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L’ONSSA brouille les pistes

Entreprises février 2019

L’ONSSA brouille les pistes

L’ONSSA risque de priver les agriculteurs marocains d’une longue liste de pesticides génériques. Un changement de démarches à entreprendre pour leur homologation est dans le pipe. Son adoption tiendra la compétitivité agricole en laisse.

A travers la révision du code de procédures des produits à usage agricole, en cours de concertation avec les professionnels, l’Office national de sécurité sanitaire et alimentaire (ONSSA) risque de mettre fin à l’usage d’une soixantaine de pesticides génériques. Accordée, après examen, pour une durée de dix ans renouvelables, l’homologation de la plupart de ces intrants agricoles incontournables arrive à échéance dans les 2 à 4 prochaines années. Du coup, avec ce chamboulement de procédure, qui répond aux exigences du jumelage institutionnel Maroc-Union européenne (UE), des pesticides bon marché vont disparaître les uns après les autres. Au vu des avantages comparatifs des génériques par rapport aux princeps, l’entrée en vigueur de certaines mesures de ce nouveau code constituerait un coup fatal à la compétitivité du secteur et particulièrement aux petits fellahs. Pire, l’impact serait désastreux, de l’avis des agriculteurs exportateurs, sur la compétitivité de l’offre exportable agricole, déjà mise à mal par une concurrence accrue au niveau des marchés internationaux.

Bouleversement de la profession

Poussé par le jumelage entre le royaume et l’UE, l’ONSSA se penche actuellement sur la révision du code de procédure des produits pesticides à usage agricole. D’après le nouveau code en préparation dont EE détient une copie, l’ensemble des démarches pour introduire une demande (qu’elle soit d’agrément pour exercer des activités, d’extension, d’homologation de produits, de renouvellement de celle-ci ou de transfert d’homologation) connaîtront des modifications. Celles-ci concerneront, entre autres, l’homologation et la ré-homologation des génériques qui constituent entre 65 et 70% des produits phytopharmaceutiques utilisés au Maroc. Une bonne partie de ceux-ci serait donc amenée à disparaître du marché au grand dam des agriculteurs.

Ce changement de code de procédure, huitième du genre durant les 5 dernières années d’après les professionnels, assomme ces derniers qui craignent un bouleversement de la profession. Ainsi, parmi les nouvelles exigences concernant la ré-homologation d’un produit pesticide à usage agricole qui exaspèrent les importateurs, on trouve l’obligation de munir la demande de ré-homologation d’une attestation d’homologation certifiée conforme en cours de validité émanant d’un pays OCDE.

Cette nouvelle condition est fortement contestée par les représentants des deux associations professionnelles représentant les sociétés agréées pour la fabrication, l’importation et la distribution des produits à usage agricole. Joint par EE, Boubker El Ouilani, directeur exécutif de Crop Life Maroc, affirme que son groupement essaye de convaincre l’ONSSA que «les produits génériques déjà homologués au Maroc pendant 10 ans n’ont pas besoin d’un certificat OCDE pour leur ré-homologation».

Le représentant de la filiale marocaine de ce lobby international, qui regroupe les multinationales et les entreprises du secteur de la protection des cultures et la biotechnologie végétale, a pointé du doigt le «danger d’un copiage des réglementations européennes». Celui-ci se fait dans le cadre du projet de jumelage institutionnel Maroc-UE qui vise à mettre à niveau toutes les réglementations marocaines en ce qui concerne l’homologation des pesticides.

«Nous avons déjà alerté l’ONSSA concernant cette mise à niveau. Il ne faut surtout pas copier tout ce qui existe en Europe et essayer de l’appliquer au royaume parce que nous n’avons ni les mêmes moyens, ni les mêmes ressources, ni les mêmes compétences», nous a-t-il confié.

Vent debout contre le nouveau code

Même son de cloche chez les responsables de l’Association nationale des entreprises marocaines d’importation de formulation et de distribution de produits phytosanitaires (ASMIPH). Un dirigeant de cette association qui regroupe essentiellement les importateurs et distributeurs de pesticides génériques considère qu’«un produit qui a été homologué, qui a fait ses preuves et qui est là depuis 20 ans ou 30 ans, doit être ré-homologué d’une manière automatique». Car, explique-t-il, cette homologation a déjà fait l’objet au départ de plusieurs études qui ont fait que le dossier a été accepté et reste valable jusqu’à aujourd’hui. «Pourquoi viendrait-on demain nous demander si le produit est homologué ailleurs?», s’est-il interrogé.

«L’ONSSA exige de voir s’il est homologué dans l’un des pays de l’OCDE, mais il y a plusieurs produits qui sont homologués au Maroc et qui ne le sont plus dans un pays déterminé pour des considérations commerciales et vice versa», a-t-il expliqué. C’est le cas par exemple de produits qui sont encore homologués aux États-Unis mais qui sont interdits au Maroc.

«D’ailleurs, pour un produit qui a fait ses preuves et qui est commercialisé sans poser de problème jusqu’au moment de son ré-homologation, celle-ci doit être une continuation. Elle doit être une simple procédure administrative», abonde dans le même sens un autre responsable de l’ASMIPH.

S’exprimant sous couvert d’anonymat, ce dernier a estimé que cette ré-homologation est une chose normale qui doit couler de source avant de s’insurger contre «tant de complications». «Pourquoi mettre des bâtons dans les roues du moment que l’administration a toujours les droits d’enlever des produits qui posent problème au Maroc ou ailleurs».

Positions dominantes

La réponse serait à chercher du côté d’un éventuel encouragement des positions de rente selon un responsable de l’ASMIPH également agriculteur. Ce dernier explique qu’il y a 30 ans, 40 ans ou 45 ans, les sociétés demandaient une seule homologation pour un produit qui a 45 usages différents. «Maintenant une société qui s’installe au Maroc et qui veut commercialiser un générique concurrent est dans le devoir de produire 45 essais. Ce qui est impossible car pas du tout rentable», explique-t-il. «Il y a des sociétés qui bénéficient de positions de rente qui sont anormales. L’ONSSA avec sa procédure maintient ces positions», regrette-t-il.

Outre cette aberration, selon ces termes, ce vieux routier a fustigé l’exigence par l’ONSSA d’essais inutiles. «Prenons l’exemple d’un insecticide qu’une société veut homologuer pour l’utiliser contre le puceron vert du pêcher (c’est le puceron le plus dangereux pour le pêcher, notamment parce qu’il véhicule de nombreux virus et attaque plusieurs cultures, ndlr), si l’on veut tester cet insecticide sur le pommier, l’ONSSA exige qu’on fasse un autre essai pour démontrer que le produit est efficace», a-t-il expliqué en considérant que «c’est complètement aberrant partant du fait que l’insecte est le même et le produit est le même».

Dans la même veine, concernant les fongicides, d’après cet expert aguerri, l’Office impose des essais pour l’homologation de produits qui ont déjà prouvé leur efficacité juste par ce qu’ils sont commercialisés par d’autres sociétés. La meilleure illustration de ce cas de figure, indique-t-il, est le mancozèbe (un fongicide systémique, ndlr). «On nous demande de faire des essais pour un produit qui arrive de la même usine», s’est-il indigné. «Pour ce même produit, il faut faire une homologation sur la tomate et une autre si l’on veut passer sur la pomme de terre, alors que c’est exactement le même champignon», s’est-il exclamé.

Rentes de monopoles

Suivant le même raisonnement, Mohammed Zahidi, agriculteur et directeur de l’agence de conseil en agriculture, Green Smile, a soulevé le cas des insecticides et acaricides à base d’Abamectine. « Quand une seule société avait le monopole, et bien évidemment protégée par les textes relatifs aux brevets , ils étaient commercialisés au Maroc à 3.500 dirhams», a-t-il rappelé avant de souligner : «Le jour où la protection a disparu et que l’association APEFEL (Association des producteurs et exportateurs des fruits et légumes) avait fait pression sur le ministère de l’Agriculture pour activer, voire faciliter l’homologation des génériques de cette matière active, 30 spécialités génériques ont été autorisées par l’ONSSA et le prix a chuté de 3.500 dirhams à 120 dirhams».

Et comme l’histoire se répète, la saison agricole a été ponctuée par un problème identique à celui de l’Abamectine. Un produit à la base de chlorphénapyr, utilisé pour la lutte contre la mouche de la tomate «Tutta Absoluta» qui fait des ravages dans la région du Souss Massa est en rupture de stock. «Ce produit est commercialisé uniquement par BASF Maroc, une filiale de BASF Allemagne», affirme un membre de Crop Life. Ce dernier affirme que ce produit est vendu actuellement avec des prix oscillants entre 2.500 et 3.000 dirhams le litre, voire plus, alors qu’il était vendu à 1.100 ou 1.200 dirhams le litre. Avec la forte demande, la contrebande des produits en provenance d’Espagne est entrée en jeu, affirme-t-il en s’interrogeant : «Qui garantit au producteur que le flacon qu’il achète est bien à base de chlorphénapyr?»

Ainsi, l’agriculteur marocain se trouve entre deux feux : acheter auprès des distributeurs des produits des multinationales ou de chez les contrebandiers. Du moment qu’on ne peut pas se fier à ces derniers, «il est temps d’arrêter de conforter les positions de rente et de trouver une solution pour mettre tous les acteurs sur le même pied d’égalité», soutient un responsable de l’ASMIPH.

Favoritisme des multinationales

Partout dans le monde, le secret des affaires ou secret industriel ne manque pas d’empoisonner la vie des acteurs de petite taille. Le Maroc ne fait pas exception. Vu que la réglementation européenne donne une définition large et imprécise du secret des affaires, l’ONSSA reste les bras croisés devant les multinationales. «Les mesures précitées sont en faveur des multinationales», martèle un importateur marocain agacé par le fait qu’«il y a des études que l’Office ne demande pas aux multinationales». «Elles font prévaloir le secret industriel, elles disent que les renseignements qu’ils devraient envoyer à l’ONSSA peuvent fuiter alors qu’en Europe et ailleurs elles sont obligées de les fournir», croit savoir un importateur de pesticides génériques. De l’avis de l’ensemble des intervenants, les contrôles de l’ONSSA restent en deçà du minimum pouvant assurer une véritable vérification des produits importés. «L’Office n’a même pas les capacités pour vérifier. Ce sont juste des études qui sont fournies pour le principe», s’accordent à nous assurer les professionnels et même des responsables de l’ONSSA sous le sceau de l’anonymat.

Face à cette situation, le directeur exécutif de Crop Life Maroc, Boubker El Ouilani, affirme que le meilleur moyen pour améliorer les conditions d’homologation des produits reste de les contrôler. «Au niveau du Laboratoire Officiel d’Analyse et de Recherche Chimique (LOARC) qui représente l’État marocain, ils n’ont pas la possibilité d’aller vraiment dans les détails», a-t-il déploré. «Tout ce qu’ils font c’est une analyse de la teneur des matières actives, alors que nous voulons qu’ils vérifient s’il a des impuretés cancérigènes afin qu’ils puissent nous dire éventuellement si le produit peut être accepté ou pas», a-t-il ajouté. De son point de vue, «tant qu’il n’y a pas un laboratoire de contrôle qui suit tout cela de très près, la procédure ne vaut absolument rien».

LOARC hors course

Pointant la démarche de l’ONSSA qui consiste à exiger aux importateurs et distributeurs d’apporter des attestations croisées d’approvisionnement et de fourniture du produit objet de demande d’homologation et des matières actives entrant dans sa composition, El Ouilani a souligné que «le plus important est de contrôler la marchandise et sa conformité avec les données déclarées par la société importatrice».

Cependant, il semble qu’il s’agisse d’un vœu pieux. Contacté par EE, un responsable du LOARC a, sous le sceau de l’anonymat, conforté ces propos. «Nous ne faisons que de l’analyse de la densité de la matière active. On n’est pas en mesure d’analyser la propriété physique ou chimique d’un produit ni ses impuretés».

«Le laboratoire n’est pas très bien avancé sur l’analyse des formulations. C’est vrai qu’il est là depuis 1980, mais il est toujours resté sur l’analyse de la teneur des matières actives ; avec le présent dispositif technique ainsi que l’ensemble des moyens techniques et humains en place, il est très difficile d’analyser les propriétés physiques ou chimiques des impuretés (solvants et adjuvants) et tout ce qui va avec », a-t-il regretté. «Il faut faire des investissements pour se doter d’un matériel capable de détecter les impuretés. Actuellement, ce n’est pas dans nos cordes. Pour ce faire, il faut aller à un laboratoire GPL», indique-t-il avec amertume.

L’ONSSA aux abonnés absents

Pour connaître le point de vue de la tutelle, EE a contacté la directrice des Intrants et des Laboratoires au sein de l’ONSSA, Khadija Id Sidi Yahia. Cette dernière nous a donné son accord avant de préférer après coup ne pas faire suite à notre requête. Idem pour le chef de la division des intrants chimiques, Mohammed Akchati, que EE n’a pas pu joindre.

Cette indifférence de l’ONSSA est fortement décriée du côté des professionnels. Ceux-ci rapportent que l’un des fonctionnaires de l’ONSSA qui participe aux réunions de concertation sur le projet de code a fait une réaction déplacée face aux doléances des professionnels. «Comment peut-on laisser des gens irresponsables décider concernant un aussi important enjeu de l’agriculture nationale», s’interroge un membre de Crop Life «Les multinationales qui, d’année en année, voient leurs parts de marché se réduire au profit des distributeurs de génériques dont les parts augmentent constamment, veulent absolument et par tous les moyens barrer le chemin aux sociétés qui vendent les produits génériques», résume un autre membre de l’association. «L’ONSSA ne peut pas abdiquer face aux lobbys de Bruxelles. Il est de son devoir de préserver l’intérêt national en premier dans le cadre d’une vision globale qui donne la primauté aux aspects économiques», tient à souligner la même source.