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Innov Invest, la bouffée d’oxygène

Entreprises octobre 2018

Innov Invest, la bouffée d’oxygène

Lancé en fanfare en décembre 2017, le fonds de la CCG compte déjà quelques petites pépites qui feront parler d’elles. Tour d’horizon de la première promo.

Le nouveau fonds dédié aux startups lancé par la CCG, Innov Invest, est considéré comme une véritable aubaine pour les startups marocaines. Doté d’une enveloppe de 700 millions de dirhams, il est décliné en plusieurs programmes visant à financer tous les maillons de la vie d’une startup, en particulier au stade du pré-amorçage, phase la plus critique dans la survie de tout projet. Innov Idea et Innov Start, les deux programmes dédiés au pré-amorçage, viennent ainsi appuyer et compléter une offre trop rare, portée par quelques structures indépendantes et souvent à but non lucratif. Deux exemples illustrent cet état de fait, Réseau Entreprendre Maroc et LaFactory.

Institution créée en 2005, Réseau Entreprendre Maroc (REM) a trouvé avec le fonds un nouveau souffle. Non seulement elle a pu hisser le seuil de son prêt d’honneur de 100.000 à 500.000 dirhams dans le cadre d’Innov Start, mais elle a également ajouté les subventions à sa palette de financement dans le cadre d’Innov Idea. Quant à LaFactory, fondée par Mehdi Alaoui courant 2017, elle s’est adaptée en moins de 4 mois aux exigences d’Innov Invest. La jeune structure connaît à présent une affluence bien plus importante grâce à la campagne de communication de la CCG.

La labellisation

«Le lancement du fonds a créé une effervescence. Une fois labellisée, LaFactory a reçu énormément de demandes d’accompagnement. «L’avantage que nous avons avec la CCG, c’est que chaque structure labellisée est libre d’implémenter le programme à sa manière», explique Mehdi Alaoui, fondateur et président de LaFactory. Même enthousiasme du côté de REM: «La labellisation de Réseau Entreprendre Maroc, comme structure d’accompagnement de projets innovants dans le cadre du programme Innov Invest lancé par la CCG, nous a permis d’étoffer le programme d’accompagnement et de financement en mettant en place une offre spécifique aux porteurs de projets innovants. Et par conséquent de donner la chance à tout entrepreneur porteur d’une idée ou d’un projet innovant de pouvoir bénéficier de notre offre d’accompagnement», précise Meryam Zouhri, directrice générale de Réseau Entreprendre Maroc.

Le programme mis en place par la CCG présente un autre avantage non négligeable. Il crée une véritable chaîne de financement au profit des startups et des porteurs de projets, depuis le stade de l’idée jusqu’à la croissance. «Un porteur de projet qui a bénéficié de la subvention Innov Idea peut par la suite postuler pour le prêt d’honneur Innov Start et ensuite s’adresser aux fonds d’amorçage Equity quand le projet est plus mature», poursuit Zouhri.

Une croissance freinée

Le démarrage des programmes datant de fin 2017, les lauréats sont pour l’heure peu nombreux. Chez Réseau Entreprendre Maroc, 4 startups/entrepreneurs ont profité dans le cadre d’Innov Start d’un financement total de 1 million de dirhams. Du côté de LaFactory, ils sont 2 à avoir bénéficié dans le cadre d’Innov Idea d’un financement totalisant 400.000 dirhams.

Modestes, ces chiffres devraient facilement grimper. Réseau Entreprendre Maroc a déjà déniché 4 startups éligibles à Innov Start et 3 autres respectant les conditions pour Innov Idea. Chez LaFactory, on table sur 14 startups à financer, dont 8 sont déjà dans le processus et 6 en attente du dépôt de leur dossier auprès de la CCG… compte tenu du fait que le fonds limite le nombre de financements à octroyer par un organisme labellisé à 10 start-ups par programme et par an. Un nombre jugé faible compte tenu du nombre de structures actuellement labellisées: seulement 6.

De quoi refroidir (pour le moment) les scénarios les plus ambitieux des partisans de la Startup nation, puisque le fonds ne financera chaque année par programme que 60 start-ups en pré-amorçage, pour des montants maximums de 12 millions de dirhams (Innov Idea) et de 30 millions de dirhams (Innov Start). «Ce n’est rien comparé à l’enveloppe globale de la CCG, qui est de 500 à 700 millions de dirhams, sachant que le gros est passé chez les capital-investisseurs… qui ne disposent pas encore du deal flow créé par les structures d’accompagnement. Nous aimerions que le nombre de startups soit un peu plus large. Si nous avons trouvé 16 startups dont les dossiers sont validés et sont accompagnés, nous aimerions que la CCG fasse encore un effort et octroie plus de tickets que prévu», précise Mehdi Alaoui. 

Aide au démarrage

Avec une subvention pouvant atteindre 200.000 dirhams, Innov Idea aide les jeunes dont le projet n’est qu’au stade d’idée mais aussi ceux qui viennent de créer leurs entreprises, à démontrer le potentiel et la faisabilité du projet basé sur une idée innovante (nouveau produit, nouveau process, mise en exploitation de brevets acquis et non commercialisés initialement, adaptation d’une technologie innovante au marché marocain…). L’aide financière ainsi accordée permet de couvrir les divers frais que les porteurs du projet ont pu engager pour la matérialisation dudit projet, notamment les frais liés à la souscription d’une assurance, les frais de déplacements, de communication, d’abonnement à des bases de données ou encore de location, d’assistance, de formation… Quant à Innov Start, il s’agit d’un prêt d’honneur pouvant aller jusqu’à 500.000 dirhams s’il est destiné également à valider le potentiel du projet, et qui permet de financer essentiellement les dépenses liées au prototypage et aux tests, la location et la mise à disposition de facilités techniques, de laboratoires, de serveurs entre autres, les sondages et études de marché, l’élaboration de la stratégie, du business model et du business plan. En plus des financements, les porteurs de projets profitent d’un accompagnement individuel par des chefs d’entreprises pendant 3 ans. L’objectif des deux programmes est d’accompagner les entrepreneurs dont les projets sont encore au stade embryonnaire ou en pré-amorçage.

Des conditions contraignantes

Indéniablement, cela peut constituer un véritable coup de pouce pour les jeunes entrepreneurs qui peinent à trouver des fonds pour démarrer leur startup. Selon un habitué des questions de financement de startup, le dispositif pourrait être amendé pour mieux correspondre aux attentes de la population cible. Par exemple, Innov Idea ne permet pas, dans le cadre des startups technologiques, de couvrir la charge du développement de la solution quand c’est le fondateur qui la produit mais uniquement s’il a recours à un prestataire externe. De même, à l’image des autres programmes d’appui aux startups, les fonds sont versés aux porteurs de projets de manière fractionnée (par tranche de 30%, 40%, 30%) et le versement de la tranche suivante est conditionné à l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs ainsi qu’au strict respect d’une liste de dépenses fixée au préalable. L’approche de la CCG, censée sécuriser l’usage des fonds qui sont versés sur les comptes personnels des porteurs des projets, peut aussi freiner leur rythme de développement.

Hors de l’écosystème IT, des porteurs de projets éligibles

C’est le cas notamment de la startup Oumniyati Entreprendre, lauréate du programme Innov Start. La jeune pousse, qui est spécialisée dans la fabrication de fours et cheminées économiques et écologiques, a démarré à la suite d’une étude réalisée par son fondateur en 2015. A l’époque, encore étudiant, le jeune Rachid Essanousy s’intéressait au phénomène des femmes de la région d’Aghbala (aux alentours de Beni Mellal) qui sortent chaque jour durant l’hiver à la recherche de bois de chauffage et reviennent avec sur leur dos des charges de 50 kg… qui se consomment en une journée. Son idée: trouver un moyen de réduire la consommation des cheminées. Il réussit à développer un modèle de cheminée qui consomme 50 kg de bois en deux jours, soit une économie de 50% sur la quantité habituelle, et qui permette un chauffage sans émanations de CO2 adapté aussi bien à la cuisson qu’au chauffage d’eau. Une cheminée qui au passage exploite aussi la chaleur pour produire de l’électricité. «Désormais, avec les économies réalisées, les femmes ne sortent de leurs foyers qu’une fois tous les deux jours», se réjouit Essanousy.

Sur sa lancée, il développe aussi un four à gaz qui réalise une économie de 60% de consommation tout en préservant la même qualité de cuisson que les fours traditionnels. Son modèle est intelligemment équipé d’un système de détection du niveau de consommation et des fuites, permettant d’arrêter le four automatiquement. En cas de problème, l’usager est avisé par SMS ou reçoit un appel. Si pour l’heure, seul le four est breveté (la cheminée est en cours de l’être), une fois son projet validé, il a participé avec ses deux idées en mai 2017 à la 5e édition des Journées Entrepreneuriales et d’Innovation, organisées par sa Faculté polydisciplinaire de Béni Mellal.

Coup de chance ou hasard heureux, cette 5e édition se tenait sous le thème de la COP22. Rachid Essanousy finit premier parmi 30 autres porteurs de projets inscrits à la compétition. Encouragé par un membre du jury – par ailleurs président de la branche marrakchie de Réseau Entreprendre Maroc – et grâce à ses proches, amis et professeurs, il parvient à réunir quelque 120.000 DH pour démarrer l’activité. Il crée la société et aménage un atelier dès le mois de décembre 2017, puis démarre la production trois mois après et commercialise une quarantaine de fours en trois autres mois. La production est arrêtée en juin faute de fonds de roulement pour faire tourner les machines. Il faut dire aussi que l’atelier emploie une dizaine de personnes permettant de commercialiser jusqu’à 70 fours par mois.

La première tranche qui vient d’être décrochée par le jeune entrepreneur devra servir à couvrir les frais de publication, d’aménagement, d’enregistrement de la marque et éventuellement du brevet. Une fois cette étape franchie, une deuxième tranche pourra être débloquée. Celle-ci sera consacrée à l’achat de machines pour muscler les capacités de l’atelier. Pour obtenir le fonds de roulement dont Oumniyati a besoin, il faudra attendre la troisième tranche. Bien que déçu par les contretemps financiers, Essanousy insiste: «Ce sont des problèmes habituels pour tout démarrage».

La tech mieux lotie

D’autres entrepreneurs ont été plus heureux. Pour Mehdi Bourragat (natif de Marrakech, éditeur de manuels scolaires orientés vers l’enseignement de l’informatique de manière novatrice et axée sur l’autonomisation de l’élève avec Al Maarij Edition) ou encore Suheyl Benhamou (fondateur de Caronae Systems, qui a lancé la première technologie de dépôt de chèque via smartphone), le processus de financement a été plutôt fluide. Combinant ses propres compétences et l’expertise de son père (enseignant et auteur de plusieurs manuels scolaires), Mehdi Bourragat élabore un manuel d’enseignement de l’informatique pour le primaire, baptisé Pixel informatique, que complètent une plateforme et deux applications. La jeune startup compte déjà quelques clients parmi les écoles privées. La préparation de l’outil pédagogique a commencé dès le début de l’année 2016 avec un capital de 400.000 dirhams. La commercialisation n’a pu commencer que durant l’été 2017. «Depuis, nous avons de bons retours, notamment des professeurs», indique-t-il. Encore à ses balbutiements (12.000 exemplaires vendus la première année), la startup prévoit de vendre 16.000 exemplaires en cette rentrée et 100.000 exemplaires dans 3 à 4 ans. Le jeune entrepreneur, qui a également profité d’Innov Start, a déjà touché la première tranche qui lui a servi à acquérir du matériel, et profité de l’accompagnement d’un mentor. Il s’est même vu proposer de traduire ses manuels en anglais pour le marché US. Quant à Suheyl Benhamou, qui n’en est pas à son coup d’essai – lauréat d’Al Akhawayn University, c’est un serial entrepreneur depuis l’âge de 17 ans – il a lancé avec un ami Caronae Systems, une startup spécialisée dans le développement de jeux. Après leur participation au hackathon lancé par le CIH, les deux entrepreneurs décident de basculer vers une activité différente, de type fintech, et lancent la première technologie de dépôt de chèque via smartphone. Leur startup a levé auprès de la CCG 182.500 dirhams, pile le montant des fonds dont elle a besoin. Un montant quasi entièrement utilisé par Caronae Systems, qui est entrée dans la 3e tranche et a réalisé une levée de fonds le mois dernier. «Nous comptons dans le tour de table un nouvel investisseur. Nous avons déjà un premier client et nous en prospectons d’autres», explique Benhamou. Le jeune homme ne cache pas sa volonté par contre de recourir à d’autres programmes d’Innov Invest, notamment de capital investisseur, afin de se déployer dans d’autres pays.