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Le Maroc manque d’oxygène

Point de vue juin 2018

Le Maroc manque d’oxygène

Le mouvement de boycott que traverse notre pays est un véritable séisme, un fléau inédit. Je dirais même que c’est une première mondiale avec des citoyens qui se mobilisent sur les réseaux sociaux pour dire non à la cherté de la vie.

Le décryptage de ce boycott nous informe que derrière cette «émeute virtuelle», il y a surtout des attaques frontales contre l’Etat et ses symboles, et contre ce modèle de développement qui a divisé la société en deux, malgré ses maintes promesses d’équité.
C’est donc ce libéralisme débridé, et qui n’a profité qu’à certains, qui est ciblé, d’où cet acharnement à la limite de l’obsession sur Aziz Akhannouch et Miriem Bensalah-Chaqroun. Tous les deux devenus très visibles sur la scène publique de par leur engagement, proches du pouvoir et en même temps richissimes.
La réaction de l’Etat à ce boycott est aussi inquiétante que le boycott lui-même. Les premières réactions à chaud étaient pour le moins choquantes, et ont confirmé que nos gouvernants sont gonflés à bloc par leurs fonctions, perdant le sens des réalités du terrain.
Fidèle aux préceptes de la Constitution, la posture politique de la Monarchie face à ce mouvement est aussi intéressante à observer. Alors même que ses symboles sont visés, le Palais est resté stoïque. Il faut savoir que le temps de référence de la Monarchie n’a rien à voir avec le temps économique et social.
Or, dans cette ambiance de transformation radicale de la société, le temps est à l’urgence. Et plus que jamais, le Maroc a besoin d’oxygène. Le pays traverse depuis 7 ans une crise économique profonde et aucune piste crédible de sortie de crise n’est évoquée. Bien au contraire, les multiples crises sociales que vit notre pays sont devenues un poids supplémentaire sur le moral du consommateur et de l’investisseur. Pour en sortir, les organismes internationaux recommandent une approche iconoclaste. Ils préconisent ce que l’économiste américain Milton Friedman appelait dans les années 70 «helicopter money». Concrètement, cette métaphore se traduit par des mesures pour soutenir le pouvoir d’achat et l’investissement en baissant notamment le poids de la fiscalité. En période de crise, il est préférable de financer la confiance afin de relancer l’économie, plutôt que d’investir dans du béton. Avec un niveau d’endettement soutenable, l’Etat a les moyens de financer cette relance.
L’oxygène proviendra aussi des signaux de gouvernance envoyés par l’Exécutif. Malgré toutes les réformes entreprises, l’Etat marocain demeure «patrimonialisé» et il y règne une extrême personnalisation du pouvoir. De là se pose la question du renouvellement des élites. On est dans un pays où on a l’impression que les hauts commis de l’Etat sont nommés à vie. Sinon comment expliquer que le patron du pôle audiovisuel reste en poste depuis bientôt 20 ans, ou bien que le directeur général de l’ONCF reste à la tête des cheminots depuis 15 ans. Ou faut-il attendre qu’un Larbi Bencheikh en poste à l’Ofppt pendant 17 ans commette une faute grave pour le licencier? Ce ne sont que deux cas parmi tant d’autres, mais mis un à côté de l’autre, cela donne une gouvernance à l’échelle d’un pays qui fatigue. Si la Constitution a changé en 2011, le non-renouvellement des élites peut laisser planer un doute sur la volonté réelle de sa mise en œuvre.
On sait qu’au Maroc le changement a la peau dure si l’on considère l’histoire du Makhzen et la composition élitaire de notre société. Mais le renouvellement de l’élite est une condition sine qua non pour que l’Etat puisse apporter des solutions fraîches à ces nouveaux problèmes. Et sans doute est-ce ce même renouvellement des élites qui enclenchera une dynamique de changement vertueuse à même de permettre à la Monarchie de traverser ce mur du son qui la sépare du nouveau monde.