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CMR, le difficile sevrage

Economie mars 2019

CMR, le difficile sevrage

Otage d’une réglementation imposant l’investissement de ses réserves essentiellement dans les obligations du Trésor, la CMR passe à côté d’un rendement plus important sur le marché des actions entre autres classes d’actifs.  A quand un affranchissement de la mainmise du Trésor ?

A la recherche du salut pour «sauver» le régime des pensions civiles (RPC) de la CMR, le gouvernement n’a pas trouvé d’autre chemin que d’user de la formule «Travailler plus, cotiser plus et percevoir moins». Mise en application depuis septembre 2016, la réforme paramétrique a montré ses limites. La preuve en est que le RPC ne cesse depuis 2016 de puiser dans le fonds de réserve (FDR) pour combler son déficit financier. La valeur comptable du FDR est passée de 88,3 milliards en 2016 à 80,04 en 2017 pour atteindre 77,4 milliards de dirhams en 2018.

Si l’on sait que l’encours du fonds de réserve a connu une augmentation annuelle de 30% de 1996 jusqu’en 2015, dès lors cet effritement de la réserve constitue une véritable menace pour le RPC. D’autant plus que l’élan de fructification du portefeuille du régime se trouve aujourd’hui pour le moins freiné par une gouvernance qui laisse à désirer.

Dramatisation excessive 

A force de dramatiser la situation du régime des pensions civiles (RPC) de la CMR, on oublie que le RPC est doté d’un fonds de réserves dont la profondeur fait de la CMR un véritable «Market Maker» sur le marché financier marocain. Depuis 1996, année de sa réorganisation en établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, la CMR s’est transformée au fil des années en un acteur clé du paysage institutionnel de la gestion d’actifs. Le portefeuille du RPC est passé de 2 milliards de dirhams (1996) à 98,17 milliards de dirhams (valeur marché) en 2016, selon un rapport confidentiel de la CMR, dont EE détient une copie.

Bien qu’amortie par le recours de la direction de la caisse des années durant à la réserve stratégique (FDR) du RPC pour financer le déficit chronique du régime des pensions militaires (RPM) et pour couvrir le déficit financier du RPC depuis 2015, cette montée crescendo de la valeur du portefeuille du RPC a fait de la CMR un investisseur institutionnel incontournable sur le marché de la dette publique. Elle détient aujourd’hui près de 20% des créances de l’Etat, selon un responsable de la caisse. Cette posture est, aussi, observée sur le compartiment secondaire de la dette sur lequel le RPC détient une part de marché indéniable et génère un volume d’affaires conséquent.

C’est ce qui pousse plusieurs analystes, anciens dirigeants de la caisse et syndicalistes ayant contribué à la réflexion sur la réforme par la commission nationale ad hoc depuis 2004, à affirmer qu’une meilleure gestion des fonds de réserve des caisses de retraite et en particulier du RPC de la CMR pourrait constituer le «chemin du salut» et repousser davantage les échéances d’épuisement de leurs réserves. Cependant, la fructification au mieux des fonds disponibles demeure entravée par des contraintes réglementaires, mais aussi par la mainmise du Trésor sur ces fonds. En effet, par voie réglementaire la tutelle impose une prédominance des bons du Trésor qui limite la rentabilité du portefeuille de la caisse.

L’énorme gâchis 

Au lieu de libérer l’énorme potentiel du RPC en lui permettant d’investir entre autres le marché actions, dont le rendement moyen avoisine les 13% depuis le début des années 2000 contre seulement 5% pour l’obligataire, les pouvoirs publics se servent des réserves de la caisse pour financer la Trésorerie de l’Etat.

Depuis sa réorganisation par Driss Jettou en 1997, alors ministre de l’Economie et des Finances, la CMR était obligée de détenir par la force de la loi un minimum de 80% des valeurs de l’Etat (bons du Trésor et émissions garanties par l’Etat). Quoique ce taux ait été revu à la baisse en 2010 par un arrêté (n° 1606-10 du 19 mai 2010) du ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Salaheddine Mezouar, qui l’a ramené à 50%, la part de l’obligataire domine toujours les différentes classes d’actifs. Selon un rapport du Comité d’allocation des actifs estampillé «confidentiel», la part de l’obligataire constituait 85,2 % en 2016 contre 87,3% en 2013.

A titre d’exemple, d’après le même document, la caisse a dégagé en 2016 une performance de 40,8% sur sa poche «actions cotées» dont le poids ne dépasse pas 14,4% du portefeuille global contribuant ainsi à hauteur de 4,45% de la performance de ce dernier. A contrario, la poche obligataire qui pèse 85,2% du portefeuille de la caisse (marquée par une pondération des valeurs de l’Etat qui ressortent à 73,9%) n’a généré qu’une performance de 5,28% contribuant dans la performance globale quasiment à un niveau équivalent de celui de la poche actions avec 4,63%.

La mamelle du Trésor

La prédominance impérative de par la loi, mais aussi la pratique, des bons du Trésor vu que l’arrêté de Mezouar en 2010 adopté suite à une étude du cabinet Actuaria est resté lettre morte, se dresse donc comme un obstacle majeur devant la fructification au mieux du portefeuille du RPC. Les modalités de fonctionnement des provisions de prévoyance et des réserves de la CMR ainsi que la répartition des ressources entre les emplois autorisés en ce qui concerne la gestion des actifs, fixée par voie réglementaire (arrêté du 7 novembre 1997), sont devenues obsolètes.

Ce qui fait que la CMR prend les habits d’un investisseur véritable teneur de marché, mais avec un univers d’investissement fixe et une liste des classes d’actifs préétablies dans lesquels il peut faire fructifier les réserves constituées. Les excédents dégagés par le RPC, puisque le RPM a toujours été déficitaire, sont investis essentiellement dans les valeurs de l’Etat et celles jouissant de sa garantie.

Cette situation réduit la CMR de facto en une simple « succursale» du Trésor.  Rappelons qu’elle l’a toujours été durant la période allant de 1958 à 1996 (année de sa réorganisation). 

Ainsi, au moment où des opportunités de placement qui peuvent rapporter jusqu’à 20%, voire 40% (exemple précité bien que l’année 2016 fût exceptionnelle en termes de rendement) se présentent, la CMR se contente d’une rentabilité oscillant entre 4 et 5%.

Le réveil tardif

Pendant que la CIMR (Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite) se permet une rentabilité dépassant les 15%, la CMR rate d’autres pistes importantes de placement, notamment dans l’immobilier.

Son exposition sur cette classe d’actifs ressort à fin 2017 à 0,4% alors que le règlement lui permet d’atteindre 3%.  Voulant profiter de ce domaine d’activité à fort potentiel, la CMR vient de sélectionner par voie d’appel d’offres le cabinet spécialisé dans la gestion de projets immobiliers Colliers International Maroc pour l’élaboration d’une stratégie dans ce sens. «Ce réveil tardif a été préconisé par les études ALM (Asset Liability Management, ndlr) élaborées par les équipes de la caisse», assure une source au sein de la direction de la caisse. «Outre l’augmentation des placements dans l’immobilier jusqu’à la barre des 3%, la caisse essayera d’augmenter les placements dans le marché boursier qui avoisinent actuellement les 14 à 20%», assure la même source sous le sceau de l’anonymat.

Interrogé par EE sur les perspectives de placement, le chef du pôle gestion de portefeuille à la CMR, Mohamed Jaber Khemlichi, nous a précisé qu’il ne peut pas s’exprimer sans l’aval de la direction.

Pour sa part, le directeur de la CMR, Lotfi Boujendar, s’est refusé à tout commentaire en nous exhortant gentiment à passer par le service de communication de la caisse. Contactée par nos soins, la responsable de la Communication externe de la caisse, Nassima Akariou, n’a à son tour pas donné suite à notre requête prétextant qu’il n’y a aucun responsable disponible pour répondre à nos interrogations. Celles-ci qui portaient entre autres sur la rémunération moyenne des placements durant les dernières années et la vision du Conseil d’administration pour une meilleure fructification de la réserve ont trouvé écho chez d’autres sources sûres et concordantes au sein de la tutelle. Selon celles-ci, la rémunération moyenne des placements ne dépassait guère les 5% depuis des lustres. Pis, 2019 ne va pas déroger à la règle. Selon le budget de l’exercice en cours, qui a fait objet d’une présentation du directeur de la CMR lors du Conseil d’administration de la caisse du 17 décembre dernier, présidé par le ministre de l’Economie et des Finances Mohamed Benchaâboun, le rendement comptable du portefeuille global ne dépasserait pas 4,8%. Ce niveau de rendement est souvent justifié par un argument qu’on ne cesse de rabattre à tort, à savoir la sécurité maximale des placements que représentent les obligations de l’Etat.

Gouvernance, la grande absente

Dans le long processus normatif visant l’instauration des règles de gouvernance représentative enclenché en 2000 sous le gouvernement El Youssoufi, la Caisse a connu deux périodes distinctes. Durant la période 2000-2010, tous les budgets étaient sujets à discussion rationnelle avant délibération par le Conseil d’administration (CA). Le CA avait décidé, conformément au dernier alinéa de l’article 6, «la création d’abord en 2009 d’un comité d’allocation des actifs et puis d’un comité d’audit en 2010». Il a délégué à ces deux comités certains de ses pouvoirs de veille sur les placements et le contrôle et audit des comptes, raconte un ancien cadre de la caisse. Or, depuis le départ à la retraite de l’ancien DG Mohamed Bendriss Benahmed et la nomination de feu Mohamed Alaoui Abdelaoui en 2009, la direction a commencé à outrepasser «les pouvoirs et attributions nécessaires à la gestion de la Caisse, qui lui sont délégués par le CA», poursuit-il. «Devant exécuter les décisions du CA, la direction gère le portefeuille comme bon lui semble», déplore un représentant des affiliés à la caisse au CA.

Abondant dans ce sens, le contrôleur de l’Etat, Amina El Montassir, appelle dans son rapport de 2017, dont EE détient une copie, à «revoir le rôle des organes de gouvernance de la caisse en matière de suivi de l’exécution du budget afin de mieux apprécier les projets lancés». Cette allusion faite précisément au rôle du Comité d’allocation des actifs ne semble pas gêner la direction de la caisse. Selon des membres du CA, «la politique des placements se décide loin du CA et dépend du bon vouloir de la direction».

L’engagement difficile

Dans le contrat programme 2018-2020 signé avec l’Etat, la caisse s’engage à garantir les meilleures conditions pour l’optimisation des placements et explorer de nouvelles pistes de fructification des réserves financières. Un engagement qui reste difficile à tenir au vu de l’état anémique des deniers publics ne permettant pas au gouvernement d’abandonner la vache à lait qu’est le RPC. D’autant plus qu’il demeure décidé à poursuivre le «dégraissage du mammouth» en parfaite harmonie avec les recommandations des institutions financières internationales qui préconisent une réduction du train de vie de l’Etat.

Avec cette orientation stratégique qui signifie une panne prolongée de l’emploi, seul moteur pouvant pérenniser un système de retraite (pas de solutions en vue avec les enseignants contractuels actuellement affiliés au RCAR), le gouvernement est à la recherche de nouvelles pistes pour empêcher l’effondrement du système.

Alors que le taux d’encadrement dans l’administration publique reste faible, le gisement des cotisations est d’ores et déjà appelé à s’amenuiser de plus en plus. Il semble que la gravité de la situation n’échappe pas à l’actuel ministre de tutelle.

Tout en se félicitant des résultats de la réforme paramétrique qui « a aidé à réduire les engagements financiers futurs du système de 53% (344 milliards de dirhams contre 738 milliards de dirhams)», il a appelé à examiner les différentes pistes à même de garantir une meilleure optimisation des investissements du portefeuille. D’ailleurs, dès le premier CA qu’il a présidé le 17 décembre dernier, il a exhorté la direction de la CMR à élaborer une étude sur les politiques d’investissement de ses réserves à même d’atteindre le niveau des best practices à l’international, nous a confié un membre du CA ayant pris part à cette réunion. Mohamed Benchaâboun a insisté sur la « proposition d’amendements à introduire sur les cadres juridiques et réglementaires relatifs à la gestion des actifs et aussi la suggestion de nouveaux secteurs vers lesquels la CMR devrait orienter ses investissements avec respect des principes de rentabilité, de sécurité et de liquidité», a-t-elle ajouté.

Ainsi, le gouvernement qui s’apprête à taper une nouvelle fois dans la fourmilière avec le passage à la deuxième phase de la réforme doit d’abord changer de logiciel en cherchant de nouvelles solutions de financement. Difficile reste le sevrage.