intérieur ont abouti à la saisie de 821 tonnes de sacs en plastique interdits et à la constatation de 4.389 infractions dans les marchés. La douane, quant à elle, en a confisqué 107 tonnes. Les tribunaux ont prononcé 775 jugements, avec des amendes ayant atteint 5 millions de DH. Des contrôles jugés insuffisants pour assurer la survie des opérateurs des sacs en papier, qui appellent à leur renforcement.