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Faut-il rendre l’université publique «payante»?

Dossier août 2018

Faut-il rendre l’université publique «payante»?

Le débat autour de la réforme de l’enseignement supérieur est plus que jamais d’actualité. Le secteur ne parvient pas à se trouver une stratégie d’efficience. Pour les professionnels du secteur, l’urgence consiste à revisiter la loi 01.00 qui régit entre autres le fonctionnement des universités. Quel serait le meilleur modèle de gouvernance pour les universités au Maroc? Pour quelles missions et quels rôles? Qu’en est-il des ressources de financement et quid du mode de gestion? Autant de questions auxquelles répond le Dossier d’EE.

L’enseignement supérieur souffre de plusieurs maux, notamment en termes de gouvernance, de financement et de ressources humaines. Des défis à prendre très au sérieux.

La réforme de l’enseignement supérieur au Maroc ne cesse de faire couler de l’encre. Ceci ne se limite pas au niveau national. De fait, les rapports établis par les ONG internationales, dont précisément celui de la Banque Mondiale, n’ont pas manqué de dresser un tableau noir de l’état de l’enseignement supérieur dans le Royaume en le plaçant aux derniers rangs. Tout le monde s’accorde à dire que la situation actuelle a atteint un degré de gravité inquiétant, d’où la nécessité et l’urgence d’adopter des mesures susceptibles de mettre à niveau le secteur, dont le budget frôle le 1% du PIB. Suffisant? Insuffisant? La question se pose avec acuité.
Souvent, lorsque les observateurs du secteur veulent établir un état des lieux, ces derniers ont tendance à se focaliser sur deux aspects de l’enseignement supérieur: le corps enseignant et l’offre pédagogique. Le premier est souvent accusé de négligence voire même d’incompétence et le second est pointé du doigt comme étant non adapté aux besoins du marché de l’emploi. Ainsi, on néglige mécaniquement les vraies raisons de ce fiasco national. Car si l’enseignement supérieur souffre d’inertie, c’est parce que les moyens qui lui sont attribués ne sont pas en adéquation avec les objectifs qui lui ont été assignés. Il est clair qu’on ne peut demander à nos universités de démocratiser l’enseignement et d’en faire bénéficier tout le monde sans leur fournir les moyens nécessaires pour être à la hauteur des objectifs. Et c’est là naturellement l’origine de tous les maux. Selon les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le cycle d’enseignement supérieur compte quelque 895.715 étudiants, dont 47.890 dans le privé. Une panoplie de chantiers a été entamée par le ministère de tutelle pour mettre fin aux multiples maux qui plombent le secteur depuis plusieurs années.

Les maux
Il y a d’abord le manque de moyens financiers. Cette contrainte majeure restera insurmontable si le secteur compte exclusivement sur le budget de l’Etat. Il y a également le problème des ressources humaines de qualité que le système ne peut absorber faute de crédits budgétaires supplémentaires. La problématique de la qualification du personnel enseignant oppose également un obstacle à la mise à niveau du secteur. Celle-ci est inscrite à l’ordre du jour du projet de grande ampleur lancé récemment par le ministère et qui concerne la formation des enseignants. Dans ce sens, Khalid Samadi, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avoue: «Je ne peux pas nier que des dysfonctionnements persistent et ce n’est qu’en persévérant dans la volonté de réformer le secteur en profondeur que nous pourrons les éradiquer». En effet, on ne peut pas parler des insuffisances dont souffre l’université sans évoquer son autonomie qui demande à être renforcée dans le cadre d’un système global de bonne gouvernance «où le maitre mot sera la contractualisation entre le ministère et les universités en vertu d’un cahier des charges fixant clairement les droits et obligations de chacun, le tout appuyé par un système solide d’évaluation», martèle le secrétaire d’Etat.

A la recherche d’efficience
Ainsi, la gouvernance est citée en tête des défis à relever par la tutelle. Ce gros dossier passe avant tout par le renforcement de l’indépendance des universités à l’instar des modèles internationaux. Comment? Il s’agit d’institutionnaliser l’auto-évaluation annuelle des universités, le bilan d’étape tous les deux ans ainsi que l’évaluation externe tous les quatre ans. Ces principes devront être inscrits dans la loi, selon le ministère de tutelle. «L’université ne doit plus être un établissement public à caractère administratif. Il faut changer son statut pour qu’elle soit productive», avait souligné le ministre Said Amzazi à la presse marocaine. Ce dernier propose plutôt un contrôle d’accompagnement. Même le modèle de gestion doit être révisé. Actuellement, les universités sont administrées par un conseil qui peut parfois atteindre jusqu’à 100 membres. Ce qui complique les prises de décision. Quant au conseil de gestion, dont les membres sont limités, il n’a aucun pouvoir décisionnel. À cela s’ajoute une autre aberration: l’absence d’organigramme. Amzazi estime, par ailleurs, nécessaire de revoir le système de nomination des présidents d’universités et d’établissements en vue de créer une bonne synergie entre les deux entités. Il appelle aussi à permettre aux universités de créer des fondations partenariales pour dépasser bon nombre de contraintes.

Quid de la gouvernance ?
A noter que le système d’enseignement supérieur marocain est composé de trois grands secteurs: l’enseignement supérieur public, l’enseignement supérieur dans le cadre du partenariat public-privé et l’enseignement supérieur privé. Dominant, l’enseignement supérieur public regroupe notamment les universités. Le Royaume compte douze universités publiques et une université publique à gestion privée réparties sur les différentes régions du pays. Aux structures universitaires s’ajoutent également les établissements d’enseignement supérieur ne relevant pas des universités (EENSNPU). Il s’agit d’établissements d’enseignement supérieur placés sous la tutelle administrative et financière de ministères techniques et sous l’autorité pédagogique du ministère de l’Enseignement supérieur. Pour leur part, les universités et les établissements créés dans le cadre de partenariats sont des fondations à but non lucratif. Ces universités et établissements sont sous l’autorité pédagogique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres. De son côté, l’enseignement supérieur privé comporte des universités et établissements créés par des initiatives privées, mais sous l’autorité pédagogique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres. S’agissant de la gouvernance, elle est assumée par la Commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur (CNCES). Cette dernière est une instance de régulation créée par la loi 01-00 portant organisation de l’enseignement supérieur. Elle est chargée notamment de formuler un avis sur la création des universités et/ou de tout autre établissement d’enseignement supérieur public ou privé et de donner un avis sur les demandes d’accréditation des filières. D’autres organes interviennent en ce qui concerne la gouvernance. C’est le cas notamment du Conseil de coordination qui est une instance de régulation qui émet un avis consultatif sur toutes les questions d’ordre pédagogique et organisationnel intéressant les établissements d’enseignement supérieur ne relevant pas des universités.

Un personnel plus abondant et mieux formé
S’agissant des ressources humaines, il est aujourd’hui plus que primordial de mettre fin à la problématique du manque d’enseignants. Le dossier de la formation des enseignants et des recrutements est d’autant plus épineux dans les établissements à accès ouvert (les universités) qui accueillent plus de 80% des étudiants marocains. Le taux d’encadrement varie d’un établissement à l’autre. Car si dans les établissements à accès limité, on compte en moyenne un enseignant pour 19 étudiants, dans les universités, ce chiffre passe à 40 étudiants voire 200 selon la branche proposée dans chaque faculté. En 2019, les besoins en enseignants seront plus importants alors que l’expérience démontre que le nombre de postes budgétaires affectés à l’enseignement supérieur est resté très limité au cours des dernières années, ne dépassant pas les 700 postes par an. L’enjeu de la réforme entamée par l’Etat est donc énorme à tous les niveaux. L’objectif est donc de rehausser la qualité de l’enseignement supérieur notamment dans les universités (surtout les facultés de droit) qui souffrent d’une grande faiblesse de rendement tant interne qu’externe.