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Faut-il abandonner les Stratégies sectorielles?

Débat janvier 2019

Faut-il abandonner les Stratégies sectorielles?

Depuis le plan de développement économique et social 2000-2004, les gouvernements qui se sont succédé ont ouvert les voies à des plans sectoriels qui n’ont pas atteint leurs objectifs. L’autopsie de ces échecs cuisants a d’ailleurs été soulignée par plusieurs organismes nationaux et internationaux. Pour EE, deux experts analysent cette absence de convergence des politiques publiques et mettent le doigt là où le bât blesse.

Nos politiques publiques manquent de convergence et de cohérence, un constat maintes fois relevé par diverses instances. De nombreux économistes pointent par ailleurs du doigt une absence de fil conducteur qui fait perdre au Maroc des points de croissance. Qu’en pensez-vous?
Mohamed Chiguer:
Il faut revenir un peu à l’histoire. Si l’on veut analyser cette situation, il y a un ensemble d’éléments qui entrent en jeu. Sur le plan économique, depuis la fin du programme d’ajustement structurel (PAS) en 1993, le Maroc a opté pour une politique beaucoup plus libérale. Il avait déjà vers la fin des années 1970 condamné la politique de planification. Sur le plan théorique et idéologique, le fait d’abandonner le plan signifiait que c’était au marché d’orienter la politique économique en général. La question du marché, c’est un autre problème pour le Maroc… En 1993, avec les recommandations du FMI, il y avait une libéralisation de l’économie. A partir de ce moment-là, on comptait beaucoup plus sur les orientations et les recommandations que sur une démarche basée sur une stratégie globale.
Sur le plan institutionnel, on sait bien que le gouvernement au Maroc n’a pas la main sur les orientations stratégiques, malgré la Constitution de 2011. Ces orientations ne relèvent pas du gouvernement, mais beaucoup plus du Conseil des ministres. Rappelons que le mode de scrutin fait qu’on n’a pas un gouvernement homogène. La plupart du temps, les observateurs relèvent la participation de 6 partis, même il s’agit en fait de 7 partis: l’un des partis n’a pas de couleur. Il est incolore et indolore, comme on dit. Ce qu’on constate, c’est que chaque ministère, surtout parmi les plus influents, présente une stratégie propre, adoptant en cela la démarche d’une entreprise, qui est beaucoup plus micro-économique que macro-économique. Cela explique qu’il n’y ait pas une stratégie globale et une convergence pour aller dans le sens de la réalisation de cette stratégie globale.
Zakaria Fahim: Sans remonter au PAS, il est clair à mon sens que ces dernières années, on revient effectivement au plan. Parce que c’est structurant pour un pays et pour un Etat de savoir où il va et surtout que ses engagements sont pris dans la durée. C’est aussi pour qu’on puisse être un peu redevables de ce qu’on propose et qu’on ne tire pas des plans sur la comète. Quand vous êtes sur une perspective à 10 ans avec par exemple un mandat de trois ans, vous intégrez le fait que ce sont les autres qui devront la terminer.
Quand on a un gouvernement avec un team qui n’est pas de la même obédience, présenter un même projet pour le pays impose de trouver des dénominateurs communs pour que la coalition puisse fonctionner.
C’est important de rappeler que depuis l’ancienne mandature, les partis de la coalition ont commencé à prendre des groupes considérés comme relativement homogènes. Du coup, il a manqué des ponts de communication sur le plan économique, mais il fallait quand même un peu de transversalité dans la gouvernance. C’est ce volet-là qui a manqué. Quand vous avez des ministères dits forts et qu’il y a quelqu’un qui pose des sujets transverses, il faut structurer le tout à l’aide d’outils de pilotage. Cela a été difficile parce qu’il nous a manqué quelqu’un ayant la capacité de jouer le rôle de chef d’orchestre. 

En 2017, après qu’un discours royal a épinglé l’Administration, le gouvernement a décidé de mettre en place une commission interministérielle dédiée à la convergence des politiques publiques. Or, cet organe n’a toujours pas vu le jour. Que fait la chefferie du gouvernement si on a besoin de créer une autre structure?
Z.F: En fait, il a été décidé de mettre cette structure au niveau de la Primature qui est justement censée organiser le pilotage des différentes politiques gouvernementales. L’idée derrière, à mon avis, c’est que la commission aura notamment pour rôle de veiller sur l’opérationnalité. On aurait pu se contenter de dire que le Chef du gouvernement va coordonner, mais on a mis en place à l’aide d’un texte un ensemble d’instruments qui n’existaient pas auparavant et qui doivent maintenant être déployés.

M. Chiguer, vous avez relevé l’abandon par le Maroc du plan. Le dernier en date était celui du gouvernement de l’Alternance qui s’est achevé en 2005…
M.C: En principe, le dernier plan au vrai sens du terme dans le cadre logique suivi par l’Etat marocain, date de la fin des années 1970. C’est ce qu’on a appelé le “plan de pause”. Il y avait une crise au niveau des finances publiques et on s’est demandé comment la régler. Le roi Hassan II avait décidé d’opter pour un plan de 2 ans pour réfléchir et débattre des solutions à adopter. Mais par la suite, la logique de la planification a été complètement abandonnée. C’est tout à fait normal. A partir de 1993, on suit le libéralisme au sens des institutions financières internationales, la planification n’a plus aucun sens à ce moment-là.

Pourtant, le gouvernement de l’Alternance a mis en application le plan quinquennal 2000-2005, poursuivi par le gouvernement Jettou. Depuis cette date, on n’a eu que des politiques sectorielles, sans prise en compte de l’aspect social. Ces stratégies ont-elles été homogènes et ont-elles eu un réel impact socio-économique?
M.C: Il y a un problème lorsqu’on discute de la situation marocaine: on se base sur les outils d’un pays capitaliste développé, mais ce n’est pas le cas. Le gouvernement, que ce soit avant 2011 ou aujourd’hui, se contente d’exécuter. On peut lui reprocher la manière, mais on ne peut pas lui reprocher les objectifs et la stratégie. Ce n’est pas son affaire, il faut être très clairs là-dessus. Vous avez parlé de la commission interministérielle: que va faire El Othmani avec cette commission? Peut-il imposer ce qu’il veut alors que des ministres sont beaucoup plus forts que lui par exemple? Il y a un problème de fond, plus au niveau institutionnel qu’au niveau de la gouvernance, qui fait qu’au Maroc il est très difficile d’avoir une vision. Est-ce que le gouvernement a une vision et est-ce qu’on a une stratégie globale? Non.

Est-ce qu’il a décidé du service militaire? Est-ce qu’il a décidé de revoir le modèle économique? Quelques mois avant le discours royal appelant à réviser notre modèle, le ministre de l’Economie et des Finances avait parlé du modèle économique marocain comme d’un exemple qu’il faut suivre…
Il faut vraiment appréhender la Constitution de manière objective, en laissant de côté tout ce qui est idéologique et les arrières pensées, et regarder comment les choses se présentent. Pour moi, le gouvernement n’est pas responsable des orientations, il est responsable de la manière d’exécuter; et là, c’est un autre problème, notamment au niveau de la cohérence comme nous l’avons constaté ensemble.
Z.F: Prenons le dernier gouvernement, il y a eu une coalition qui est restée relativement homogène et plusieurs partis ont gardé leurs portefeuilles. On a eu une continuité. Ils ont une certaine latitude parce qu’ils ont été élus sur la base d’un projet d’au moins un mandat. On ne peut pas dire aujourd’hui qu’ils ne sont que dans l’exécution pure. Sinon, ce serait le cas dans tous les pays du monde. On a une démocratie, un ensemble d’institutions qui tiennent et quand on arrive aux commandes, on prend un ensemble d’engagements. Maintenant, tous les partis présentent aujourd’hui un projet d’une mandature avec des agrégats et des indicateurs pour pouvoir être dans la reddition. Le problème c’est qu’on n’a pas d’instruments qui permettent de plugger ce qu’ils disent  avec ce qu’ils font. Après, on se rappelle ce qu’ils ont fait quand on ressort le programme électoral un jour. Ce qui nous a manqué, c’est ce point.

Avant de revenir à la question du pilotage, pensez-vous que le Chef du gouvernement a les outils nécessaires?
M.C:
Je vous donne un exemple concernant la stratégie. Qui arrête la stratégie nationale de l’enseignement? Est-ce le ministère, est-ce le gouvernement? C’est plutôt le Conseil supérieur de l’Education nationale.
Si on n’est pas convaincu de cette stratégie, peut-on l’appliquer correctement? Si vous n’êtes pas engagé sur une stratégie, si elle vous a été imposée et qu’il vous faut tout simplement l’exécuter, on voit bien le problème… En principe, cette charte devait entrer en vigueur depuis 2015. Jusqu’à aujourd’hui, il y a des problèmes, comment expliquer cela? Je vous propose de voir, par exemple, l’interview d’Ismail Alaoui quand il était ministre de l’Education nationale dans le gouvernement El Youssoufi. Il avait fait une déclaration qui m’avait surpris: «J’ai passé deux ans à ne rien faire au ministère, car j’attendais qu’on me donne la charte (Charte Nationale d’Education et de Formation, octobre 1999, ndlr) qui était en train d’être élaborée ailleurs”. Il y a un problème de ce côté-là.
Z.F: C’est comme dans une entreprise. On ne peut pas dire aujourd’hui: je n’ai rien fait parce qu’effectivement, on ne m’a pas donné une note ou une charte. Celle-ci a été portée par l’ensemble, cela veut dire qu’elle est censée être supportée par un collectif.

M. Chiguer, vous dites que le salut n’est pas au niveau économique, mais plutôt au niveau institutionnel…
Il faut responsabiliser le gouvernement dans ce qu’il fait.

… donc, à votre avis, la révision du mode de scrutin est un préalable pour avoir une homogénéité de la coalition gouvernementale?
M.C:
Il faut appliquer correctement la Constitution et la décliner de manière positive pour clarifier les pouvoirs et les responsabilités. Pour revenir à ce que disait Zakaria Fahim, même au niveau de l’entreprise, lorsque vous faites une stratégie, il faut que tout le monde la partage. S’il y a parmi les responsables ou même ceux qui vont exécuter des gens qui ne partagent pas la stratégie, on ne va pas atteindre les objectifs escomptés. Je crois que nous sommes face à ce problème-là.

Le contrat propre au service public n’est pas fondé sur des paramètres de rendement financier. Pour vous, la finalité des politiques publiques ne peut pas être remplacée par des considérations de gestion et il faut par ailleurs recentrer le pilotage des agences. C’est bien ça?
M.C: Prenez le cas du social, quel est le vrai problème du social?  Si on prend en considération l’effort en termes d’enveloppe, il reste quand même très important. Si on se réfère aux résultats, on s’aperçoit que ces derniers ne sont pas-là. Pourquoi? Parce qu’il y a une multitude d’intervenants, il n’y a pas une vision, il n’y a pas un encadrement, il n’y a pas une coordination. Dit autrement, chacun travaille de son côté. Dans la même veine, un autre exemple de problème institutionnel: à aucun moment le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, quand il a fait la présentation du PLF pendant une heure, n’a fait référence au programme gouvernemental. Il y a des orientations stratégiques, il y a un programme du gouvernement qu’il fallait au moins actualiser pour éviter cette vision un peu hybride.
Z.F: Lorsqu’il y a un discours qui vient recentrer et rappeler les engagements, on considère que puisque c’est là-haut que cela a été synthétisé, ce n’est pas la peine d’y revenir. Sauf que normalement, le budget sur trois ans (imposé par la loi organique de la loi de finances ou LOLF, ndlr) les oblige à se référer au programme. Le vrai problème, c’est qu’on a fait des avancées importantes comme l’open budget  – personnellement, quand je regarde aujourd’hui, personnes ne le consulte –, des choses extraordinaires, mais qui ne sont pas remarquées par le grand public. Le citoyen, quand il va commencer à voir qu’il y a des instruments comme l’open budget, va se dire: on est dans un pays qui a évolué. Mais l’information, c’est le rôle de la presse.

M.C:, Mais sur cette question, on ne peut pas parler de budget parce qu’en fin de compte, on n’a pas les fondations. C’est le rôle de la stratégie. Or, est-ce qu’il y a une stratégie globale? Est-ce qu’il y a une vision?
Z.F: Aujourd’hui, le problème qui existe, vous l’avez dit quelque part en filigrane, c’est comment avoir quelqu’un qui a la légitimité de dire: je siffle la fin de la partie quand il le faut. C’est là, effectivement, qu’on s’aperçoit qu’avoir beaucoup de partis pose problème. Il y a beaucoup de pays qui ont le même mode de scrutin que nous et qui s’en sortent. Parce que les acteurs politiques, quand ils s’engagent, se mettent d’accord sur un projet  et le mènent à bout en disant: c’est notre projet. Chez nous, on dit oui, mais chacun regarde l’autre en chiens de faïence.
M.C: Pour conforter votre position, prenez l’exemple de Meiji au Japon. Ils ont opté pour le slogan «Un Etat fort, un pays riche» et qu’importe le gouvernement, de quelque sensibilité qu’il soit, il allait toujours dans la même direction. Déjà, il y a une vision. Avec ce préalable, tout le monde peut travailler.
On n’arrête pas de parler d’un Maroc émergent. Ce terme me pose problème. Si l’on prend le rapport de la Banque mondiale «Le Maroc à l’horizon 2040», qu’est-ce qu’il nous propose? L’institution internationale nous dit: votre modèle économique ne marche plus, il s’est essoufflé, il est préférable de le changer et vous n’avez pas d’autre choix que de suivre nos recommandations sinon vous allez encore avoir des problèmes. Dans ce sens, qu’est-ce qu’ils proposent? Ils ont dit au Maroc en 2015 que son produit par habitant représentait 22% du PIB par habitant d’un pays du Sud. Si vous acceptez, et c’est le seul salut que vous avez, en 2040 vous aurez un PIB par habitant qui représentera 45% de la moyenne des pays du Sud. Est-ce que c’est cela l’émergence?

Z.F: Les concessions faites par des pays du Sud devant les recommandations du FMI ont montré, aujourd’hui, leur efficacité. Regardez des pays comme le Rwanda. Comment peut-on accepter que des pays comme l’Ethiopie et le Rwanda puissent aujourd’hui se targuer d’avoir un vrai projet de société alors que…
M.C: Exactement.
Z.F: Mais, c’est un peu ce que j’appelle «la stratégie du Colibri» (devant l’incendie de la forêt, cet oiseau minuscule va recueillir dans son bec de l’eau pour l’éteindre. Face aux autres animaux qui ne font rien et qui lui disent que cela ne sert à rien, il répond: «Je sais, mais je fais ma part», ndlr). Qu’est-ce que chacun d’entre nous pourrait faire?
Depuis que les nouveaux riches d’aujourd’hui – tous les gens que je regarde autour de moi veulent que leurs enfants parlent français et disent «les Français nous aiment bien» – ont oublié qu’ils étaient d’anciens pauvres. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre, et ils oublient que ce n’est pas comme ça qu’on construit un projet de société. Le vrai problème, c’est qu’on a fait des choix inutiles sur l’éducation: on a arabisé à 100% au lieu d’opter pour un bilinguisme intelligent. On a perdu 20 ans.
Dernièrement, j’étais au Rwanda. Ce pays ferme les écoles privées et revient aux écoles publiques. L’élite revient dans les écoles publiques. Pourquoi? Parce qu’ils ont mis de la compétence, parce qu’ils ont mis de l’argent. S’ils l’ont fait, pourquoi pas nous? Il faut qu’il y ait un projet, que les gens de là-haut donnent la trajectoire, mais je ne peux pas accepter [que les responsables gouvernementaux] disent qu’ils ne sont pas responsables de la stratégie et donc qu’ils ne peuvent pas… Mais en rentrant, vous avez accepté les règles du jeu!

M.C: Moi, je me pose une question: est-ce que les règles sont claires sur le plan institutionnel?

On a déjà le programme gouvernemental qui cadre la planification quinquennale, mais les lois de finances ne traduisent pas ce programme. A-t-on adopté cette LOLF et ses déclinaisons triennales parce qu’on a pris conscience de l’importance du pilotage par les résultats ou a-t-on tout simplement suivi le modèle français?
M.C: Laissons de côté cet aspect institutionnel et penchons-nous sur le volet économique. On parle aujourd’hui d’un nouveau modèle. Quel est le modèle qui est en train de s’essouffler? Quel est le modèle qu’on doit remplacer? Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a osé définir le modèle qui a été suivi par le Maroc et qu’on doit changer. Est-ce le modèle qui constitue la référence des politiques publiques depuis 1993 ou le modèle qui a créé de la richesse? Aujourd’hui, si on suit la politique publique depuis 1993, c’est la demande externe qui devrait en principe être un des moteurs de la croissance (plutôt que la demande interne, ndlr). Par ailleurs, nous avons signé 54 accords de libre-échange dans ce sens-là, et nous sommes déficitaires sur 53! Lorsque je prends l’investissement direct étranger, c’était pour le Maroc un autre levier de la croissance. Bien sûr, l’Etat devait créer les conditions. Parmi celles-ci, ce qui est en train de se faire au niveau des investissements dans l’infrastructure et les améliorations que nous avons constatées depuis 2000. Mais en fait, l’économie marocaine et l’entreprise marocaine créent de la valeur grâce à la demande interne. Compte tenu du discours dominant pour ne pas dire officiel, la question que je me pose est: pourquoi personne ne commence par définir le modèle qu’on doit changer? Parce qu’il y a une contradiction entre le modèle de référence de la politique publique et le modèle de l’entreprise qui crée de la richesse. Est-ce qu’il faut changer le modèle qui est en train de créer de la richesse à travers la demande interne et l’investissement public ou est-ce qu’il faut revoir le modèle de référence des politiques publiques?
Z.F: Quand on compare entre ce qui se dit et ce qui se fait, pour moi, le projet est très clair. Maintenant, on a le sentiment qu’il y a plusieurs équipes qui jouent, alors que le terrain ne peut supporter qu’une seule équipe. Il y a un problème. C’est pourquoi j’en reviens à cette capacité aujourd’hui du chef d’orchestre de mettre les gens en mouvement, de mettre les gens au travail et de dire: la trajectoire c’est moi qui la donne. Et donc, c’est tout le mal qu’on peut souhaiter aujourd’hui sans qu’il y ait toujours l’arbitrage de Sa Majesté. Il faut assumer qu’on a tout ce qu’il faut. Maintenant effectivement, au lieu que chacun reste dans son petit périmètre en disant: ça je maîtrise, le reste je ne maîtrise pas, les gens doivent travailler ensemble et ils doivent êtes tenus de le faire. Le problème c’est qu’on met des digues et on dit: ça, si je le fais bien, le reste je m’en fous, alors que tu ne peux pas faire bien si l’autre ne fait pas bien. Ils oublient que c’est une approche systémique et globale.
Après, effectivement, bien que les choses soient parfois tellement évidentes, les gens n’écoutent pas parce qu’ils se disent: «Tous ceux qui ont voulu sortir un peu du cadre ont payé pour ça».

Il y a un télescopage entre 3 stratégies sectorielles: la stratégie logistique (plateformes), Halieutis (agropoles) et le plan d’accélération industrielle (plateformes industrielles intégrées P2I). Comment expliquer cette déperdition voire ce gaspillage d’énergie?

Les débatteurs
Mohamed Chiguer (M.C): Président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB) et précédemment directeur des études et du contrôle de gestion à la CDG, il est professeur universitaire et auteur de plusieurs livres et romans, dont «Philosophie, Science et Economie; éléments d’analyses du modèle civilisationnel occidental».
Zakaria Fahim (Z.F): Directeur associé du cabinet BDO, président et fondateur de Hub Africa, la plateforme des entrepreneurs et investisseurs en Afrique, il est expert-comptable et commissaire aux comptes, par ailleurs diplômé de l’IAE de Poitiers et professeur à l’Institut marocain des administrateurs.
Z.F: L’avantage, c’est qu’on se trouve à 12 kilomètres de l’Europe et on est la porte de l’Afrique. Quand on veut se donner un mal de crâne, on monte là-haut et quand on veut se rassurer, on descend. Donc, il faut à un moment donné se dire que le Maroc avance. Le vrai sujet, c’est qu’il n’avance pas pour tout le monde et il n’avance pas à la vitesse méritée. C’est le vrai challenge. Et ça nous fait perdre des talents. Regardez le nombre d’ingénieurs qui sont aujourd’hui recrutés par tonne à l’étranger? Pourquoi ces jeunes partent-ils? Ils ne partent pas uniquement pour le salaire. Ils se disent: «Pour nos enfants…» Donc, on revient au volet global: est-ce qu’on est capable de donner une bonne éducation, de l’infrastructure, de la sécurité face à la petite délinquance? Parce que le Maroc, on dit qu’il est safe, ce qui est bien. Oui, mais…

Sans sécurité judiciaire, ni quiétude ni confiance dans l’institution judiciaire, impossible de garantir un Etat de droit. Cela pousse plus de gens, y compris des classes moyennes supérieures à l’aise économiquement, à la migration…
M.C: Le Maroc avance! Le Maroc évolue, mais ne progresse pas. Il faut être clair à ce niveau. Les problèmes et les défis d’aujourd’hui sont des défis du 19e siècle pour le royaume. Certes, il a évolué, ce n’est plus le Maroc de 1956, mais il n’a pas progressé, il ne s’est pas développé.
Dans les meilleures conditions avec les options qu’il a choisies, qu’il est en train de mettre en application, il va mettre à niveau son sous-développement.
Z.F: Vous êtes dur dans votre analyse.
M.C: Je ne suis pas dur. Je reviens au rapport de la Banque mondiale «Le Maroc en 2040» qui dit que le Maroc restera un pays sous-développé. La mise à niveau de son sous-développement, qu’est-ce que ça veut dire? Notre développement correspond au développement des autres pays qui consomment de la technologie et autres. Qu’est-ce qu’on va constater? Actuellement, il y a des pays industrialisés, des pays capitalistes développés, et il y a un autre bloc de pays – je n’aime pas le terme émergence – qui sont en train de s’industrialiser. Parce que le problème est à ce niveau-là. C’est la première étape pour des pays comme la Chine et l’Inde, qui doivent s’industrialiser avant tout, pour passer dans la société du savoir. Et puis, il y a les pays qui constituent le bloc sous-développé, qu’on peut diviser en deux sous-catégories: les pays de première génération de sous-développement et les pays de deuxième génération qui évoluent pour tout simplement rester un marché ouvert, pour consommer les nouvelles technologies issues de la société du savoir.
En ce qui nous concerne, nous ne produisons pas, nous ne sommes pas un pays industrialisé. Nous ne nous industrialisons pas. Qu’est-ce que c’est l’industrialisation? Ce n’est pas le fait d’avoir des industries, ce n’est pas le fait d’avoir Renault. L’industrialisation est un processus qui commence par l’école de la qualité. Et quand je dis une école de qualité, je parle de l’école primaire. Je ne parle pas de la crème, des fameux 30%. Car, il y a toujours ces 30% qui arrivent à émerger.
A côté de cette école de qualité, il faut un secteur recherche & développement très soutenu et très développé. C’est à ce moment-là qu’on peut développer une industrie au vrai sens du terme. Le tissu industriel marocain est dans l’attentisme, l’entrepreneur marocain est dans une situation d’attente, il n’arrive pas à savoir ce qu’il doit faire.
Pour être beaucoup plus clair, l’homme n’est pas au cœur de la politique économique du pays. Le Maroc n’a toujours pas, jusqu’à aujourd’hui, trouvé la formule pour prendre en considération les équilibres macro-économiques en même temps que les équilibres sociétaux et sociaux.