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Ilyas El Omari,Secrétaire général du PAM

Interview juillet 2016

Ilyas El Omari,Secrétaire général du PAM

Confiant, entreprenant bien que parfois utopiste, Ilias El Omary n’a pas sa langue dans sa poche. Critique virulent du PJD, il considère que ce parti a eu tout faux, arguments à l’appui. Insaisissable, EE a quand même réussi à le «Choper»… dans un café !

Ça ne vous dérange pas de faire l’interview dans un café ?

Non vous savez, moi je suis habitué au bruit. Et vous ça vous dérange ?

Pas du tout. Commençons. Quel a été votre rôle réel dans l’accord avec les Chinois?
C’est pendant le sommet de Johannesburg sur l’investissement chinois en Afrique que j’y ai pensé: Le gouvernement chinois avait alors évoqué le chiffre de 60 milliards de dollars d’investissement dans le continent. Ils ont parlé de faire revivre la route de la soie maritime. Qui dit route de la soie, dit Ibn Battouta, donc Tanger, la ville du navigateur légendaire. C’est là que j’ai partagé l’idée d’impliquer la ville du détroit avec les officiels chinois. Lorsque j’ai reçu la visite du président de la commission des relations extérieures du parti communiste, je suis revenu à la charge menant un fort lobbying en faveur de ma région autour d’un projet que le gouvernement avait initialement prévu pour Safi. Les investisseurs ont été sensibles à mes arguments car le Président chinois était gouverneur de la province de Guangzhou où a longtemps séjourné Ibn Battouta. Du reste, Tanger a toujours été le premier choix des Chinois.

Donc, votre présence, lors du déplacement officiel du Roi, était le fait d’une invitation chinoise…
Exact, je ne faisais pas partie de la délégation qui a accompagné le Souverain. J’y suis allé sur invitation du parti communiste chinois avec qui j’étais en contact. Personne n’a payé pour moi, je n’ai accompagné personne.

Certains se sont inquiétés de la suppression des visas pour les Chinois et redoutent «l’invasion»…
Balivernes. Il est plus difficile pour un Chinois d’obtenir son passeport que d’avoir un deuxième enfant. Donc, ceux qui redoutent une invasion n’ont aucun souci à se faire.

Où se situe l’assiette foncière des 2.000 hectares de la convention signée avec le groupe chinois Haité?
Elle avoisine la maison Renault, à l’entrée de Tanger. 1.000 hectares sont déjà disponibles, le reste est en cours de mobilisation, notamment via des expropriations effectuées par le ministère des Finances dans le cadre d’un projet plus vaste.

Ces terrains font-ils partie de la zone franche?
Pas encore, mais ils le seront. Dans les faits, toute la province de Fahs Anjra est aujourd’hui considérée comme zone franche. Même si ce n’est pas encore acté par le découpage territorial. Le ministère des Finances est déjà en train de sécuriser 4.000 ha dans la région, au niveau des différentes communes rurales de la province.

Myriem Bensalah a fait une sortie très commentée, sur le modèle économique marocain peu créateur de croissance et donc d’emplois. Demain, si le PAM est aux manettes, comment y remédieriez-vous?
Il faudra aller chercher de la croissance à tout prix. Je sais que 1% d’augmentation du PIB résulte sur 33.000 emplois créés. A partir de là, il faut imaginer les stratégies nécessaires pour booster l’économie, qui se trouve actuellement dans une situation pour le moins délétère.

Délétère, comment?
Je juge l’économie en fonction des promesses électorales du PJD. Il y a de cela cinq ans. Benkirane a fait campagne pour un taux de croissance moyen de 7%. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, la croissance était de 4,5%. Aujourd’hui, les prévisions les plus optimistes pour 2016 donnent 1,9%. Sachant qu’il a eu une chance inouïe avec la baisse vertigineuse du prix du baril de pétrole, quatre ans de bonne pluviométrie, les 5 milliards de dollars provenant du CCG. Le taux de chômage au début du mandat était de 9%, ils ont promis 8%. Aujourd’hui, il est à 9,9%.

Si, en 2016, le PJD remporte les législatives et a besoin de vous pour former sa majorité…
Le PJD ne remportera jamais les élections en 2016. Les syndicats sont contre eux, les hommes d’affaires se plaignent, les associatifs n’en peuvent plus, les associations de lutte pour les droits de la femme regimbent, etc. Par conséquent, s’ils se sont mis à dos toutes les composantes de la société marocaine, je ne vois pas comment ils gagneraient. A moins qu’il existe un Maroc souterrain, invisible à l’œil nu. De plus, l’abaissement du seuil électoral à 3% dessert tous les grands partis, mais surtout le PJD, qui va automatiquement perdre dans les 22 sièges.

En parlant d’élections, le bruit court qu’en 2011, des instructions vous ont été données de ne pas dépasser 50 sièges au Parlement. Est-ce vrai?
Oui, c’est bien pour cela que nous avons plafonné à 47 députés. Sinon, nous aurions remporté les élections et formé le gouvernement avec 120 sièges.

Revenons au PJD, vous dites que sous un aucun prétexte vous ne pourriez nouer une alliance avec ce parti pour former un exécutif?
Jamais, je le dis une bonne fois pour toute, je ne m’allierai avec le PJD. Sauf, peut-être, en situation de guerre! Nous avons deux conceptions, deux projets antinomiques.

Vous vous voyez déjà chef du gouvernement?
Je n’ai jamais voulu être chef de quoi que ce ne soit, même pas d’une association locale. Soit dit en passant, je voulais me retirer de la politique en 2011. C’est une promesse que j’avais faite à ma femme. Mais en constatant la montée en puissance des islamistes, il me fallait riposter. Aujourd’hui, si j’ai le choix, je préfère me contenter d’assumer le poste de secrétaire général du parti, même si on remporte les élections. D’ailleurs, nous avons déposé un projet de loi interdisant le cumul des postes de secrétaire général de parti et chef du gouvernement pour éviter les confusions entre les positions du chef du gouvernement et celles du chef de parti.

Mais cette proposition est anticonstitutionnelle…
Oui mais comment le Roi peut-il choisir au sein d’un parti, sans le concours du parti lui-même? Pour moi, c’est avant tout une décision du parti.

Même si la Constitution donne ce pouvoir au Roi?
Si le Roi me dit: c’est vous que j’ai choisi, je lui dirai non, moi, je vous propose untel.

Donc, il n’y a aucune chance qu’Ilyas El Omari devienne un jour chef du gouvernement?
Je n’irai pas jusqu’à affirmer cela. Qui sait, je serais peut-être «Raîs el houkouma» ou «Rais al houma» (rires).

Quid de vos relations avec les hommes d’affaires. On dit qu’ils préfèrent donner de l’argent au parti plutôt que de s’afficher dedans…
Pas du tout, nous ne recevons de dons de personne. Notre stratégie de mobilisation des fonds du parti s’articule uniquement autour des cotisations des adhérents. Nous en avons plus de 111.000. Nous comptons plusieurs membres issus du monde des affaires, comme l’ancien colistier de Miriem Bensalah qui s’est porté candidat, lors des dernières élections à Mohammedia. Nous avons aussi des commissions sectorielles au sein du parti regroupant les hommes et femmes d’affaires. Certains sont membres du Conseil national. Par contre, nous prévoyons construire un quartier général sur la route des Zaërs essentiellement financé par les dons de nos membres.

Alliances, Samir, Maghreb Steel… Ces faillites en série de grandes entreprises ne vous inquiètent-elles pas?
Cela ne se limite pas à ces faillites-là. Un rapport de Coface a parlé de 3.000 entreprises qui ont fermé leurs portes au Maroc en 2015. Les grandes entreprises focalisent l’attention des médias, mais l’hécatombe est plus profonde.

Vous seriez d’avis à ce que l’Etat revienne dans le capital des grandes entreprises?

Je suis pour un retour de l’Etat dans les secteurs stratégiques, comme l’énergie, l’eau et l’agriculture…

Pourtant, vous êtes libéral. Non?
Je ne parle pas de nationaliser à tout va. Mais juste de contrôler partiellement des secteur stratégiques. La crise de 2008 l’a démontré: quand la récession a frappé, ce sont les Etats qui ont renfloué les banques et les établissements de crédit. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi l’Etat ne serait pas dans le tour de table d’autres entreprises stratégiques.

Comme c’est demandé par les syndicats de la Samir?
Oui. Aujourd’hui, on peut considérer que c’est l’Etat qui paie les salaires des employés de la raffinerie, laquelle traîne 2 milliards de dollars de dette [entre fournisseurs et bailleurs de fonds sans prendre en considération la dette envers la Douane NDLR]. En fin de compte, nous sommes revenus à une situation de pré-privatisation.

En parlant de dette, Driss Jettou a tiré la sonnette d’alarme à propos du fort taux d’endettement du pays. 80% du PIB et 25% du budget en service de la dette. Que proposez-vous pour sortir de cette ornière?
La dette équivaut à 64% du PIB. Logiquement, il aurait fallu en allouer 30% à l’investissement. Or tout a été consommé en dépenses publiques. Le prochain gouvernement n’aura plus de marge de manœuvre. Plus grave encore, les crédits à la consommation ont baissé pour la première fois depuis 1983 (-2,75%). Youssoufi avait laissé ce taux à +12%, Jettou à +27%, El Fassi à +17%. Et ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, ce sont ces 28% de Marocains âgés de 18 à 35 ans qui n’ont ni travail ni formation. Complétement déclassés et marginalisés, ces jeunes ont perdu tout espoir.

Un foyer de radicalisation?
Pas pour le moment, mais les choses peuvent évoluer. Dans ma région, nous parlions de lutte contre l’analphabétisme. Et je dois dire qu’en la matière, nous recevions des cartes nationales de gens âgés de plus de 60 ans. Cela n’a aucun sens, nous dépensons des sommes gigantesques pour une population qui ne sera pas active même en sachant lire et écrire. Il faut faire un focus sur les 15 à 34 ans en associant cela à une formation, afin de mettre l’apprentissage en pratique.

Vous ne trouvez pas que le plan de formation récemment annoncé de 10 millions de marocains à 65 MMDH est irréaliste?
Oui, je le pense mais ces 10 millions n’ont rien à voir avec ceux dont on parle. Ceux-là disposent d’une instruction. Non, moi je parle de sortir de leur détresse des marocains qui n’ont même pas de quoi se payer un sac plastique…

Parlons si vous le voulez bien de l’affaire Gates. Vous aviez annoncé un investissement de 100 millions de dollars de la part de la fondation Gates, alors que rien n’avait été signé…
Il y a eu erreur effectivement sur ma page Facebook. Ce n’est pas moi qui la gère. Au lieu d’annoncer que nous nous étions réunis pour présenter des fiches projets visant à postuler pour le montant de 100 millions de dollars, la page a annoncé une signature. Ce sont des choses qui arrivent.

Cette aide de 100 millions, vous en rêvez encore?
Mais bien évidemment. Nous avons bataillé pendant six mois avec la fondation Bill Gates afin que le Maroc soit éligible à cette aide, ce qui est déjà une réalisation en soit. Les fiches projets seront remises à la fondation le 15 juin. Le 20 septembre prochain, le Conseil d’administration des trois fonds, à savoir le fonds Bill Gates, la banque islamique et le fonds de souveraineté des pays du Golfe, se réunira. Suite à cela, la décision va tomber.

Quelles sont nos chances?
Nous avons 90% de chance d’obtenir les 100 millions de dollars. La coordinatrice de ce projet, tenez-vous bien, est marocaine. Elle est directrice de la fondation Gates pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Elle m’assure que Gates choisira le Maroc et déploiera tous les moyens possibles et imaginables pour faire de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima une région pilote qui servira, plus tard, de modèle à des expériences similaires en Afrique. De plus, nous avons le soutien du ministère des Finances qui veut participer au tour de table de ce projet aux côtés de la BID et du CCG.

Beaucoup de spécialistes affirment que votre proposition de loi sur la légalisation du cannabis est inopérante car la production industrielle n’est pas viable dans le Rif. Et que d’un autre côté, en matière d’utilisations médicales, le besoin en matière première est infime par rapport à ce qui est produit dans la région. A quoi bon proposer cette loi alors?
Nous avons proposé cette loi pour, justement, vérifier si ce que vous venez de dire est vrai ou faux. Aujourd’hui, autour de ce thème, nous faisons essentiellement de la conjecture politique. Il est temps d’autoriser les scientifiques à faire de la recherche.

Donc, cette loi n’est qu’une transition vers autre chose?
Oui. Cette loi a surtout pour but de rendre la recherche possible. Aujourd’hui, si un chercheur se rend à son laboratoire avec en sa possession une substance illicite, il est tout de suite arrêté. La loi permettra de protéger les analyses lesquelles concluront si oui ou non cette substance est exploitable. Si ce n’est pas le cas, on arrête tout.
Vous avez décidé de quitter le tour de table du groupe de presse que vous avez récemment lancé. On dit que les titres lancés ont fait un flop, que les ventes sont dérisoires et que le groupe est un gouffre financier.
De manière générale, l’influence ne se mesure pas en termes de ventes. C’est la première leçon que j’ai apprise en journalisme. Par exemple, Akhbar Souk vendait deux millions d’exemplaires par jour, sans qu’on en retienne rien, en parallèle, Al Ittihad Al Ichtiraki qui n’en écoulait que dix mille, pouvait faire trembler le pays par le truchement d’un seul éditorial. Je suis sorti car j’ai senti que ma présence brouillait le message et faisait du mal au groupe dans lequel beaucoup d’argent a été investi, notamment dans l’imprimerie. Je me suis retiré dans l’intérêt des investisseurs (…).

On parle d’une PAM académie. Qu’est-ce que c’est, au juste?
Chaque année, nous sélectionnerons 100 jeunes prometteurs de chacune des douze régions du Maroc. Nous sommes en discussion avec le parti communiste chinois et le PSOE espagnol. Ces jeunes seront formés à la gestion de la chose publique, à l’idéologie du parti, à la discipline. Ils seront logés, nourris sur un campus et salueront le drapeau chaque matin, avant de suivre leurs cours. L’idée c’est que le formé devienne formateur à son tour, le but étant d’attiser une émulation à l’échelle nationale. Si on forme 1.200 personnes par an, en cinq ans, nous serons à 6.000. Vous vous rendez compte ce que c’est que d’avoir 6.000 bons petits soldats prêchant nos idées. Avec ça, le parti prendra réellement son envol.

C’est de cette façon que vous récupérer les anciens du 20 février?
Non pas du tout. Ces jeunes là transitent le plus souvent par la fondation Benzekri. Mais il faut dire que nous essayons de les sortir de leur déprime. La plupart, aujourd’hui, vivent une vie dissolue, à fumer des joints et à boire de l’alcool. Nous tentons de leur décrocher des stages et des formations. C’est important car ces jeunes symbolisent l’avenir et portent les espoirs de ce pays. Les abandonner à leur mal-être risque de démoraliser ceux qui, autrefois, ont vu en eux des héros. En réalité, ils ont été victimes des vrais instigateurs du printemps arabe, ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre et qui insistent pour que les visages de la révolution aient le moins d’autorité légitime que possible.

Qui tire les ficelles?
Tout cela se prépare depuis 2006. Vous savez, mon ami l’illustre journaliste égyptien Hassanine Heikel m’a dit un jour : «Quand Al Jazeera m’a embauché,  j’étais ravi du pont d’or que l’on m’offrait, mais je ne m’imaginais pas une seconde participant aux prémices d’une révolution dans le monde arabe».

C’est l’agenda de qui?
Bah, des américains et des britanniques, pardi. Je ne vous apprends rien.

L’oeil de lynx

Nous l’accostons au sortir d’une réunion à la CGEM autour de la prochaine Med COP22. Il argue d’une extrême fatigue pour ajourner l’entretien, mais devant notre insistance il cède. C’est donc dans un café mitoyen au siège du patronat que nous tentons de sonder un homme charriant son lot de mystère. Regard impavide, mais toujours un sourire goguenard au bord des lèvres, nous sommes surpris par sa capacité à «dire les choses». Décomplexé sur la légalisation du cannabis, croyant fermement aux chances de son parti aux prochaines législatives, assumant son passé d’opposant gauchiste, Ilyas El Omari étonne et détonne par son franc-parler. Surtout lorsqu’il s’agit de son ennemi juré, Abdelilah Benkirane qu’il voue aux gémonies et dont il juge le bilan catastrophique. Pour un politique, l’homme fait preuve d’une stupéfiante franchise, sauf lorsqu’il affirme ne pas penser au poste de chef du gouvernement…même en se rasant le matin!
Condamné par contumace à cinq ans de prison pour s’être opposé à Hassan II, il s’enfuit vers Rabat, où pendant des années, il survit de petits jobs. On l’aurait même vu à cette époque, agitant un éventail au dessus d’un brasero pour vendre des brochettes. Omari conjugue la crédibilité de l’ex-gauchiste, rompu aux codes de la rue, avec un sens du clientélisme dont raffolent les notables, notamment ruraux. Sa capacité de communiquer avec deux Maroc aux antipodes l’un de l’autre le rend particulièrement redoutable.